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Laura Corraducci, traduite de l’italien par Alain Bourdy

lundi 3 octobre 2022, par Cécile Guivarch

Lucidarle una alla volta le parole
con un panno e la mano che trema
mentre le tengo chiuse fra le dita
così finisce sempre che qualcuna
scivola per terra e si frantuma
per quanto provi a ricomporla
so bene che non tornerà mai una
non farò che arrivare anche stasera
davanti alla porta con un canto rotto
a cercarti nella linea della fronte
la bellezza antica di una profezia

les lustrer un par un les mots
avec un chiffon et la main qui tremble
tandis que je les garde entre mes doigts
ainsi il y en a toujours un qui finit
par glisser à terre et se briser
j’ai beau essayer de le réparer
je sais bien qu’il n’en sortira jamais indemne
je ne ferai que parvenir ce soir encore
devant la porte avec un chant brisé
pour chercher dans la ligne de ton front
la beauté ancienne d’une prophétie

da quella città volli prendere una lampada
e accesi un amore in terra straniera
che arroventasse il freddo e la paura
non furono poi tante le strade davanti
io vidi solo un viottolo di sterpi e di foglie
e la sottana nera ondeggiarti sulle scarpe
se esiste fede dentro una promessa
sa di sangue che guarisce la ferita
perché tu sia sempre il passo che mi precede
la linea di confine che ho voluto attraversare

de cette ville j’ai voulu prendre une lampe
et j’ai allumé un amour en terre étrangère
afin qu’il brûle le froid et la peur
il n’y avait guère de rues devant moi
je n’ai vu qu’un sentier de brindilles et de feuilles
et la jupe noire ondoyer sur tes chaussures
si la foi existe au cœur d’une promesse
elle a le goût du sang qui guérit la blessure
pour que tu sois toujours le pas qui me précède
la ligne de frontière que j’ai voulu traverser

a Tadeusz Pankiewicz, farmacista polacco del ghetto
di Cracovia
che scelse di rimaner nel ghetto fino alla fine, portando
aiuto
e rischiando la propria vita durante le atroci fasi di
rastrellamento.
La sua farmacia aveva nome “All’Aquila”

mio padre aveva una farmacia all’angolo
dove l’aquila dall’alto spiegava le sue ali
e vedeva uomini e donne fermi in piedi coi soldati
le madri stringersi i seni nei vestiti
i vecchi quelli che venivano per primi
soli con i volti allungati delle capre
e il cielo caricato tutto sulla schiena
poi le donne con i capelli legati alle forcine
il velo delle lacrime strappato via dagli occhi
i bambini non avevano il permesso di gridare
una striscia di universo che cadeva obliqua sulla piazza
solo qualche sparo ogni tanto a coprire le voci
e mio padre ogni mattina sistemava bene i suoi composti
le stelle Dio le ha portate via dal firmamento
adesso brillano tutte sulla lana dei cappotti
e “in quelle” mi diceva “ci dobbiamo specchiare”

à Tadeusz Pankiewicz, pharmacien polonais du ghetto de Cracovie
qui choisit de rester dans le ghetto jusqu’à la fin, apportant de l’aide
et risquant sa vie pendant les périodes atroces du ratissage.
Le nom de sa pharmacie était « À l’Aigle »

mon père avait une pharmacie à l’angle
où d’en haut l’aigle déployait ses ailes
et voyait des hommes et des femmes debout mêlés aux soldats
les mères serrant leurs seins dans leurs vêtements
les vieux venaient en premier
seuls aux visages caprins allongés
avec tout le poids du ciel sur le dos
puis les femmes les cheveux noués aux épingles
le voile des larmes arraché de leurs yeux
les enfants n’avaient pas la permission de crier
un pan d’univers tombait en travers de la place
seuls quelques tirs couvrant parfois les voix
et mon père chaque matin arrangeait bien ses composés
les étoiles Dieu les a retirées du firmament
maintenant elles brillent toutes sur la laine des manteaux
et « dans celles-ci » me disait-il « nous devons nous refléter »

A Etty Hillesum

il cielo si è chiuso nel ventre
il gelo ha spezzato il tuo piede
ti ha vista cadere in ginocchio
sul tuo gelsomino gridare
e sale di zolfo e trionfo
esala dai polsi di vetro
nel campo partorivi il tuo fiore
le doglie dei giorni infiniti
rinascevano in bocca la sera
coi denti caduti per terra
lucidavi le labbra di Dio

à Etty Hillesum

le ciel s’est refermé dans ton ventre
le gel t’a brisé le pied
il t’a vue tomber à genoux
implorer sur ton jasmin
et c’est du sel soufré et un triomphe
qu’il exhale de ses poignets de verre
dans le camp tu enfantais ta fleur
les douleurs des jours sans fin
renaissaient dans ta bouche le soir
et les dents tombées par terre
tu lustrais les lèvres de Dieu

Poesie per la Venere senza braccia

alla danzatrice Simona Atzori nata senza gli arti
superiori

da bambina il vento lo chiamavo a voce alta
si aggrappava stretto ai vestiti per cadere
ai lati dove le onde si facevano più alte
danzavamo soli nel buio delle scale
il fiato corto e i piedi sollevati
con le voci delle madri dietro le porte
e solo i gatti che si fermano a guardare

Poèmes pour la Vénus sans bras

à la danseuse Simona Atzori née sans les membres supérieurs

dans mon enfance j’appelais le vent à voix haute
il s’agrippait fermement à mes habits pour retomber
aux endroits où les vagues devenaient plus hautes
nous dansions seuls dans l’obscurité des escaliers
à bout de souffle et soulevant les pieds
avec les voix de nos mères derrière les portes
et seuls les chats qui s’arrêtaient pour regarder

posso svelarti il cammino che porti nei passi
ascoltare il respiro scendere nel ventre
e il sangue fartelo scivolare sulle gambe
la perfezione è catena ai polsi del servo
so volare nei tuoi occhi soltanto con un’ala

je peux te révéler le chemin que tu adoptes dans tes pas
écouter ton souffle descendre dans le ventre
et ton sang le faire affluer sur les jambes
la perfection est une chaîne aux poignets de son esclave
je peux m’envoler dans tes yeux d’un seul coup d’aile

quando le sedie rimangono vuote
io vedo questo abito farsi più scuro
e nessuno ricordare più il nome
allora sento la vita compiersi ancora
insieme al dolore bagnato di un fiore
nel passo danzante dell’obbedienza

lorsque les chaises restent vides
je vois cet habit devenir plus sombre
et personne ne se souvient de mon nom
alors je sens la vie s’accomplir encore
en harmonie à la douleur humide d’une fleur
dans le pas de danse de l’obéissance

Laura Corraducci est née à Pesaro, où elle s’est établie en 1974. Elle enseigne la langue et la littérature anglaise dans sa ville, où depuis 2012 elle organise chaque année en collaboration avec le ministère de la culture une série d’événements au sein du festival « Vaghe stelle dell’Orsa » dédié à la poésie contemporaine italienne et étrangère.
Elle a publié en 2007 son premier recueil de poésie Lux Renova, auquel a succédé en 2015 Il canto di Cecilia e altre poesie.
Les poèmes suivants sont extraits du recueil Il passo dell’obbedienza (Le pas de l’obéissance) (Moretti & Vitali, 2020).

Après une licence en langue et littérature italienne, Alain Bourdy a continué d’approfondir sa connaissance de la culture et de la poésie italienne pour laquelle il se passionne particulièrement.
Il a effectué de nombreuses traductions en français de divers poètes italiens contemporains qu’il a lues régulièrement pendant quelques années à la Maison de la Poésie d’Avignon, et dont quelques-unes sont parues dans des revues.


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