on aimerait écrire loin de soi depuis les contours d’un fleuve ayant la forme de notre inconnaissance
loin du corps de ce qui s’y bat
loinde la précision enfouie de ses propres
traceson aimerait se porter se
déporterse tenir là bas avec des mots nouveaux s’accumulant en arches depuis
le bordà peine soupçonné d’
un rivageavec la brume du matin sur le visage les mains le corps dans la simplicité
d’un mouvementque l’on voudrait premier celui qui nous porte
enfantlorsque l’on découvre la belle géographie du monde dessinant les lignes concentriques
des latitudeset celles verticales des méridiens pour que se rejoignent
les pôles
on écrit depuis les lignes qui traversent notre vision lorsqu’on ne regarde plus celles
qui traversent
l’espacel’arête des toits les pylônes la pointe des clochers les lignes
où s’impriment
les allersvenues de la multitude des corps que l’on croise depuis
que l’on marche
depuisque l’on attend aux coins des rues sur les bancs
dans les halls de gare d’
aéroportle long des voies ferrées routes autoroutes qu’il faut bien emprunter pour aller
aller dans le même
sens le mêmebruit bouger son corps donner à ses mouvements l’apparence d’une histoire
tenter de faire
des gestesnous rappelant aux autres en attendant
que quelqu’un
vienneque la chance nous sourit de commencer enfin
à vivre
alors que l’on a oublié le signe que faisait pour nous les rubans blancs que les avions tracent sur le ciel
que l’on regardait enfant visage
renverséoù s’accrochait l’infini de notre attente insupportable et
magnifiquemaintenant traînées insignifiantes s’
effilochantau dessus de nos têtes n’
augurantrien que le flottement de notre
ennui
mais à quoi bon poser des mots infimes que l’infini a déserté brouillant
l’espace de notre désir que l’on ne sait plus
nommermots insignifiants les seuls qui nous restent en bouche pour bredouiller
l’incertitude qui nous
serremots insipides que l’on postillonne emporté par l’étrange
cours que prend notre
existencepetits insectes vibrionnant dans la brume de notre fatigue que l’on disperse
vite
d’un gestealors que l’on ne retrouve plus le goût d’océan qui nous soulevait quand nous
en colorions l’
immensitéalors que le monde est là empli de lumières si belles et notre tristesse plus lourde
de ne pouvoir en prendre
possession
on s’interroge n’est-ce pas suffisant d’être là parmi tout tout ce qui s’offre sans fin
se sentant misérablede n’en saisir
rienn’est-ce pas suffisant d’être parmi les voix les corps de les toucher parfois d’être touché
et de sentir l’imperceptiblefrémissement de
l’airn’est-ce pas
suffisant
parfois on s’assoit à la terrasse d’un café
sans penser à rienon regarde les gens aller venir et l’on se dit que le bonheur est simple dans la douceur
d’une fin de journéeavant de rentrer chez soi dans l’entrelacs des rues de la ville où la nuit brille toujours
de multiples lumièrescomme pour une fête qui ne s’
achèverait jamaisportant seul l’obscurité de la nuit qui s’
est réfugiée en nousparfois sur le seuil notre fatigue est telle que l’on se demande si l’on aura longtemps
la force de souleverce poids d’
ombre
que cherche t-on à penser compenser par le tracé de ces lignes qui ne nous mènent à rien
qu’à nous affronter aux règles d’une grammaire qui nous échappe depuis toujoursdes lignes comme celles que l’on faisait enfant déroulant interminablement le même mot que l’on a mal orthographié et qui rythmera pour longtemps notre marche pensive est-ce pour
réapprendre à cartographier le monde tracer une nouvelle ligne de vie de chance quelles fautes n’en finit on pas de corriger la main en suspens ne sachant plus conjuguer les verbes
futur ou conditionnel mais n’est-ce pas la même chose alors n’est-il pas préférable de tout mettre au présent ce vaste présent où le passé afflue et où se serrent les possibles à venir
quelle grammaire réinventer pour accorder nos mouvements aux mouvements des autres comment conjuguer le sentiment de notre perte à la prodigalité du monde
n’est-ce pas un pis-aller ces griffonnements sombres comme autant de traînées de poussière
chemin détourné faux
fuyantpour s’échapper é
chapper àla brute la brutale réalité qu’il faudrait sans doute écrire en lettres majuscules tant elle nous écrase
et nous pèse et nous impose de ses grosses mains sa pressante
pressionne sommes nous en droit de la fuir tant elle nous coupe les jambes les bras
le souffle etl’envie d’être
là
que cherche t-on à écrire
non pasdes histoires on ne s’en raconte plus d’ailleurs on les connaît
depuislongtemps elles sont inscrites en nous en minuscules caractères s’enroulant
en une grossebobine on voudrait simplement tenir cette pelote
indéchiffrable
dans la paume afin qu’elle n’étouffe plus
à l’intérieurque le temps devienne
le tempsl’air l’air que l’on
respire
on voudrait des mots
porteurscomme on le dit de murs pour une modeste maison d’où l’on pourrait certains soirs
regarderla déchirure du ciel quand le sang du monde afflue
regarderla suffocante beauté sans qu’elle
nous défigure
une poignée de mots simples
inépuisablestalismans
quand tout semble
abandonné
comme le mot ciel que l’on n’ose plus utiliser pourtant si simple avec son demi cercle ouvert contenant l’
envol
et l’immensité de la courseil ressemble à notre œil qui jamais ne se ferme avec son grand
cilbattant
l’air
peut-être est-ce cela que l’on cherche le mouvement de quelques lettres qui délivre et
relievif
et ample le mouvement de quelques lettres qui nous soulèveraitvers
ce qui vient à notre rencontre
on voudrait
des motsqui fertilisent
notre ignorance
et donnentsoudain
raison de toutde la folie du désespoir de notre dur entêtement et de la longue longée des bords
parfois découragé on se dit à quoi bon
tant de mots
accumulésde livres pesant sur nous nous laissant
pauvres et
démunistant de mots accumulés nous donnent
envie de
vomiret la poésie qui poétise pour faire passer
le mal et
rendrebeau l’
abominablec’est
pareil
n’est-il pas préférable de se taire
se terrerlaisser s’
effriterles mots mottes
de terreet tracer de grandes lignes de silence formant des couloirs des arches des ponts où soufflerait
la lente respiration de ce que l’on ne pourra jamais
direpour que s’écoule l’
innommable
comment dire avec
le mêmemot
la douleurdes massacrés des mutilés des survivants celle des exilés des irradiés celle
des ensevelissous les décombres celle
de tous les enseveliset la nôtre nous les rescapés dont on ne sait quelle
catastrophenaufragés dans ce monde où l’on se prémunit des accidents des vices des sévices et de la mort
qui mordpourtant à petits coups de dents notre belle
apparencealors que le mal est déjà fait et que reprenant la pioche de nos pères on continue
de creusertoujours plus profond en nous
le troud’où
rien ne parle
Poèmes extraits d’un ensemble inédit intitulé Lignes d’écriture
Christine Bloyet vit à Nantes où elle anime des ateliers d’écriture. Étreinte publié aux Éditions Henry-Écrits du nord 2008. Poèmes publiés en revue : N4728, Verso.
Comment travailles-tu tes écrits ?
J’ai un cahier, qui est une sorte de journal, très brouillon, dans lequel j’accumule des notes. Dans ce cahier s’esquisse ce qui sera peut-être un poème. C’est un fatras, une matière informe, mais cela constitue la matière première dans laquelle je puise. J’ai aussi un carnet dans lequel je griffonne quand je marche, car le mouvement de la marche son rythme, sa pulsation a quelque chose à voir pour moi avec l’écriture.
Mais le travail d’écriture véritable se fait dans un second temps sur l’ordinateur.
Là je passe beaucoup de temps à mettre en forme et à retravailler un même texte. Un peu comme un sculpteur, je façonne, je taille, j’élague, j’épure…
D’où vient l’écriture pour toi ?
Je ne sais d’où vient l’écriture, cela reste mystérieux, mais j’ai éprouvé assez jeune, à la lecture des poètes, que ce qui se disait là, dans le poème, ne pouvait se dire ailleurs. L’impact, la force de la parole poétique a été une révélation et a motivé mon désir d’écrire.
Mais l’écriture est pour moi une lutte contre ma tendance au mutisme, peut-être le poème en est il le prolongement ou son autre face. J’ai le sentiment en tout cas que le poème s’écrit ou s’inscrit sur le vide ou le silence précédant toute parole ou discours.
Les mots, j’ai parfois le sentiment de les tirer, de les arracher d’un fond obscur. Je vis l’écriture comme une recherche dont l’objet, s’il demeure incertain ou indéterminé, s’il échappe sans cesse, permet de dessiner un chemin… et c’est cela finalement qui m’importe, le chemin que je trace avec les mots.
Quelle serait ta bibliothèque idéale ?
Ma bibliothèque idéale serait composée en grande partie (au moins 80%) de poètes de tous les temps et de nombreux pays. Certains y auraient une place de choix pour le rôle important qu’ils ont eu et continuent d’avoir dans ma vie : Whitman, Apollinaire, Dickinson, Pessoa, Celan, Paz, Juarroz, Valente… mais aussi beaucoup de poètes contemporains. Pour le reste, quelques auteurs essentiels qui ont contribué à mon éveil littéraire et dont les œuvres recèlent intensité et force poétique : Proust, Dostoïevski, Colette, Duras …
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