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Huit poètes du Chiapas par Nicole Laurent-Catrice

mercredi 11 octobre 2017, par Cécile Guivarch

L’état de Chiapas au sud-est du Mexique est une région d’une grande richesse culturelle de part son métissage avec plusieurs ethnies amérindiennes.
Outre les poètes indigènes qui ont été présentés dans un numéro précédent de la revue, de grands poètes hispanophones se revendiquent de cette appartenance et ont enrichi magnifiquement la littérature mexicaine.
J’en ai rencontré huit d’entre eux que je citerai par ordre alphabétique.


Juan Bañuelos

né en 1932 à Tuxla Gutiérrez, la capitale de l’état, a vu ses poèmes écrits sur les murs par les étudiants lors du soulèvement de 1968. Professeur d’université, vers la fin de sa vie il orientait sa poésie vers les mythes mayas. Il vient de disparaître en mars de cette année.

Profecía inmediata

Me salgo de esta hoja.
No sirve ya el papel.
No sirve el llanto.

Vengo de dar un doble puñetazo
En la mesa del hambre y de la usura.
Vengo de atar el miedo a un rayo desbocado,
De recoger la nieve que desciende,
De convertir mi alma en una seca piel.
Vengo de dibujar el blanco
De una bala en mi frente,
De llevar la mañana a los ojos nublados,
De sacar a la calle al luto y a la fiebre.

No sirve ya el papel.
No sirve el llanto.
Escribo en las paredes.

Prophétie immédiate

Je me passe de cette feuille.
Le papier ne sert plus à rien.
Non plus les pleurs.

Je viens de donner un double coup de poing
Sur la table de la faim et de l’usurier.
Je viens d’attacher la peur à un éclair effréné,
De recueillir la neige qui tombe
De convertir mon âme en cuir sec.
Je viens de dessiner la cible
D’une balle sur mon front.
D’apporter le matin aux yeux embrumés,
De jeter à la rue le deuil et la fièvre.

Le papier ne sert plus à rien.
Non plus les pleurs.
J’écris sur les murs.

Palabras permanentes

Yo ya no sé ni dónde o qué vivimos.
Como perro increíble, con gusanos
De sombra y liquen somos tan humanos
Que nos niegan los ojos lo que vimos.

Lo que nos duele hoy lo presentimos
Cuando al tocar el corazón las manos
Gimió una voz para decir :"Oh danos,
Humanidad, en paz, el pan que hicimos".

Y no era lengua de ceniza aquella,
Tampoco fueron labios carcomidos.
Fue la boca y la luz de una centella :

Rompió paredes, propagó sonidos,
Voz de la patria que espaciosa sella
El viento, el sol y el mar con sus latidos.

Paroles permanentes

Moi je ne sais ni où ni comment nous vivons.
Comme un chien incroyable, avec de la vermine
D’ombre et de lichen nous sommes si humains
Que nous n’en croyons pas nos yeux.

Ce qui nous fait mal nous l’avons pressenti
Quand les mains touchent notre cœur
Une voix gémit pour dire :"Oh ! donne-nous,
Humanité, en paix, le pain que nous avons fait."

Et cette langue n’était pas langue de cendre,
Ni les lèvres mangées aux vers.
Ce fut la bouche et la lumière d’une étincelle :

Elle a brisé les murs, propagé les sons,
Voix de la patrie qui scelle spacieuse
Le vent, le soleil et la mer avec ses battements.

Donde sólo se habla de amor

A los hombres, a las mujeres
que aguardan vivir sin soledad,
al espeso camaleón callado como el agua,
al aire arisco (es el aire un pájaro atrapado),
a los que duermen mientras sostengo mi vigilia,
a la mujer sentada en la plaza vendiendo su silencio.
En fin, diciendo ciertas cosas reales
en una lengua unánime, amorosa ;
a los niños que sueñan en las frutas
y a los que cantan canciones sin palabras en las noches
compartiendo la muerte con la muerte,
los invito a la vida
como un muchacho que ofrece una manzana,
me doy fuego
para que pasen bien estos días de invierno.
Porque una mujer se acuesta a mi lado
y amo al mundo.

Où on ne parle que d’amour

Les hommes, les femmes
qui attendent de vivre sans solitude,
le caméléon épais muet comme l’eau,
l’air aigre (l’air est comme un oiseau en cage)
ceux qui dorment pendant que je prolonge ma veille,
la femme assise sur la place vendant son silence.
Enfin, disant certaines choses réelles
dans une langue unanime, amoureuse ;
les enfants qui rêvent de fruits
et ceux qui chantent des chansons sans paroles la nuit
partageant la mort avec la mort,
je les invite à la vie
comme un garçon qui offre une pomme,
je me donne du feu
pour qu’on passe bien ces jours d’hiver.
Parce qu’une femme couche à mon côté
et que j’aime le monde.


Rosario Castellanos

née à Mexico en 1925 a passé toute son enfance au Chiapas d’où sa famille est originaire. Elle est surtout connue pour ses romans qui ont cette région pour cadre (Balún Canán et Office des ténèbres). Sa poésie très cohérente a pour thèmes l’amour et le sens de la vie. Ambassadrice en Israël, elle est morte à Tel-Aviv en 1974.

Dos meditaciones

I
Considera, alma mía, esta textura
áspera al tacto, a la que llaman vida.
Repara en tantos hilos tan sabiamente unidos
y en el color, sombrío pero noble,
firme, y donde ha esparcido su resplandor el rojo.
Piensa en la tejedora ; en su paciencia
para recomenzar
una tarea siempre inacabada.

Y odia después, si puedes.

II
Hombrecito, ¿qué quieres hacer con tu cabeza ?
¿Atar al mundo, al loco, loco y furioso mundo ?
¿Castrar al potro Dios ?

Pero Dios rompe el freno y continúa engendrando
magníficas criaturas,
seres salvajes cuyos alaridos
rompen esta campana de cristal.

Deux méditations
I
Considère, mon âme, cette texture
rugueuse au toucher, qu’on appelle la vie.
Regarde tous ces fils savamment unis
et la couleur, sombre mais noble,
ferme, et où le rouge a répandu sa splendeur.
Pense à la tisseuse ; à sa patience
pour recommencer
une tâche toujours inachevée.

Et peux-tu haïr après cela ?

II
Petit homme, que veux-tu faire avec ta tête ?
Attacher le monde, le fou, fou furieux monde ?
Châtrer le poulain Dieu ?

Mais Dieu brise son frein et continue à engendrer
de magnifiques créatures,
des êtres sauvages dont les hurlements
brise cette cloche de cristal.


Elva Macías

née en 1944 à Tuxla Gutiérrez. Elle a vécu deux ans en Chine avec son mari Eraclio Zepeda, puis à Moscou où elle enseigna l’espagnol.

Casa abierta

En las caballerizas las bestias jadean,
han traído los beneficios de la huerta :
el aroma de racimos recién cortados
invade el patio.
En el jardín
merodean los pavones, los alcaravanes
entre el almendro, el tamarid y las rosas.
Pies descalzos se prodigan en los corredores.
En la mesa se extienden frutos habituales,
todo es festinado en el quehacer o la holganza.
Cada mañana
las puertas se abren de par en par :
en el zaguán hallan reposo el loco y el mendigo,
y los viajeros,
sin traspasar los cerrojos,
se cobijan del sol a mediodía.
___ (Lejos de la memoria)

Maison ouverte

Dans les écuries les bêtes renaclent,
on a rapporté les produits du potager :
le parfum de grappes fraîchement coupées
envahit le patio.
Dans le jardin
maraudent les paons, les échassiers
parmi l’amandier, le tamaris et les roses.
Des pieds nus se répandent dans les couloirs.
Sur la table s’étalent les fruits habituels,
tout s’active dans les tâches ou l’amusement.
Chaque matin
les portes s’ouvrent tout grand :
dans le vestibule trouvent le repos le fou et le mendiant,
et les voyageurs,
sans franchir les portes,
s’abritent du soleil à midi.
___ (Loin de la mémoire)

Bajo tu aliento en reposo
el claroscuro de la piel de nutria.

Afuera el viento eriza hilos de cobre :
pastos maduros que no alcanzan
a comer los ganados
por la vastedad de tus dominios.

Sobre un montículo la tienda regia
donde trazan su estrategia tus guerreros.

El sol pace entre nubes
y sobre la estepa avanzan
sus rebaños de luz.
(Ciudad contra el cielo)

Sous ton haleine au repos
le clair-obscur de la peau de loutre.

Dehors le vent hérisse des fils cuivrés :
prairies mûres que ne parvient pas
à manger le bétail
tant sont vastes tes domaines.

Sur un tertre la tente somptueuse
où tracent leur stratégie tes guerriers.

Le soleil broute parmi les nuages
et dans la steppe avancent
ses troupeaux de lumière.
(Ville contre le ciel)


Ámbar Past

née en 1949 aux États-Unis vit depuis si longtemps au Chiapas à San Cristobal de las Casas (qu’elle appelle San Crisis, autant dire Sainte Crise) et a tellement fait sienne la cause des femmes indigènes qu’on ne peut l’omettre dans ce panel. Dans un précédent numéro de la revue (1916) on a pu lire des poèmes de femmes tsotsiles recueillis et traduits en espagnol par Ámbar et aussi des poèmes d’elle dans un numéro d’octobre 2015. On va voir que sa poésie, tourmentée par l’image d’une mère défaillante, a su garder son originalité.

Bajo seudónimo
(cartas que nunca mandó mi madre)

(Me dolió dar a luz a mi madre.
Dice que nació muerta.
Dice que duele más de lo que dicen.

Estoy más y más ciega.
Ya no oigo gritar a sus sábanas.
No me duele.
Ya casi no me duele.)

Extraits de Lettres anonymes
(que ma mère ne m’a jamais envoyées)

(Cela me fit mal d’accoucher de ma mère
Elle dit qu’elle est née morte
Elle dit qu’elle a plus mal qu’on ne le dit.

Je suis de plus en plus aveugle.
Je n’entends plus crier ses draps.
Je n’ai pas mal.
Je n’ai presque plus mal.)

1
Hija : Soy tu terrible madre.

Lo único que te puedo heredar
es este ataúd que era tu cuna.
Olvídate de mí.
Es el mejor regalo para mi soledad.
Nunca te quise.
No quise nunca
a nadie que me quiso.

Te deshice a mi modo
como otras deshilachan manteles.
Era mi trabajo
para que te acordaras de tu madre.

Hija, quise aguantar
pero la mentira es para mí
un sol falso que ilumina la noche.

¿Para qué tanta vida ?

I
Ma fille Je suis ta terrible mère.

La seule chose que je puisse te léguer
est ce cercueil qui était ton berceau.
Oublie-moi.
C’est le plus beau cadeau pour ma solitude.
Je ne t’ai jamais aimée.
Je n’ai jamais aimé
personne qui m’ait aimée.

Je t’ai mise en charpie à ma manière
comme d’autres effilochent des nappes.
C’était mon travail
pour que tu te souviennes de ta mère.

Ma fille, j’ai voulu assumer
mais le mensonge est pour moi
un soleil faux qui éclaire la nuit.

Pourquoi tant de vie ?

2
Soy la más terrible,
la única que tienes.
Soy tu arena movediza.
De mis pechos sale el fuego que arde en tu boca.
De mis pezones un río de lava
ha vuelto en piedra tu risa.
Si duermes te entierro.
Soy cada noche más

volcán.
II
Je suis la plus terrible
la seule que tu aies.
Je suis tes sables mouvants.
De ma poitrine sort le feu qui brûle en ta bouche.
De mes seins un fleuve de lave
qui a changé ton rire en pierre.
Si tu dors je t’enterre.
Chaque nuit je suis de plus en plus

volcan.

___ (Ouragante, éd. Le frisson esthétique)

Jaime Sabines

né 1925 à Tuxla Gutiérrez, mort à México en 1998, est un des poètes les plus populaires au Mexique. Sa poésie charnelle et torturée revêt des accents très familiers pour dire l’amour de la vie et la destruction des corps. Son long poème en hommage à son père : Algo sobre la muerte del Mayor Sabines à la fois tendre et cruel l’a propulsé d’emblée aux premiers rangs de la poésie.

Ay, Tarumba, tú ya conoces el deseo.
Te jala, te arrastra, te deshace.
Zumbas como un panal.
Te quiebras mil y mil veces.
Dejas de ver mujer cuatro días
porque te gusta desear,
te gusta quemarte y revivirte
, te gusta pasarles la lengua de tus ojos a todas.
Tú, Tarumba, naciste en la saliva,
quién sabe en qué goma caliente naciste.
Te castigaron con darte sólo dos manos.
Salado Tarumba, tienes la piel como una boca
y no te cansas.
No vas a sacar nada
. Aunque llores, aunque te quedes quieto
como un buen muchacho.
Ah ! Tarumba, tu connais bien le désir.
Il te tire, te traîne, te démolit.
Tu bourdonnes comme un rayon de miel.
Tu te brises mille et mille fois.
Tu cesses de voir des femmes pendant quatre jours
car tu aimes désirer,
tu aimes brûler et revivre,
tu aimes les caresser toutes de la langue de tes yeux.
Toi, Tarumba, tu es né de la salive,
qui sait dans quel chaud caoutchouc tu es né.
Tu es puni de n’avoir reçu que deux mains.
Malheureux Tarumba, tu as la peau comme une bouche
et tu ne t’en fatigues pas.
Tu ne vas rien obtenir.
Que tu pleures ou que tu restes tranquille
comme un bon garçon.
Yo no lo sé de cierto...
Yo no lo sé de cierto, pero lo supongo
que una mujer y un hombre
algún día se quieren,
se van quedando solos poco a poco,
algo en su corazón les dice que están solos,
solos sobre la tierra se penetran,
se van matando el uno al otro.

Todo se hace en silencio. Como
se hace la luz dentro del ojo.
El amor une cuerpos.
En silencio se van llenando el uno al otro.

Cualquier día despiertan, sobre brazos ;
piensan entonces que lo saben todo.
Se ven desnudo y lo saben todo.

Je ne le sais pas avec certitude
Je ne le sais pas avec certitude, mais je le suppose
qu’une femme et un homme
un beau jour s’aiment,
ils restent de plus en plus seuls,
quelque chose dans leur cœur leur dit qu’ils sont seuls,
seuls sur la terre ils se pénètrent,
ils se tuent l’un l’autre.

Tout se fait en silence. Comme
se fait la lumière dans l’œil.
L’amour unit les corps.
En silence ils se comblent l’un l’autre.


Un beau jour ils se réveillent, sur les bras ;
ils pensent alors qu’ils savent tout.
Ils se voient nus et ils savent tout.
I
Déjame reposar,
aflojar los músculos del corazón
y poner a dormitar el alma
para poder hablar,
para poder recordar estos días,
los más largos del tiempo.

Convalecemos de la angustia apenas
y estamos débiles, asustadizos,
despertando dos o tres veces de nuestro escaso sueño
para verte en la noche y saber que respiras.
Necesitamos despertar para estar más despiertos
en esta pesadilla llena de gentes y de ruidos.

Tú eres el tronco invulnerable y nosotros las ramas,
por eso es que este hachazo nos sacude.
Nunca frente a tu muerte nos paramos
a pensar en la muerte,
ni te hemos visto nunca sino como la fuerza y la alegría.
No lo sabemos bien, pero de pronto llega
un incesante aviso,
una escapada espada de la boca de Dios
que cae y cae y cae lentamente.
Y he aquí que temblamos de miedo,
que nos ahoga el llanto contenido,
que nos aprieta la garganta el miedo.

Nos echamos a andar y no paramos
de andar jamás, después de medianoche,
en ese pasillo del sanatorio silencioso
donde hay una enfermera despierta de ángel.

Esperar que murieras era morir despacio,
estar goteando del tubo de la muerte,
morir poco, a pedazos.

No ha habido hora más larga que cuando no dormías,
ni túnel más espeso de horror y miseria
que el que llenaban tus lamentos,
tu pobre cuerpo herido.
___ (Algo sobre la muerte del Mayor Sabines)
I
Laisse-moi reposer,
détendre les muscles du cœur
et laisser l’âme somnoler
pour pouvoir parler,
pour rappeler ces jours
les plus longs qui soient au temps.

Nous sommes à peine convalescents de l’angoisse
et nous demeurons faibles, effrayés,
nous éveillant deux ou trois fois de notre rare sommeil
pour aller te voir la nuit et savoir que tu respires.
Nous avons besoin de nous réveiller pour être plus éveillés
dans ce cauchemar plein de gens et de bruits.

Tu es le tronc invulnérable et nous les branches,
c’est pourquoi ce coup de hache nous ébranle.
Jamais face à ta mort nous ne nous sommes arrêtés
sur l’idée de la mort,
et nous ne t’avons jamais vu que comme la force et la joie.
Nous ne savons pas bien, mais soudain parvient
un avis incessant,
une épée échappée de la bouche de Dieu
qui tombe et tombe et tombe lentement.
Et voilà que nous tremblons de peur,
que nous étouffons de pleurs contenus,
que la peur nous serre la gorge.

Nous nous mettons à marcher et ne cessons
de marcher jamais, après minuit,
dans ce couloir de l’hôpital silencieux
où veille une infirmière ange.

Attendre que tu meures c’était mourir lentement,
s’écouler du goutte à goutte de la mort,
mourir un peu, à petits coups.

Il n’y a pas eu d’heure plus longue que celle où tu ne dormais pas,
ni de tunnel plus épais d’horreur et de misère
que celui qu’emplissaient tes gémissements,
ton pauvre corps blessé.
___ (Quelque chose sur la mort du Major Sabines)

Socorro Trejo Sirvent

née en 1954 à Tuxla Gutiérrez est journaliste et professeur dans sa ville natale. Conteuse, poète et critique elle a dirigé des ateliers de création littéraire.

Habría que hablar de ti

Habría que hablar de ti con otras voces
Cañón
Espada de la Historia
Cuna de las sorpresas

Habría que hablar de ti
con canto de quetzal o guacamaya
transformarse en lagarto
en puma
en frágil mariposa

El tiempo se adueñó de ti
y te ha cambiado

Atrás quedó la niña selva
que nos miraba desde abajo
guardando su misterio

Atrás quedó la fauna virgen
la algarabía del mono
la serpiente y su canto

Hoy
habría que hablar de ti
con el sonido constante de tus rápidos
caminar sobre la huella que dejó algún jaguar
y respirar orquídeas

Hoy me pregunto
si estás conforme ahora
que has perdido tu infancia
Si no extrañas llorosa la risa de los monos
al gigantesco bagre
al agua inmaculada

Selva Río Cañón del Sumidero
no me mires así
tan sólo quise hablarte

(Para decir mañana)

Il faudrait parler de toi

Il faudrait parler de toi avec d’autres voix
Canyon
Épée de l’Histoire
Berceau des surprises

Il faudrait parler de toi
avec un chant de quetzal ou de perroquet
se changer en alligator
en puma
en papillon fragile

Le temps s’est emparé de toi
et t’a transformé

Loin derrière la forêt enfant
qui nous regardait d’en bas
gardant son mystère

Loin derrière est restée la faune vierge
le tapage du singe
le serpent et son chant

Aujourd’hui
Il faudrait parler de toi
avec le bruit constant de tes rapides
marcher sur la trace laissée par un jaguar
et respirer les orchidées

Aujourd’hui je me demande
si tu es assagi maintenant
que tu as perdu ton enfance
Si tu ne regrettes pas en pleurs le rire des singes
le silure géant
l’eau immaculée

Forêt Fleuve Canyon du Sumidero
Ne me regarde pas comme ça
j’ai seulement voulu te parler

NB Le canyon du Sumidero est un site magnifique que l’on peut parcourir en barque au milieu des alligators.


Marisa Trejo Sirvent

née en 1956 à Tuxla Gutiérrez est professeur d’Université en science de l’éducation et Lettres hispaniques. Elle a vécu deux ans à Paris, un an aux Antilles et a enseigné le français au Mexique. Elle a écrit de nombreux articles, des recueils de poèmes et des contes. Sa poésie est très charnelle, souvent érotique.

La piedra eterna de las ruinas

Volver sobre mis pasos
Amar bajo la fronda verde agua
Sentir la brisa suave de la selva
Las hojas que se rozan
Olor a barro fresco
A planta joven
A musgo antiguo
El aroma de lirios que cuelgan
De grandes guayacanes
La maleza que entierra
Tesoros de los mayas
El viento que guarda
La memoria de otros años
Que parece que vuelven del pasado
Mientras el río desciende
Pausadamente
Como la imagen del Dios maya
sobre la piedra eterna de las ruinas.

La pierre éternelle des ruines

Retourner sur mes pas
Aimer sous les frondaisons vert d’eau
Sentir la douce brise de la forêt
les feuilles qui se frôlent
odeur de boue fraîche
de jeune plante
de mousse ancienne
l’arôme des iris qui pendent
des grands gaïacs
la broussaille qui enterre
les trésors des mayas
le vent qui garde
la mémoire d’autres années
qui semblent revenir du passé
tandis que le fleuve descend
posément
comme l’image du Dieu maya
sur la pierre éternelle des ruines.

Buhardilla

Estreno buhardilla.
Los motivos de regocijo son muchos,
no hay luz, tres velas bastan,
tampoco hay calefacción.
Estamos en primavera.
No hay gas.
De todos modos
nadie quería suicidarse.
La ventana es grande
y las palomas vienen a cagar en el balcón.
Un lazo suficientemente podrido
para aguantar tus calcetines y los míos.
En Europa esto puede tomar
matices melodramáticos
cuando el suelo es de madera
y abajo la vecina
tiene treinta años de estar jubilada.
Todavía se perciben los humores
de los antiguos inquilinos,
todo va bien,
llueve, no hay sol.
Tú y yo discutimos más que de costumbre,
hablamos poco,
leemos mucho
y cuando nos durmamos
soñaremos con una casita de palmas
al lado del mar.

Mansarde

J’étrenne notre mansarde
et bien des motifs de réjouissance.
Pas de lumière, trois bougies suffisent
ni de chauffage
c’est le printemps.
Pas de gaz
de toute façon
personne n’a envie de se suicider.
La fenêtre est grande
et les pigeons laissent leurs fientes sur le balcon.
Une corde plutôt pourrie
peut supporter tes chaussettes et les miennes.
En Europe cela pourrait prendre
un ton mélodramatique
quand le sol est du plancher
et que la voisine du dessous
est retraitée depuis trente ans.
On perçoit encore les humeurs
des anciens locataires.
Tout va bien
il pleut, pas de soleil.
Toi et moi discutons plus qu’à l’habitude
nous parlons peu
lisons beaucoup
et quand nous nous endormirons
nous rêverons d’une paillote
au bord de la mer.


Eraclio Zépeda

né en 1937 à Tuxla Gutiérrez, mort en 2015, a été professeur de littérature au Mexique et à Cuba. Il a vécu plusieurs années à Moscou. Poésie simple et proche des choses de la terre.

ASELA Eres la mar profunda habitada de sorpresas : hay peces extraños en tu vientre, sueños de marino en baranda, viejos navíos sepultados en el fondo.

En el centro que vibra con las olas guardas un nido brutal de tiburones, una perla que se agita entre mis labios, un banco de coral bajo el delirio.

Tú eres la mar con alegres bocanadas, arenas que me cubren en la playa y algas que en mis puños se derraman.

Tú eres la mar : me hundo en tus regiones, adentro, construyo, te alabo,
¡Hosanna ! ¡Hosanna !
......................................................................
Espuma a punto de ser piedra,
has emergido como una isla
que hiciera hervir la sal del mar.

Tierra para fundar la casa,
piedra sobre la cual edificarme,
traza de una ciudad futura
llevas en los flancos,
anuncio de un pueblo por venir.

Ya no puedes partir, eres la tierra.
En ti todo misterio tiene acomodo.
Al idioma son inhóspitas tus eras,
a tu corazón se me queda amarrada la sintaxis.

Por tus ojos me lanzo e pos de los sucesos.
Inicio una observancia de prodigios,
una común visión de los metales
y una clara embriaguez me sube al punto.

De tus ojos planetarios vengo y voy a los asombros.
A través de tu mirada contemplo el silbo
que del árbol se desprende.

Toda tú eres a mi cuerpo la pupila.
Alegía vendaval en tu cintura
me señalas trritorios y marismas,
días que se granan en próximas mazorcas.

......................................................
Dormir a tu lado es desandar lo conocido,
regresar hacia lo hondo,
ir encontrando la señales dejadas en los meses,
hacia el viento que sostuvo mi interés del árbol.
En mis brazoste construyo y te derribo.
Te invento aptitudes y problemas.
Te habito los ojos con la risa
y la risa te habito con sucesos.
Te abono los nocturnos con semillas.
Eres pila bautismal de mis encuentros.
Te entrego diariamente un nombre nuedo.
Nos hundimos en la sal de olas sucesivas
y aparezco ante tus muslos transformado.
¡Qué proyecto de asombro constituyes !

Este amor tiene más furia que el mar.

(Relación de travesía)

ASELA Tu es la mer profonde habitée de surprises : il y a des poissons étranges en ton ventre, des rêves de marins au bastingage, de vieux navires ensevelis dans les fonds.

Dans le centre qui vibre sous les vagues tu gardes un nid féroce de requins, une perle qui s’agite entre mes lèvres, un banc de corail sous le délire.

Tu es la mer aux joyeuses bouffées, le sable qui me recouvre sur la plage et qui s’écoule entre mes doigts.

Tu es la mer : je m’enfouis dans tes contrées, au dedans, je construis, je te célèbre,
Hosanna ! Hosanna !
.....................................
Écume sur le point d’être pierre
tu as émergé comme une île
qui ferait bouillir le sel de la mer.

Terre pour fonder la maison,
pierre sur laquelle m’édifier
trace d’une ville future
que tu portes en tes flancs
annonce d’un peuple à venir.

Tu ne peux partir, tu es la terre.
En toi tout mystère s’accommode.
Tes saisons n’abritent pas la langue,
à ton cœur je garde amarrée la syntaxe.

Par tes yeux je me lance en quête des événements.
J’apprends le respect des prodiges
une commune vision des métaux
et une claire ivresse me soulève aussitôt.

Je viens de tes yeux planétaires et vais vers des étonnements.
Par ton regard je contemple le sifflement
qui de l’arbre s’échappe.

Tu es toute pupille à mon corps.
Joyeuse bourrasque à ta ceinture
tu me signales territoires et marécages,
les jours qui grainent dans de prochains épis de maïs.

..............................................
Dormir à ton côté c’est oublier ce qui est connu,
retourner au plus profond,
aller à la rencontre des signes laissés sur les mois,
vers le vent qui a soutenu mon intérêt pour l’arbre.
Dans mes bras je te construis et je t’abats.
Je t’invente des aptitudes et des problèmes.
J’habite tes yeux avec mon rire
et j’habite ton rire avec les événements.
J’amende tes nocturnes avec des semences.
Tu es le baptistère de mes rencontres.
Chaque jour je te donne un nom nouveau.
Nous nous enfonçons dans le sel des vagues successives
et j’apparais transformé devant tes cuisses.
Quel avenir d’étonnement tu bâtis !

Cet amour a plus de furies que la mer.

(Récit de traversée)


Bibliographie.
Poetas de Chiapas, anthologie bilingue, traduction Claude Couffon, éditions Caractères
Ouragante, Ambar Past, traduction Nicole Laurent-Catrice, éditions Le Frisson esthétique

Nicole Laurent-Catrice


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