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Traduire, ce n’est pas que remplacer des mots

mardi 14 janvier 2020, par Cécile Guivarch

« La traduction est une des rares activités humaines où l’impossible se produit par principe » (Mariano Antolín Rato)

Giancarlo Sissa

Persona minore / Personne mineure

L’acqua del mare sgocciolava dalla barba fin sul
petto e di questo fu felice e sperò che gli venissero
sogni buoni per riconsiderare la sua vita bagnata
d’acqua di donna e sole del mattino e della gioia
decise di non pentirsi.

A sera, nella calca dell’osteria, sedeva in disparte
bevendo senza offrire. Gli si avvicinò un giovane e
gli chiese perché bevesse solo. E l’uomo gli
rispose : perché giudichi da quel che vedi e parli di
cose che non sai ? Io non sono solo, io sono molti.
Fuori sulla strada cominciò a cadere la pioggia.
Quell’uomo, diceva qualcuno, scriveva in segreto,
si chiamava Persona.

 
E mentre avanzava camminando gli mordevano
pezzi di vita, stupendosi che ne soffrisse. E in riva a
se stesso pianse per provare a incontrarsi, ma
persino da se stesso si sentiva umiliato.

 
Allora quelli che amava gli presero le parole, lo
ammutolirono con il loro rancore e disprezzo e lo
gettarono nel fuoco senza che ne venisse fumo. E
pensarono per questo d’essere liberi.

Ma dentro le parole si nasconde sempre qualcosa o
qualcuno. Dentro alcune le madri buone, dentro
altre le madri assassine.

 
Così decise di scordare le lingue che aveva
imparato lasciandole sgocciolare nei giorni come
animali macellati seguendo l’antico rituale.
Raccolse poesie ormai prive di senso in catini
luminosi e le lasciò evaporare lentamente perché
tornassero nel loro ordine indisturbate. Perché si
affanna la nostra voce a predicare l’evidenza ? Non
resta ogni mattino a suo modo misterioso ? E
guardava la gente attraversare quelle ore come in
cerca di lavoro. Chi lo aveva amato si scordò di lui,
nono ne riconoscevano il nome, così a lungo era
rimasto accanto che le finestre si cancellarono dai
muri. E i numeri dall’orologio. E le note dagli
strumenti musicali. Odiò come una pietra nella
pioggia, nascose le proprie mani, ne fece piccole ali
nella cassetta degli attrezzi. Capì che nessuna donna
lo aveva partorito e sperò che gli altri potessero
amarsi fra di loro per camminare più leggero verso
il cortile di sabbia in riva al mare. Alle sue spalle
cominciò a nevicare una tormenta di parole.
Nessuna città era diversa. Lentamente divenne
inconoscibile, come il morto di un’altra tribù.

L’eau de la mer gouttait de sa barbe jusque sur sa
poitrine et il fut heureux de cela et espéra que de
bons rêves lui viendraient pour reconsidérer sa vie
baignée d’eau de femme et de soleil du matin et de
la joie il décida de ne pas se sentir coupable.

Le soir, dans la foule de l’auberge, il était assis à
l’écart et buvait sans rien offrir. Un jeune homme
s’approcha de lui et lui demanda pourquoi il buvait
seul. Et l’homme lui répondit : pourquoi juges-tu
d’après ce que tu vois et parles-tu de choses que tu
ne connais pas ? je ne suis pas seul, je suis
plusieurs. Dehors dans la rue la pluie commença à
tomber. Cet homme, disait-on, écrivait en secret, il
s’appelait Personne.

Et tandis qu’il avançait en marchant on lui mordait
des morceaux de vie, s’étonnant qu’il en souffrît. Et
au bord de lui-même il pleura pour essayer de se
rencontrer, mais il se sentait humilié jusque par lui-
même.

Alors ceux qu’il aimait lui prirent ses mots, le
rendirent muet avec leur rancœur et leur mépris et
le jetèrent dans le feu sans que cela ne fasse de
fumée. Et ils pensèrent pour cela qu’ils étaient libres.

Mais dans les mots se cache toujours quelque chose
ou quelqu’un. Dans certains les mères bonnes, dans
d’autres les mères assassines.

Ainsi, il décida d’oublier les langues qu’il avait
apprises en les laissant s’égoutter dans les jours
comme des animaux abattus selon le rituel ancien.
Il recueillit des poésies désormais dénuées de sens
dans de lumineuses bassines et il les laissa
s’évaporer lentement pour que paisibles elles
rentrent dans leur ordre. Pourquoi notre voix
s’essouffle-t- elle à prêcher l’évidence ? chaque
matin ne reste-t-il pas mystérieux à sa façon ? et il
regardait les gens traverser ces heures comme s’ils
cherchaient du travail. Ceux qui l’avaient aimé
l’oublièrent, ils ne reconnaissaient pas son nom, il
était resté si longtemps à côté que les fenêtres
s’effacèrent des murs. Et les chiffres de l’horloge.
Et les notes des instruments de musique. Il haït
comme la pierre sous la pluie, il cacha ses mains, en
fit de petites ailes dans sa boîte à outils. Il comprit
qu’aucune femme n’avait accouché de lui et il
espéra que les autres pourraient s’aimer entre eux
pour marcher plus léger vers la cour de sable au
bord de la mer. Derrière lui il commença à neiger
une tempête de mots. Aucune ville n’était
différente. Lentement il devint inconnaissable,
comme le mort d’une autre tribu.

Persona Minore, Edizioni Qudulibri, 2015

Arzachena Leporatti

 

la bottiglia è vuota
nella mia bocca c’è troppa sete
anche di te
hai abbandonato le stanze in fretta
con parole dette piano
prima velluto e poi scariche elettriche
si dilatano diventando baraonda
vado a letto ma non mi copro
anche se non soffro più il mio corpo nudo
che si lascia andare alle stagioni
all’età che incide come uno scalpello
che mi imbianca lentamente i capelli
senza darlo a vedere
chiudo gli occhi che ormai non ricordo più se torni
ma poi quando arrivi
e mi sorprendi ancora
ti unisci nel solco che ho già scavato
mi avvicini il petto sudato
mi infili dentro le orecchie parole morbide
che mi cullano e mi confondono
fino a non sapere più se siamo
veri e vivi
oppure ombre di noi stessi
simulacri spaventosi
morti che camminano
comunque insieme
la bouteille est vide
dans ma bouche il y a trop de soif
de toi aussi
tu as abandonné les pièces en hâte
avec des mots dits doucement
d’abord du velours et puis des décharges électriques
qui se dilatent en devenant brouhaha
je vais au lit mais je ne me couvre pas
même si je ne souffre plus mon corps nu
qui se laisse aller au gré de saisons
au gré de l’âge qui incise comme un scalpel
qui me blanchit lentement les cheveux
sans le montrer
je ferme les yeux car désormais je ne me rappelle plus si tu reviens
mais ensuite quand tu arrives
et que tu me surprends encore
tu t’unis dans le sillon que j’ai déjà creusé
tu t’approches de moi le torse en sueur
tu fais pénétrer dans mes oreilles des mots doux
qui me bercent et qui m’égarent
jusqu’à ce que je ne sache plus si nous sommes
vrais et vivants
ou bien des ombres de nous-mêmes
simulacres effrayants
morts qui marchent
quand même ensemble.

Anatomia di una convivenza, Internopoesia, 2018.

Lorenzo Balzaretti

Chiara luce / Claire lumière

Sentirti
e strapparti via,
invadi le mie vene
con una cupa
armonia
dell’essere stanco.
Ascolto
la tua voce
leggermente sparsa
nel vento,
esile frastuono del mio Io.
Una pesante nenia
ti logora
nella stretta prigione
senza confine,
assale la tua ombra
come se bruciasse
il tuo corpo
sino
allo stremo.
Piangi, Maria
lacrima sangue,
le tue ultime forze
abbandonano
questa prima vita
come ultimo atto
d’invocazione
del tuo nome.
Ergiti
verso la luce
che brama, il tuo nome
scava nelle pareti
della pietà ;
un’ultima carezza
di chi
non ha niente al mondo.
Te sentir
et t’arracher,
tu envahis mes veines
d’une sombre
harmonie
d’être fatigué.
J’écoute
ta voix
légèrement dispersée
au vent,
frêle vacarme de mon Moi.
Une lourde litanie
t’épuise
dans l’étroite prison
sans frontière,
elle assaille ton ombre
comme si elle brulât
ton corps
jusque
à l’extrême.
Tu pleures, Marie
verse des larmes de sang,
tes dernières forces
abandonnent
cette première vie
comme un dernier acte
d’invocation
de ton nom.
Dresse-toi
vers la lumière
qui désire, ton nom
creuse dans les parois
de la pitié ;
une dernière caresse
de celui
qui n’a rien au monde.

Trafficante di Sogni, Eretica Edizioni, 2015

Guido Catalano

Contratto d’amore / Contrat d’amour

Come da accordi ho smesso d’amarti
come da contratto a partire da oggi
non ti sognerò più
non penserò più a te sospirando alla luna
la luna a sua volta smetterà di ridermi in faccia
non tormenterò povere indifese margherite
strappando loro i morbidi petali bianchi
non camminerò solo per la città
temendo e sperando di incontrarti per caso
riandando ai luoghi dei nostri primi baci.
Come da accordo contrattuale
sarò gentile e pacato
sorriderò quando qualcuno mi parlerà di te
e non attenterò alla vita dei bastardi infami
che già ora hanno iniziato a corteggiarti.
Contrattualisticamente in accordo
con le leggi vigenti mi impegno
a smettere di scriverti poesie d’amore
o almeno diminuire
a scalare
che tutto in un colpo è pericoloso.
Smetterò poi di desiderare
il tuo corpo morbido e profumato.
Giuro infine che ti farò da amico
saggio e fedele che detta così
sembra un cane
ma vedrai funzionerà.

A te solo chiedo
di non credere a una parola
di ciò che hai appena letto

Comme convenu j’ai cessé de t’aimer
comme stipulé dans le présent contrat à partir d’aujourd’hui
je ne rêverai plus à toi
je ne penserai plus à toi en soupirant à la lune
la lune à son tour cessera de me rire au nez
je ne tourmenterai pas de pauvres marguerites sans défense
en arrachant leurs doux pétales blancs
je ne marcherai pas tout seul dans la ville
craignant de te rencontrer par hasard et l’espérant
en revenant sur les lieux de nos premiers baisers.
Comme convenu dans ce contrat
je serai gentil et paisible
je sourirai quand quelqu’un me parlera de toi
et je n’attenterai pas à la vie des infâmes bâtards
qui ont d’ores et déjà commencé à te faire la cour.
Contractualistiquement en accord
avec les lois en vigueur je m’engage
à cesser de t’écrire de poésies d’amour
ou au moins à arrêter
par palier
car tout d’un coup c’est dangereux.
Je cesserai ensuite de désirer
ton corps doux et parfumé.
Je te jure enfin que je te servirai d’ami
sage et fidèle même si dit comme ça
on dirait un chien
mais tu verras ça marchera.

Je te demande seulement
de ne pas croire un mot
de ce que tu viens de lire.

Ogni volta che mi baci muore un nazista, © 2017 Rizzoli Libri S.p.A. / Rizzoli, © 2018 Mondadori Libri S.p.A.

Traductions de Marianna Cesano, Lola Dougère et Joséphine De Gabaï Étudiantes en Master Traduction Littéraire et Édition Critique – Université de Lyon II - Sous la direction de la professeure Mme Bindel


Marianna Cesano, Lola Dougère et Joséphine De Gabaï répondent à la question : Qu’est-ce qui vous plaît dans la traduction littéraire ?

Qu’est-ce qui me plaît tant dans la traduction littéraire ?
Tout d’abord, et surprenamment, j’aime les problèmes insolubles (viens-je d’écrire le mot interdit ?!), les défis qui repoussent les limites de mes facultés intellectuelles. Souvent, je me concentre sur mon ressenti pour m’appliquer à choisir la formule qui en français provoquera les mêmes images et les mêmes émotions que le texte italien, sans oublier de remettre mille fois en question ma compréhension de l’œuvre et le choix de mes mots. Par ailleurs, jouer avec la langue, apprécier tout ce qu’elle peut dire, et constater ses failles excite mes neurones. Traduire est une manière de comprendre un texte en profondeur, de s’en emparer pour mieux le restituer, de percevoir le processus créatif de l’auteur et toute la logique de construction de son œuvre. C’est aussi savoir trouver un juste milieu entre un travail d’artisan qui, avec sa connaissance de la langue et sa culture comme outils doit s’efforcer de rendre possible l’existence d’un texte dans une autre langue, avec un autre matériau ; et un travail d’artiste dont la mission est de créer une œuvre qui n’est d’ailleurs jamais tout à fait la sienne. Une des particularités de la traduction de l’italien vers le français est que les mots et les structures grammaticales sont souvent très proches : c’est à première vue une facilité. Cependant, cela peut se révéler handicapant car il faut une excellente connaissance de la langue pour connaître et reconnaître les différences subtiles de sens d’un même mot selon qu’il est employé en italien ou en français, et cela devient compliqué de décider quand est-ce que l’on peut – ou que l’on doit – s’affranchir de la formulation d’origine. Je pense que pour être traducteur, il faut être un lecteur avide et aussi écrire soi-même, cela permet de gagner en expérience littéraire et de mieux comprendre ce qui fait la spécificité d’un texte et d’un auteur, pour mieux le transposer.

Joséphine De Gabaï

Ce que j’aime dans la traduction, c’est le fait de devoir se plonger complètement dans un texte, dans sa langue et sa culture pour en comprendre les spécificités. Je n’ai jamais été attirée par l’écriture, mais l’idée de pouvoir retranscrire ce que je suis incapable de faire me fascine. Permettre aux autres de découvrir un univers nouveau ou une culture différente me semble être un des plus beaux points du métier du traducteur. Devoir passer un temps infini sur un texte pour en démêler les subtilités et réussir à les transmettre, mais aussi, continuer à remettre sans cesse en question son travail, sont des points passionnants et nécessaires pour une bonne traduction.

Lola Dougere


Pour parler de traduction, il faut tout d’abord connaître la signification étymologique de ce mot. Le préfixe « tra » dérive du latin et signifie « traverser », et il est vrai que la traduction représente pour moi une « traversée » entre les langues et les limites linguistiques que cela peut engendrer. Quand je réalise une traduction, je deviens un intermédiaire entre l’auteur et le lecteur qui n’a pas les qualités suffisantes pour lire cette œuvre en langue originale. C’est à partir de cette réflexion que je me rends compte de l’enthousiasme et de la motivation que je mets dans mes traductions afin de résoudre les problèmes sous-jacents : j’aime me creuser la tête pour trouver une solution aux problèmes qui apparaissent lors du processus de la traduction. Néanmoins, travailler avec deux langues différentes peut parfois être synonyme d’erreur. D’une certaine façon, les traducteurs réécrivent l’histoire originale, c’est comme si on avait la possibilité de créer quelque chose de nouveau. On s’approprie un texte qui n’est pas à nous et, malheureusement, il y aura toujours une « perte », qu’elle soit linguistique, grammaticale ou de vocabulaire. Selon moi, il est fondamental d’être avant tout une lectrice critique pour être une bonne traductrice j’essaye de bien comprendre d’où vient la beauté d’un texte, de « m’immerger » dans le texte source, même si j’ai peur de ne pas atteindre la scission des deux langues. L’immersion dans le texte est inévitable, elle est nécessaire pour l’aboutissement de la traduction. En italien il existe l’expression « traduttore, traditore » (traducteur, traitre). D’après moi, il serait mieux de la corriger par « traducteur, créateur ».

Marianna Cesano


Joséphine De Gabaï

Joséphine De Gabaï adore écrire, et avant de se faire connaître par propre production narrative, elle a décidé de devenir traductrice littéraire. Elle a fréquenté l’université de Savoie puis le IULM à Milan et a un diplôme de chacun de ces établissements : une licence en langues et littératures étrangères et une licence en traduction et interprétation. Elle termine actuellement son Master de traduction littéraire et travaille sur un best-seller italien dans le but de le faire publier en France.


Lola Dougère

Passionnée par l’Italie depuis de nombreuses années, Lola Dougère a d’abord suivi une licence de langue et civilisation italienne, avant d’obtenir un Master Métiers de l’enseignement. Amoureuse de lecture, elle se lance dans un master de traduction littéraire et édition critique afin de joindre ses deux passions. Elle travaille actuellement à la traduction d’un roman policier italien, vainqueur du prix littéraire Giallo Garda.

 
 
 

Marianna Cesano

D’origine italienne, Marianna Cesano a obtenu une licence en Philologie française à l’Université de Grenade, en Espagne. Depuis toujours, elle est passionnée par la traduction littéraire et par les nouvelles aventures. Son objectif professionnel est de pouvoir combiner deux métiers : celui de l’enseignement et celui de la traduction. Elle finalise actuellement ses études par un master de Traduction et édition critique à l’Université de Lyon et elle travaille sur la traduction en italien d’un roman français.


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