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Marco Ercolani, traduction Sylvie Durbec

dimanche 8 octobre 2017, par Cécile Guivarch

Extraits du texte final de Discours apocryphes de Robert Walser, de Marco Ercolani, traduction Sylvie Durbec

Contemplation

En face de moi, beaucoup de temps. Je ne peux le tromper qu’avec un jeu artificiel, je suis bien content d’avoir trouvé ce passe-temps. Personne ne veut ni ne peut me donner une occupation, personne n’a besoin de moi, je suis totalement inutile. Alors c’est à moi d’être utile à moi-même, de me choisir un objectif tout seul, et je me sens capable de développer une occupation quelconque, fut-elle la plus étrange et la plus inutile. Je suis robuste et fort, plein de sentiments et de capacités pratiques peu communes. Pour autant que soit misérable ma condition actuelle à Herisau, je me sens toutefois étrangement libre et courageux, et mon cœur est habile à débusquer des pensées consolatrices. De temps en temps, pour dire les choses ouvertement, je me sens triste et sans espérance, je pense à mon avenir comme à quelque chose de perdu et d’obscur, mais seulement par moments, rien de plus.

(…)

En cet instant, par exemple, les arbres sont secoués par le vent, du fait, immédiatement perceptible, qu’ils sont persévérants. Dans la mesure où les branches s’abandonnent, ce sentiment de secousse peut naître. Si les arbres n’étaient pas bien enracinés, on ne pourrait parler de leurs feuilles et par conséquent, il n’y aurait aucune raison d’entendre un quelconque son.
(…)

Et on se retrouve là où on ne croyait pas être, autant d’hypothèses en jeu, un passé qui parle d’un futur ininterrompu.

De certaines vies qu’on dit souterraines, on ne doit jamais pleurer : ce sont des œuvres délicates, des noms interrompus. Il faut les regarder par la vitre, mais sans crier.

Toute cette disparition a une existence très claire dans la nuit comme dans le sommeil, comme oublier de respirer sur les rives du fleuve.

N’avoir presque rien. Terre sans nous, à contempler en pleine nuit, comme en rêve.

Reste le secret de la terre fraîche, la feuille trouvée par hasard, une pierre brisée à l’intérieur. Mais ce n’est pas une pierre. Regarde-la bien : c’est un diamant intact.

Etudier la peur ligne à ligne ; journaux de poètes, voyages, vertiges, nuages épars. Ainsi la joie.
Tout existe encore.
Miroir de ce qui n’existera plus.

Cantilène
que je transcris avec des phrases dictées
de mon petit dieu dans mes doigts
et disparaît le monde du dehors
neige montagnes jardins
je répète la cantilène
je termine mon livre
puis je sors dans le monde
dans le monde
qui est vide

qu’au ciel étoilé
un bel air me fasse monter
du bruissement peuplé
de la terre aimée

Ecrire
nous
parcourir
nous
qui demain ne serons plus nous
prier le monde
pour que rien de ce qui existe
n’arrête nos pensées
douces et très délicates fleurs du futur
ne plus
être

je tombe à l’écart
je ne suis pas triste
il déteste les tristes
mon souriant petit dieu


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