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Mia Lecomte, traduite de l’italien par Silvia Guzzi

mardi 7 février 2023, par Cécile Guivarch

NUE PROPRIETÉ

Extraits du recueil Lettere da dove (Interno Poesia, 2022)

 

Photo©Carlo Accerboni

Déménagement

Le premier jour ils ont démonté le superflu :
même la partie la moins rêche ne brillait pas
ils ont dû le laisser là

le deuxième consacré à l’emballage :
ils empaquetaient de minuscules nécessités
dans des boîtes à l’horizon
de plus en plus lointain

ledit troisième jour n’est qu’un grand vide
un abysse incapable de tenir debout

(entre-temps il semblerait qu’ait commencé
la sixième extinction de masse)

Sgombero

Il primo giorno hanno smontato il superfluo :
non luccicava neppure sul lato meno ruvido
l’hanno dovuto appoggiare

il secondo dedicato all’imballo :
riponevano necessità piccolissime
in scatole all’orizzonte
più e più lontane

il giorno che si dice terzo è soltanto molto vuoto
un abisso non in grado di stare

(intanto pare abbia avuto inizio
la sesta estinzione di massa)

Entretien extraordinaire

Aujourd’hui quelque chose d’autre s’est brisé
Des détails depuis les fondations
jusqu’au toit dans l’architecture
morceau après morceau
une liste grandissante du passé
vers la destruction complète
La maison où je suis
prolonge le vide
par variations cosmiques
D’ici peu
il ne m’incombera plus de nettoyer
dieu me pardonne
je pourrai autoriser les déchets à se poser

Manutenzione straordinaria

Oggi si è rotto ancora qualcosa
Dettagli dalle fondamenta
al tetto nelle strutture
pezzo a pezzo
un elenco crescente dal passato
verso la completa distruzione
La casa in cui mi trovo
prosegue il vuoto
per cosmiche variazioni
Da qui a breve
pulire non sarà più mio compito
dio mi perdoni
potrò concedere ai detriti di posare

Duetto

Nous sifflotons ensemble
de dos dans ma cuisine
du miroir de ton unique salle de bain
distants à l’unisson
nous nous donnons le monde
s’entend à droite à gauche répond
au son du couple que nous ne sommes pas
il faudrait un chœur des cuivres
beaucoup de cordes une grosse caisse
mais mon sifflement mais ton sifflement
notre air n’est jamais le même
le temps jamais nôtre le corps jamais

Duetto

Fischiettiamo insieme
di spalle nella mia cucina
allo specchio del tuo unico bagno
distanti all’unisono
ci consegniamo il mondo
s’ode a destra a sinistra risponde
al suono della coppia che non siamo
ci vorrebbero un coro dei fiati
molti archi una grancassa
ma il mio fischio ma il tuo fischio
il nostro motivo non è mai lo stesso
mai nostro il tempo mai il corpo

Petit déjeuner avec vue

pour G. (A.) S.

Si tu portes des lunettes
soudain ce matin il me pose la question
et tout à coup j’ignore la réponse
Si oui
quelle est la forme le matériau quelle couleur
si non
que reste-t-il derrière d’important
Je devrais enfourcher mes lunettes à moi
résoudre l’impasse avec une photo
Si je porte des lunettes
je me pose tout doucement la question
Si oui
alors je ne sais pas où je les ai mises
si non
pourquoi au juste chercher
Autour la cuisine de l’enfance
beurre sur le pain
la petite tasse de grand-mère
s’enflamme se désenflamme
aux palpitations du néon qui nous domine tous

Colazione con vista

per G. (A.) S.

Se tu porti gli occhiali
mi chiede stamani all’improvviso
d’un tratto non conosco la risposta
Se sì
qual è la forma il materiale che colore
se no
cosa rimane dietro di importante
Dovrei inforcare i miei di occhiali
risolvere l’impasse con una foto
Se io porto gli occhiali
mi sto chiedendo lentamente
Se sì
chissà dove li ho messi
se no
qual è il motivo vero del cercare
Attorno la cucina dell’infanzia
burro sul pane
la tazzina della nonna
s’infuoca si sfuoca
al palpito del neon che ci sovrasta tutti

Tea time

Vous êtes tous invités
à cinq heures pour le thé dans mon dépôt
parmi les cartons de livres le linge
meubles lampes vêtements chaussures
tableaux une collection de chapeaux
deux parapluies la faucheuse une cruche cassée
Vous vous mettrez où vous voudrez
libres de dire ce que vous voudrez
les tasses toujours emballées dans du papier
l’index uni au pouce
vous siroterez nuit et jour les mains vides
comme les enfants parfois
c’était avec de délicats dés à coudre opalescents

Tea time

Siete tutti invitati
alle cinque per il tè nel mio deposito
tra casse di libri biancheria
i mobili le lampade vestiti scarpe
quadri una collezione di cappelli
due ombrelli la falciatrice un orcio rotto
Potrete accomodarvi ovunque
liberi di dire quello che vorrete
le tazze sempre avvolte nell’imballo
sorseggerete notte e giorno a mani vuote
l’indice giunto al pollice
come bambini a volte
era con fragili ditali opalescenti

Cosmogonies

Il y a tant de réalité
dieu-céleste
je ne peux la porter
je disparais en dessous
il y en a tellement
dieu-béni
tu en sais la juste mesure
c’est pourquoi tu dures éternel
Combien m’est destinée
unique-dieu
combien de réalité en trop
une once suffit :
avec le café il veut un biscuit
c’est lui à côté de moi
Jusqu’où tu ne t’aventures pas
probablement-dieu
là où il m’est possible d’aller

Cosmogonie

C’è così tanta realtà
dio-celeste
non riesco a reggerla
sparisco sotto
ce n’è così tanta
dio-beato
tu ne sai il giusto
per questo duri eterno
Quanta mi tocca
unico-dio
quanta realtà di troppo
ne serve appena :
con il caffè vuole un biscotto
intendo lui qui accanto
Fin dove non ti spingi tu
dio-probabilmente
giusto fin dove arrivo io

Annales

Chaque jour en rentrant à la maison
je n’arrive pas à reconnaître les saisons
pourtant les roses la neige le raisin
il y a ta voix pourtant
à chaque fois des décennies passent
comment faire je ne m’en souviens pas

Annali

Ogni giorno tornando a casa
non riesco a riconoscere le stagioni
eppure le rose la neve l’uva
c’è la tua voce eppure
ogni volta sono trascorsi decenni
non riesco a ricordare come si fa

Mia Lecomte (Milan, 1966) est une poétesse et écrivaine italienne d’origine française. Parmi ses dernières publications, on citera les recueils de poésie Al museo delle relazioni interrotte (2016) et Lettere da dove (2022), de nouvelles Cronache da un’impossibilità (2015) et de contes pour enfants Gli spaesati / Les dépaysés (2019). Ses poèmes ont été traduits dans plusieurs langues et ont paru en Italie et à l’étranger dans de nombreuses revues littéraires et anthologies. En 2012, l’éditeur canadien Guernica en a publié une sélection sous le titre For the Maintenance of Landscape, tandis que les recueils Là où tu as ton corps (Prix Khoury Ghata 2021) et Nuda proprietate ont été publiés en 2020. En 2009, elle a créé la Compagnia delle poete, un groupe théâtral de poétesses étrangères italophones dont elle-même fait partie. Elle est traductrice du français et critique littéraire dans le domaine de la littérature transnationale italophone et, tout particulièrement, de la poésie. On lui doit l’essai Di un poetico altrove. Poesia transnazionale italofona (1960-2016) (2018) et la direction de plusieurs anthologies. Elle est rédactrice du semestriel de poésie comparée Semicerchio et de la revue franco-anglaise La traductière et elle collabore à l’édition italienne du Monde Diplomatique. Elle fait partie des membres fondateurs de l’Agence littéraire transnationale Linguafranca, qui a vu le jour en 2017.

Silvia Guzzi est traductrice de l’italien, de l’anglais et de l’espagnol. Elle traduit notamment des poètes contemporains dont la plupart sont encore inédits en France pour des revues, des blogs et des livres d’art. Elle a récemment traduit la correspondance de L. M. Alcott, Nos têtes audacieuses. Lettres de la créatrice des sœurs March, pour les éditions L’Orma (2022), et les témoignages de survivants au génocide arménien, Paroles d’enfants arméniens 1915-1922 de S. Orfalian, pour Gallimard (2021). Son blog : Traductions.it


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