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Entre la vague et le vent, Georges Séféris

mardi 9 janvier 2018, par Cécile Guivarch

En publiant ces poèmes choisis, traduits par Marie-Cécile Fauvin et Catherine Perrel, les éditions la tête à l’envers rendent un magnifique hommage à ce grand poète grec du XXe siècle, Georges Séféris, Prix Nobel en 1963. Poète important par la force et la beauté de l’écriture, il est témoin de son époque, marqué par les guerres mondiales et l’exil. L’écriture, encore influencée par la poésie du XIXe, marque un tournant dans la littérature grecque, introduisant la langue démotique dans sa poésie. Le lecteur est saisi par la douleur qui émane de ces textes : Cet homme va pleurant / nul ne sait dire pourquoi. Le lecteur est également saisi par la lumière que laissent entrevoir les mots de Séféris, once d’espoir : Encore un peu / et nous verrons les amandiers fleurir / les marbres briller au soleil / la mer ondoyer. La poésie de Séféris dit la douleur de l’exil, le retour au pays natal : Nous sommes rentrés brisés dans nos foyers / membres rompus, bouche écorchée par le goût de la rouille et du sel. L’homme blessé par (s)a propre terre évoque le déchirement par la contrainte de quitter sa maison, les siens et la détresse de retrouver un pays qui ne lui ressemble plus. Ainsi, en lisant Entre la vague et le vent, le lecteur n’oublie pas cette période de l’Histoire. Le lecteur a conscience que l’Histoire continue, ne s’interrompt jamais, exils et guerres sont toujours d’actualité.

La préface de Thanassis Hatzopoulos est efficace, permet de revenir sur le parcours du poète et la place occupée par celui-ci dans le monde de la poésie. Les peintures de Harris Xenos, aux teintes rouges et ocres, donnent un touche particulière à ce livre où l’évocation des guerres est omniprésente. Le lecteur remercie également les traductrices, Marie-Cécile Fauvin et Catherine Perrel, qui permettent à ce livre de passer les frontières.

Cécile Guivarch

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L’ange
nous l’avons attendu durant trois ans
scrutant au plus près
les pins le rivage les étoiles.
Unis au soc de la charrue, à la quille du navire,
nous voulions retrouver la première semence
afin que recommence le drame très antique.

Nous sommes rentrés brisés dans nos foyers
membres rompus, bouche écorchée par le goût de la rouille
et du sel.
Au réveil nous avons mis cap vers le nord, étrangers
plongés dans les brumes par les ailes immaculées des
cygnes qui nous blessaient.
Les nuits d’hiver les rafales du vent d’est nous affolaient
les étés nous égaraient dans l’agonie des jours
qui n’en finissaient pas d’expirer.

Nous avons rapporté
ces ciselures d’un art modeste.

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Je me suis réveillé cette tête de marbre entre les mains
qui épuise mes coudes et que je ne sais
où poser.
Elle plongeait dans le rêve tandis que j’en sortais
ainsi nos vies se sont mêlées et elles auront bien du mal
à se séparer.

Je regarde les yeux : ni ouverts ni fermés
je parle à la bouche qui sans cesse veut parler
je soutiens les pommettes qui traversent la peau.
Je n’ai plus de forces.

Mes mains disparaissent et me reviennent
amputées.

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Regret d’avoir laissé un large fleuve filer
entre mes doigts
sans boire une seule goutte.
Je sombre à présent dans la pierre.
Un petit pin sur la terre rouge
pour seule compagnie.
Tout ce que j’ai aimé s’en est allé avec les maisons
qui étaient neuves l’été dernier
et ont croulé au vent d’automne.

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Nous qui étions partis pour ce pèlerinage
nous avons regardé les statues brisées
et songeurs avons dit que la vie après tout ne se perd pas
comme ça
que la mort a des voies insondables
et sa propre loi.

Que lorsque nous mourons debout sur nos deux pieds
fraternisant dans la pierre
unis par la dureté et la fragilité
les morts anciens, échappant au cercle, ont ressuscité
et sourient dans une étrange paix.


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