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GULZAR : Le chant de la nature ; poèmes traduits de l’hindi par Jyoti Garin, Ganesha Rollé, Martine Gobert, par Jean Palomba

mercredi 1er avril 2020, par Roselyne Sibille

GULZAR : Le chant de la nature  ; poèmes traduits de l’hindi par Jyoti Garin, Ganesha Rollé, Martine Gobert ; édition bilingue ; (Editions Banyan - coll. Banyan Poésie)

Si vous lisez la préface et les remarques dès l’entrée de ce resplendissant livre vert - couleur rêvée pour le thème majeur abordé ici par Gulzar, vous saurez déjà le beau souci de l’auteur et tout ce qui l’environne, lui et l’œuvre proposée. Pourtant, le bouquet de soixante poèmes ici offert ne pourra ravir vos sens et votre comprenette que si vous plongez vraiment vos nez, mirettes, papilles et cervelet au cœur de ce chant de la nature, d’abord titré en anglais Green poems. Car sous la plume du chantre ès fabuloseries, ce n’est pas seulement la nature qui gouale en verdeur, module sa verdure aux airs de jade, céladon, émeraude, glauque, olive, bouteille, pers, amande, ou pomme acide... mais le monde indien dans son intégralité - un monde visible et invisible que les yeux au bout de la langue de Gulzar verdissent de verdoyances en verdoiements toujours exponentiels.

Et pour donner d’ores et déjà le goût de sa lecture et la manière de son style, voici les premiers titres des soixante textes à découvrir, répertoriés en fin d’ouvrage sous le chapeau « Liste des poèmes » :

La bouche pleine de murmures, la rivière s’écoule ; Septembre ; Manali ; Viens, allons découdre toutes ces couches de nuages ; J’ai entendu une rivière murmurer ; Lorsque je me promène dans la forêt ; Quand les arbres pensent, les fleurs éclosent ; Lorsque les feuilles commencent à tomber en automne ; Cette atmosphère a l’air hagard ; Au coin de la rue ; Thimphu , au Bouthan ; Février ; Le fort de Neemrana ; Dans la haute montagne, il arrive parfois... ; Lorsque je m’arrache à mes montagnes ; Habitudes ; Ce torrent, quelle est sa vraie longueur ? ; Décembre ; Nous étions les nouveaux arrivants venus vivre sur la lune ; Lorsque les doigts du soleil filtrent la lumière...

Or, encore plus que son style, (une certaine perfection formelle ou thématique), c’est le ton de Gulzar qui charme dès l’abord. Un truc musical qui s’adresse au ressenti, au senti, quasi inimitable, que l’on reconnaît tout de suite, comme si on l’avait toujours connu. Car cela part et parle du et au corps. Une manière à la fois picturale, contée et dialoguée où la parole est reine.
Les mois, les saisons, l’eau, la terre, les monuments, les maisons, leurs habitants, le ciel, les montagnes et les vallées, les arbres, leurs feuilles, fruits, fleurs, animaux, astres et toutes natures... Il leur parle et les parle toutes.
Il est une sorte de Little Nemo dont l’Inde est le Slumberland. Mais Gulzar ne s’endort pas sur terre pour rejoindre en rêve le monde inventé de Windsor McCay. Le lisant, on vérifie - si l’on se souvient de R-M Rilke, que « Le rêve est une part de la vie. Une part confuse dans laquelle le visage et l’être s’acharnent l’un contre l’autre, se tressent l’un à l’autre comme des animaux d’or (...) Tout ou presque rêve – [et lui, Gulzar] porte tout cela. »
Oui, et il ne s’agit pas de bêtement poétiser. Non. Comme dans le Bachelard de « L’eau et les rêves », qui entend, écoute ce Chant de la nature, ne peut que constater que le rêve se nourrit de ce que l’on peut observer dans la réalité. L’imagination est indispensable si l’on veut être bien vif sur la planète. Car le réel change tout le temps et très vite. Pour avoir prise sur lui, il faut être imaginatif. Être réaliste, c’est donc rêver, pour pleinement s’abreuver au réel. Idéalisme et réalisme ne sont pas opposables mais vont ensemble dans les tableaux vivants de l’Inde selon Gulzar - ces forces imaginantes de l’esprit, qui le et la mettent en mouvements.
Ainsi, les yeux du poète sont-ils ouverts et fermés à la fois, de sorte que l’amour de son pays ensemence ses visions aussi bien que son pays est fertilisé par celles-ci sous l’œil du lecteur. Un regard comme un chant, une parole qui printanise et lunatise la vie réelle d’une terre aimée.
Aussi, comme dans l’univers onirique, le quotidien et le prosaïque côtoient l’extraordinaire et le magique sur la langue de Gulzar. Les points d’exclamation y sont légions. Ils sont la marque de l’admiration, de l’enthousiasme, de la remontrance bienveillante, de la surprise enfantine, de l’étonnement naïf ou du regret doux malgré tout...

On l’imagine tel un Mister Chance à l’envers (cf Bienvenue Mister Chance - Hal Ashby, 1979), en Peter Sellers décidément indien, jardinier naïf mais complexe, quinquagénaire globe-trotteur, coulant une vie avec et sans heurts, toujours à prendre soin du jardin de la terre et du ciel au-dessus et dans les quartiers « à risques », aussi les paisibles des hameaux et des capitales. Il vit au cœur du monde.

Chaque fois que l’on tourne une page de son livre, on se surprend à attendre quels mots vont résonner dans le cadre jamais contraint de la feuille légère qui nous sourit de sa voix intérieure. Quel réceptacle pour quel nouveau champ de visions ? Quel philtre d’ouïe délicate, quel pop-up, quelle aquarelle bruissante, quelle encre animée va-t-il faire apparaître ? Et, toujours en page de gauche, cette dentelle musicale de l’alphabet hindi qui enjolive secrètement le temps du mystérieux déchiffrage.

Se pencher plus avant sur son phrasé, c’est comprendre qu’il procède par locutions apparemment simples mais promptes à épouser certain glissement morphique, anamorphique, chorégraphique et toujours lisible ; les faits s’enchaînent, les plans se superposent le plus naturellement du monde, et les métamorphoses qu’il opère demeurent sensibles et attrapables car malgré tout imaginables. Une imagination active, créatrice de chocs ouatés dont il est le premier émerveillé. Gulzar en Plume à contre-emploi, écrit par un Michaux gai, reconnaissant envers la vie et qui jamais ne la subit ?!! Mais un Gulzar avant tout observateur-raconteur, capable de regarder avec ses bésicles de gigantissime peintre l’univers comme une boule à neige et tout à la fois à même de s’y introduire, en lutin microscopique en route vers le cœur du moindre de ses atomes. Enfin, comme il l’écrit lui-même, son geste artistique est aussi celui du couturier. Il raccommode de sa poésie l’étoffe trouée du ciel, répare le monde à la trame de son texte et tient le crachoir avec l’univers depuis le fil de sa parole, la tresse de sa langue.

Est-ce que, comme dans les estampes, on note dans ses rêves éveillés une profondeur distraite, une asymétrie, des aplats de couleur lustrés, une démultiplication des points de vue. Est-ce que nous y contemplons le présent des chose passées, le présent des choses présentes et le présent des choses futures ? Il faudrait à Gulzar le demander !

Extraits

La bouche pleine de murmures, la rivière s’écoule

La bouche pleine de murmures, la rivière s’écoule.
De petits, de tout petits désirs emplissent son cœur...
Elle a passé toute sa vie à serpenter le long du sable.
Escalader le pont sur lequel elle s’écoule... Quel désir fou emplit son cœur !
En hiver, lorsque la brume recouvre son visage tout entier
Et que le souffle de la brise, d’un mouvement léger, essuie son visage et repart
Elle veut au moins une fois s’envoler avec elle
Et disparaître de la forêt !

Parfois, il arrive aussi
Qu’au bruit du train sur le pont, le cours de la rivière se fige un instant, un tout petit instant
Avec ce fol espoir :
Revoir un jour le visage de cette jeune fille qui, en quête d’un fiancé,
Lui avait offert des fleurs et du toulsi...
L’image de cette jeune fille,
Saisie alors sous forme de reflet, en son sein est précieusement nichée !

Viens, allons découdre toutes ces couches de nuages...

Viens, allons découdre toutes ces couches de nuages et regardons...
Elles ont certainement dans leurs manteaux fourrés,
Cousues, de nombreuses poches secrètes.

Palpons leurs poches... et regardons !
Où se nichent les gouttes de pluie ?
Où se cachent les grêlons ?
Où sont les tambours dont le roulement effraie les enfants ?

Dans quelque ceinture doivent être dissimulés le fouet de l’éclair
Ainsi que des ballons gonflés de souffles d’air.
Ne penses-tu pas que ces nuages sont de fins magiciens ?

Cette atmosphère a l’air hagard

Cette atmosphère a l’air hagard,
Cette maison a mal vieilli...

Le bleu des eaux marines est maintenant délavé,
A peine le vent souffle-t-il que tout paraît craquelé...
Les nombreux fragments brûlés du soleil
Qui tombent sur la terre,
On dirait le ciel qui perd toutes ses dents ; oh, comme il a vieilli !

Cette atmosphère a l’air hagard,
cette maison a mal vieilli...

Lorsque je m’arrache à mes montagnes...

Lorsque je m’arrache à mes montagnes,
Il me faut plusieurs jours pour redescendre.
Je reste suspendu en l’air,
Mes pieds ne touchent plus terre !

Des bouquets de ciels dans les bras, mon cœur, lui, ne descend pas.
Les vents enflent. M’attrapant par les côtes,
Les nuits parfois me soulèvent. Me prenant par les aisselles,
Les jours parfois me poussent dans le vent...
Pendant de longs moments, mes pieds ne touchent plus terre !

Nous étions les nouveaux arrivants venus vivre sur la lune

Nous étions les nouveaux arrivants venus vivre sur la lune.
Pas de vent ni d’eau, pas de poussière ni de déchets,
Aucun bruit, aucun mouvement.
Sans gravitation, nos pieds ne peuvent rien toucher
Ni même éprouver la sensation de notre apesanteur !

Rentrons maintenant.
Tant pis, même si nous suffoquons là-bas, peu importe comment elle est,
Retournons vivre sur la terre !

Qu’elle est majestueuse, couleur de bronze, la roche à Chamba

Qu’elle est majestueuse, couleur de bronze, la roche à Chamba !
Et en son beau milieu ruisselle une fissure,
Une source qui tisse un mince filet !
Je l’ai toujours vue comme cela.
Son cordon de pyjama dépasse toujours !

La partie de cache-cache

Un petit morceau de verre
Se cache, blotti sous l’herbe.
Il rit car il projette le soleil dans mes yeux.

Le soleil est joyeux.
Un petit morceau de verre
Posé sur l’herbe s’amuse.
Il me taquine, éclaboussant mes yeux de lumière.

Couvrant mes yeux avec la paume d’une main
Aussitôt je disparais de leurs deux regards.
A travers les doigts, tous deux partent à ma recherche.
Et moi, refermant les yeux,
La tête dans ton giron, je me cache :
Je joue à cache-cache avec l’univers !

Hier, alors que je somnolais la tête posée sur une montagne

Hier, alors que je somnolais la tête posée sur une montagne,
J’ai été réveillé en sursaut par le bruit des pas du ciel.
Hier encore, il est passé tout près de moi ;
Hier encore, il a pillé le trésor de l’univers.
Qui sait combien d’étoiles, combien de planètes étaient là !
J’ai continué à le voir errer toute la nuit.
Soudain, il s’arrête,
Pose son pied sur l’horizon et dit : « Sésame, ouvre-toi ! ».
Le rocher du soleil petit à petit s’écarte
Et la grotte du jour s’ouvre.
Voyant ce trésor, mes yeux se plissent :
Je suis planté là, moi, pauvre Ali Baba avec mon âne.
Dites-moi quelle part de ce butin aurais-je pu emporter ?

Jean Palomba

(Page réalisée grâce à la complicité de Roselyne Sibille)


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