détruire les sons
toujours ces eaux
noires
la fraicheur de l’écorce sous la paume
j’ai vu pleurer les pierres sur des sols desséchés
entendu
le cliquetis des larmes de la Terre
au milieu d’un désert
il y avait une fleur
à peine posée sur l’eau
il y avait cette fleur
silencieuse
qui ne troublait ni la chaleur
ni les souvenirs
et dont la tige nue perlait encore
lien fragile vers la vie
l’écorce est bien davantage qu’une peau
l’écorce est une enveloppe apatride
sur laquelle prolifèrent mousses et champignons
quand l’arbre meurt
son être est rongé de l’intérieur
jusqu’aux derniers instants
l’écorce masque
dissimule la déchéance
le pourrissement des chairs
quand les feuilles déposent les armes
face au tourment des vents glacés
l’écorce tient sa position
se dresse dans le crépuscule
et la lumière rasante
froide
les racines montent vers le ciel
gravée dans les interstices taillés par les lames du rasoir
la certitude de voir s’achever l’hiver
rien d’autre que la nuit
perforée par les ronces
rien d’autre que la nuit
lacérée par les épines d’une rose
rouge
meurtrie d’orages à la voix claire
sur le lit dans le coin de la chambre
tu dors nue
la fenêtre ouverte
et l’ombre des branches sur ta peau
révèle mouvement
on dirait que tu danses
au plus profond du sommeil
rien d’autre que la nuit
sans fin
bordée par le silence de ton souffle
contre la voie ferrée
la terre couleur de sang s’évapore
sous un soleil brûlant
arrachés à la montagne de granit
des blocs jetés
au hasard
on dirait des îles
émiettées
coincées entre le roc imperturbable
et le tremblement des rails à l’approche du train
écouter
écouter la rumeur devenir tumulte
ensuite chercher
chercher
là quelque part dans ce non-lieu
l’endroit où signifier sa présence
le trouver
une pierre plate lisse
sans aspérité
attendre enfin
attendre
toujours la patience chevillée au corps
alors la pluie se met à tomber
recevoir l’encre
et puis écrire
écrire encore
laisser une trace de son passage
l’aube immobile fait frémir les eaux du lac
tressaillir la cime des arbres
entre deux éboulis
la lumière déchiquetée
se reflète à la surface
s’égare
je devrais me contenter d’impressions
pour guider mes pas
sur la photo le temps figé
il manque l’odeur
et la vie qui reprend son cours
après la pause
entre parenthèses
j’ignore où se trouve l’origine
du sillon qui traverse ce front
des reflets argentés striant ces cheveux
de ces yeux pochés de soucis
peut-être
est-ce la vie qui fait naufrage
à moins qu’elle ne trouve
refuge
dans le lit accueillant des cicatrices du temps
écoute murmurer cette femme
dans une langue qui semble familière
une langue qui s’enfuit
c’est une voix qui griffe les murs
une voix dont les consonnes s’entrechoquent
les sons se perdent dans l’absence de vibration de l’air
entre deux airs familiers
ne pas se sentir à sa place
Entretien avec Clara Regy
Vous évoquez votre « rencontre » avec la poésie contemporaine, l’expression est jolie, alors ce fut une rencontre agréable ?
Une rencontre agréable car imprévue. Comme beaucoup j’imagine, je suis venu à la poésie par les « classiques » : Rimbaud, Verlaine, Baudelaire. C’était ceux que nous étudions au lycée. Ils me plaisaient, Rimbaud particulièrement. Ce n’est que bien plus tard que j’ai rencontré la poésie contemporaine. Un jour à la bibliothèque municipale de la Part-Dieu, je suis tombé sur un journal. C’était le programme du printemps des poètes. C’était en 2012 ou 2013, je ne sais plus. Je l’ai feuilleté. Il y avait une lecture poétique dans un café, De l’autre côté du Pont, dans le quartier de la Guillotière à Lyon. Comme c’est un endroit que j’aimais bien et qu’à l’époque j’écrivais de la poésie dans mon coin, j’y suis allé. C’est là que j’ai découvert que (beaucoup) d’autres gens écrivent de la poésie. Peu de temps après, je suis allé écouter une lecture du Syndicat des poètes qui vont mourir un jour. C’est comme ça que j’ai rencontré la scène poétique contemporaine. De fil en aiguille, j’ai écouté des auteurs, lus des recueils, découvert des revues. Une rencontre agréable donc, celle d’un monde plein de vie.
Quelle place « prend » l’écriture dans votre vie, surgit-elle à des moments bien particuliers ou est-elle toujours présente ? (tapie dans l’ombre ou le soleil ?). (sourire)
L’écriture occupe une place importante dans ma vie même si je peux rester plusieurs semaines sans écrire un mot. C’est le cas par exemple lorsque j’ai terminé un projet ou j’ai besoin de faire autre chose, de laisser mûrir ce que j’ai fait.
Dans les périodes où j’écris, j’essaie de m’isoler : j’aime être seul avec de la musique, une tasse de maté ou de thé au jasmin, quelques carrés de chocolat et plusieurs heures devant moi.
Vous nommez « objets d’écriture » les « œuvres » qui semblent capter votre intérêt, peut-être vous accompagner aussi, pouvez-vous nous en dire davantage, que cache cette expression, à nouveau bien jolie ?
Pour ma part, il y a différentes sortes d’ « objets d’écriture ». La première concerne effectivement des œuvres. Ce peut-être une lecture (poésie mais aussi roman, essai ou BD parfois), une musique, un film qui vont me faire penser à une idée, une suite de mots qui pourront lancer l’écriture d’un texte. La deuxième sorte d’ « objets d’écriture » concerne des thèmes qui vont me parler, autour desquels je vais écrire. La vie, ses fragilités, des instants brefs comme des souvenirs, les rapports entre les êtres humains, le rapport à l’urbain, le rapport à la nature, les arbres, le temps, le train, une île. Parfois un thème d’ « actualité ». Les « objets d’écriture » sont très nombreux finalement !
Et vous n’échapperez pas à la dernière question : si vous deviez définir la poésie en 3 mots quels seraient-ils ?
Difficile de définir la poésie en trois mots. Cela implique de faire un choix qui risque d’apparaître réducteur, imparfait, calculé.
En jouant le jeu, sans trop réfléchir, je retiendrais ces trois mots : langue(age), rencontre, question(s).
Langue(age) car la poésie est un travail sur la langue, une recherche pour remplir les mots. C’est un(e) langue(age) qui relie les êtres humains. Il existe de la poésie et des poètes chez tous les peuples de la planète. Je ne sais pas ce que ça signifie exactement, mais ce n’est sans doute pas un hasard…
Rencontre puisque la poésie permet la rencontre entre la langue de l’autre et celle de soi.
Question(s) enfin. Il me semble que la poésie ne cesse d’interroger le monde, notamment ses absurdités. Questionner c’est remettre en question, ouvrir le champ des possibles. En interrogeant ce système à bout de souffle, la poésie est une façon de ne pas se résigner et d’admettre la possibilité d’autre chose.
Clément Bollenot est né en 1988 à Lyon. Enseignant dans le primaire, il milite pour la poésie à l’école. Il est l’auteur d’un recueil de poésie, Demain incertain, publié aux éditions Gros Textes (juillet 2018). Présent au sommaire du recueil collectif Un rêve paru aux éditions de l’Aigrette (janvier 2019), il est aussi régulièrement publié dans les revues Verso, Lichen, Traction-Brabant, Poétisthme.
(photo : portrait de Pierre Chermette)
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