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Rivka Basman-Ben Hayim, traduite par Zelda Kahan Newman (anglais) et Sabine Huynh (français)

mardi 5 juillet 2016, par Sabine Huynh

Les neuf poèmes suivants ont été écrits en yiddish par RIVKA BASMAN-BEN HAYIM, née en 1925, l’une des plus grandes poètes d’expression yiddish encore en ce monde. Ils ont été traduits en anglais par Zelda Kahan Newman, et en français par Sabine Huynh. Rivka Basman-Ben Hayim et Sabine Huynh se sont rencontrées lors de lectures de poésie au centre culturel yiddish de Tel Aviv, Beit Leyvik. Rivka Basman-Ben Hayim vit en Israël et dirige Beit Leyvik.
Sa poésie porte en partie sur son vécu dans le Ghetto de Vilnius et le camp de concentration de Kaiserwald. Ne connaissant pas le yiddish, ma traduction française est basée sur des versions anglaises réalisées par Zelda Kahan Newman (professeur de littérature à Lehman College, City University of New York), que l’on peut retrouver sur le blog qu’elle a consacré à la poète. Elles sont reproduites ici avec son aimable autorisation. J’ai également pris connaissance de traductions hébraïques de son travail, notamment celle du recueil de poèmes choisis ,  ?? ???? ???? ,« En harmonie avec la pluie » (éditions Keshev, 2010).

(Sabine Huynh & Rivka Basman-Ben Hayim. Image : Adi Doron, 01/05/2016, Beit Leyvik, Tel Aviv, lors d’une lecture de leurs poèmes en Yiddish et en français.)



Stones Boom

I’ve dragged little stones
From the empty graves
And I’ve spoken to them mutely
More mutely than a worm.
I’ve also seen homes
Made only of stones
Where now there lives
No one, no one.
So I soak their prayer up
As a field in the dawn
And I wait day in, day out
For a stone to bloom.

Les pierres fleurissent

J’ai fait rouler des petites pierres
depuis les tombes vides
et je leur ai parlé en silence
plus silencieusement qu’un ver.
J’ai aussi vu des maisons
bâties de pierres uniquement
qui aujourd’hui n’abritent
personne, personne.
Alors je m’abreuve de leur prière
comme un champ à l’aube
et j’attends jour et nuit
qu’une pierre fleurisse.


A Word

A word
Is an apple
A plum
And a dream.

A word can drive out
And bring home
In peace.

A word
Is spring
And winter
And snow.

A word
Strokes
And hurts.

A word
Is an apple
A plum
And a dream.

Un mot

Un mot
est une pomme
une prune
et un rêve.

Un mot peut mener loin
et ramener à la maison
en paix.

Un mot
est printemps
et hiver
et neige.

Un mot
caresse
et fait mal.

Un mot
est une pomme
une prune
et un rêve.


To Myself

First be in the poem
Entirely within the poem
Immersed from head to feet
Then swallow the poem
Like sunny oranges
Bitter-sweet.

À moi-même

Être d’abord dans le poème
entièrement dans le poème
immergée de la tête aux pieds
avaler ensuite le poème
gorgé de soleil comme des oranges
amères.


Remembrance

They remember how I used to write poems
Crying poems,
Silent poems,
On the red cobblestones.
Remember me at the barbed fence
My young skin
Tattooed from barbed points,
To see a teeny-thread of sunset,
Of my own setting in the last sun.
I sang then
And my poem
Was itself our sun.

Souvenir

Ils se souviennent de moi en train d’écrire des poèmes
des poèmes pleins de larmes
des poèmes pleins de silence
sur les pavés rouges.
Ils se souviennent de moi pressant
contre les barbelés ma peau fraîche
tatouée par leurs pointes effilées
pour saisir un rayon ténu de soleil couchant
mon propre déclin dans la dernière lueur.
J’ai chanté alors
et mon poème
à lui seul était notre soleil.


Why
Must we kill
A man
When he dies
Either way
On his own.
Why must we add
Pain to man
When he has
Enough
Of his own.
Why bar for him
A bird’s flight-
When he has
Bars
In himself
Either way.
Pourquoi
devons-nous
Tuer
Un homme
Qui mourra
De toute façon.
Pourquoi devons-nous
Ajouter
De la douleur
À un homme
Qui en a
Déjà
Assez.
Pourquoi lui interdire
L’envol de l’oiseau
Alors qu’il a
Des barreaux
En lui-même
De toute façon.

In silence
I speak Yiddish
« From-out-of-the depths »
By day it’s easier
To speak (Israeli) Hebrew.

Time,
which distracts and escapes
steals the breath
of the two.

En silence
je parle un yiddish
« d’outre-tombe »
en journée c’est plus aisé
de parler l’hébreu (israélien).

Le temps
qui distrait et s’échappe
dérobe aux deux
leur souffle.


One gets sick
From remembering.
I’ll not ask any one
For a cure.
Not show the doctor old letters
So he should discern their breath–
A hot desert wind has
Cast its shadow on me.
On se rend malade
à force de se souvenir.
Je ne demanderai à personne
comment guérir.
Ni ne montrerai au docteur de vieilles lettres
afin qu’il ne puisse discerner leur souffle–
Un vent chaud du désert
m’a recouverte de son ombre.

We Are Uneasy

We are uneasy
From wandering,
We are uneasy
From seeking a cure in the night,
So a star should not
Catch sight.
We are uneasy
From longing
For those who never died
And are dead–
We are uneasy
From dividing a crumb of bread
Into endless pieces,
We are uneasy
From being unable to tell
Ourselves
Of our unease.

Mal à l’aise nous sommes

Mal à l’aise nous sommes
dans cette errance
mal à l’aise
dans cette quête nocturne d’un remède
pour qu’une étoile soit
préservée.
Mal à l’aise nous sommes
de languir
ceux qui sont restés immortels
et qui sont morts–
Mal à l’aise nous sommes
dans le morcellement infini
d’une miette de pain
mal à l’aise
dans l’impossibilité
de pouvoir partager
notre mal-être.


My Field

My field,
My most intimate field
With sun in your veins,
Just as I took thorns out
Of your body
Now you help me
Patch up my own ache.

Mon champ

Mon champ
mon champ le plus intime
tes veines gorgées de soleil,
j’ai retiré les épines
de ton corps
en retour tu m’aides
à panser mes blessures.




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