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Le Shijing, traduit du chinois par Pierre Vinclair

samedi 30 mars 2019, par Cécile Guivarch

31. Battre le tambour

Quand bat le tambour boum boum
            tous se ruent sur leurs armes
Construisent le pays creusent des canaux
            je m’en vais tout seul vers le sud.

Je suis parti suivre Sun Zizhong
            calmer les troupes de Chen et Song
Je ne peux pas rentrer chez moi
            et le chagrin remplit mon cœur.

Et l’on repart et l’on s’arrête
            voilà que je perds mon cheval
Je m’en vais le chercher
            au pied d’un arbre dans la forêt.

À la vie à la mort ensemble !
            j’ai fait ce serment avec ma petite
En serrant sa main dans ma main
            jurant de vieillir auprès d’elle.

Satanée séparation
            ma vie ne vaut rien
Satané serment
            ma parole ne vaut rien.


109. Pêches dans le jardin

Il y a des pêches dans le jardin
             il faudrait en faire un dessert
J’ai le cœur lourd
             je chante des chants populaires
Ceux qui ne me connaissent pas
             me disent un soldat arrogant
Ont-ils raison
             à ton avis ?
J’ai le cœur lourd
             mais qui le sait vraiment ?
La vérité
             tout le monde s’en moque.

Il y a des jujubes dans le jardin
             il faudrait les manger
J’ai le cœur lourd
             je parcours le pays pour me distraire
Ceux qui ne me connaissent pas
             me disent soldat incontrôlable
Ont-ils raison
             à ton avis ?
J’ai le cœur lourd
             mais qui le sait vraiment ?
La vérité
             tout le monde s’en moque. 

126. Char vlinn

Voilà un char qui fait vlinn vlinn
             avec un cheval au front blanc
Je vais bientôt voir mon prince
             un serviteur va m’annoncer.

Arbre de vernis sur la colline
             et châtaignier dans le marais
En face de mon prince
             je m’assoie et joue de la cithare
Tu n’es pas heureux aujourd’hui ?
             demain tu seras un vieillard.

Mûrier sur la montagne
             peuplier dans la plaine
En face de mon prince
             je m’assoie et joue de l’orgue
Tu n’es pas heureux aujourd’hui ?
             demain tu seras un cadavre.

192. Le nouvel an

Beaucoup de givre au nouvel an
             l’angoisse meurtrit mon cœur
Les calomnies des gens du peuple
             sont de plus en plus énormes
Je suis si seul !
             le chagrin grossit dans mon cœur
Mon pauvre petit cœur
             triste à en tomber malade.

Mes parents m’ont-ils fait naître
             pour endurer tant de souffrances ?
Pourquoi ne vins-je pas avant ?
             pourquoi ne vins-je pas après ?
C’est par la bouche qu’on fait louange
             c’est par la bouche qu’on calomnie
Mais c’est le cœur qui s’attriste
             à mesure des outrages subis.

Oui c’est le cœur qui se désole
             à l’idée de notre triste condition
Ceux qui ne commettent pas de crimes
             sont réduits à servir les autres
Qu’on ait pitié de nous
             où trouverons-nous le bonheur ?
Regarde les corbeaux qui tournent
             sur quelle maison se poseront-ils ?

Regarde dans cette forêt
             les grosses bûches et le petit bois
Le péril est grand pour le peuple
             qui interroge le ciel opaque
Quand il décidera de s’imposer
             les méchants ne gagneront pas
S’il y a un Souverain céleste
             qui peut-il détester ?

Qui dit que la montagne est petite ?
             elle a ses crêtes et ses sommets
Les calomnies des gens du peuple
             pourquoi personne ne les punit ?
Mobilise les anciens
             et demande à ceux qui lisent les rêves
                        de ceux qui se disent sages
                                   qui distingue un corbeau d’une corneille.

On peut dire que le ciel est haut
             osons nous tenir droit
On peut dire que la terre est ferme
             osons marcher à grands pas
Ceux qui affirment cela
             ont des raisons solides
Pitié pour nos contemporains
             serpents et caméléons — pourquoi ?

Regarde ce champ caillouteux
             la faune et la flore s’y pressent
Le ciel me ballotte en tous sens
             mais il ne peut me calmer
Certains me prirent pour modèle
             sans parvenir à m’imiter
D’autres ont fait de moi un ennemi
             sans parvenir à maîtriser mon énergie.

Ah ! mon cœur est triste
             comme si un lien le nouait
Le gouvernement actuel
             pourquoi est-il si tyrannique ?
Quand l’incendie est attisé
             comment parvenir à l’éteindre ?
La grande capitale des Zhou
             devra sa perte à la Dame de Bao .

Mon souci est sans fin
             la pluie et les nuages noirs s’amoncèlent
Si ta voiture est déjà chargée
             et que tu en as ôté les moyeux
Tu ne peux la charger encore
             à moins que ton frère vienne t’aider.

N’en ôte pas les moyeux
             les rayons des roues tiendront
Surveille bien ton cocher
             ton chargement ne sera pas renversé
Tu pourras traverser les champs caillouteux
             n’y as-tu pas déjà pensé ?

Les poissons dans un bassin clos
             ne peuvent pas se réjouir
Même s’ils nagent tout au fond
             ils resteront toujours visibles
Mon cœur est transi de chagrin
             songeant à ceux qui tyrannisent mon pays.

Ils boivent les meilleurs alcools
             mangent de la viande succulente
Ils ont leur réseau et leurs voisins
             accèdent aux demandes de leurs proches
Quand je pense à ma solitude
             mon cœur se désole de plus belle.

Ces gens minables ont des maisons
             ces crapules ont des récompenses
Les gens du peuple eux n’ont rien
             et le ciel les accule au malheur
Les hommes fortunés sont joyeux
             mais pitié ! pour le délaissé.

289. Faire attention

Je me repends de mes erreurs et ferai attention
             ne laisserai plus la guêpe approcher
                        n’irai plus chercher son dard
Ce qui n’était d’abord qu’un insecte
             s’est ensuite envolé comme un oiseau
Je suis débordé par tous ces problèmes domestiques
             de nouveau au milieu des ronces.

Le Shijing est le plus ancien livre de poésie chinoise : les poèmes qui composent cette anthologie (dont la légende dit qu’elle aurait été compilée par Confucius lui-même) ont été écrits il y a plus de 3000 ans dans diverses provinces de l’Empire. Chansons populaires, complaintes politiques, psaumes rituels, le Shijing a défini le canon de la poésie chinoise. Confucius considérait que sa lecture et la méditation des pièces qu’on y trouve devait être à la base de toute éducation. Il est aujourd’hui encore considéré comme l’un des quatre textes les plus importants de la culture classique.
Mais du fait même de cette importance, une tradition exégétique très bavarde s’est emparée de ce livre, pour l’interpréter de façon à en gommer toute aspérité, à le moraliser : les scènes de séduction ont ainsi été systématiquement interprétées comme des allégories de l’enseignement, ou de la politique, etc.
La seule traduction intégrale en français existante jusqu’à aujourd’hui date de 1896. Elle était le fait de Séraphin Couvreur, un sinologue très docte, mais lui aussi porté sur la morale davantage que sur la poésie. Sa traduction en prose ne s’occupe jamais de rendre la beauté des textes, qu’il n’envisage que comme des fables confucéennes.
De mon côté, j’ai voulu au contraire me passer de tout appareil exégétique, pour faire ressortir la qualité poétique des textes, plutôt que leur contenu doctrinal. Pour ce faire, j’ai simplement fait confiance au texte original : prenant le parti d’une ponctuation minimale (comme dans le chinois ancien) et d’une correspondance vers à vers, j’ai essayé de ne pas altérer sa « brutalité » (au sens de l’art brut), de ne pas remplir les trous, de ne pas remplacer les onomatopées par des périphrases, de ne pas aplatir les images.
Je propose ici 5 poèmes : les 3 premiers représentatifs de la veine « chanson populaire », le 4ème est une complainte politique, et le 5ème une prière rituelle.

Pierre Vinclair

Note de lecture par Auxeméry sur Poezibao : https://poezibao.typepad.com/poezibao/2019/03/note-de-lecture-shijing-le-grand-recueil-traduction-pierre-vinclair-par-auxeméry.html


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