Ülkü Tamer (1937-2018)
Poète turc, comédien et traducteur.
Ülkü Tamer était un des représentants du courant poétique des années 50 Le Second Nouveau. Avec la poète Sezai Karakoç, il était le dernier représentant encore en vie de ce courant.
Né en 1937 à Gaziantep, dans le sud-est de la Turquie, il y passe son enfance. Il continue ses études secondaires à Istanbul et il en sort en 1958, diplômé du Lycée Robert (lycée anglophone réputé). Dès ses années au lycée, il publie ses poèmes dans des revues littéraires.
Dans les années 50, il devient un des noms les plus remarqués du courant littéraire Le Second Nouveau. Durant sa vie, il a traduit notamment les pièces d’Euripides, de Shakespeare, de Tchekhov, de Brecht, de Miller, d’lonesco, de Steinbeck, de T. S. Eliot, d’Ibsen.L’été prend fin
On entend partout dire que l’été prend fin.
Jamais on ne vit un bouclier rouge
Comme celui des feuilles recouvrant les morts.
C’est que l’été est fini vraiment,
On est lasse de regarder le lac,
De rester dans la forêt, de surveiller la route ;
On démonte les tentes, on panse les plaies ;
Un long adieu, un paisible voyage,
Attendent maintenant les feuilles.
Est-ce l’amour qui s’éveille quand vient l’hiver,
Qui marche avec un glaive blanc vers l’amour…
Les pays ne se séparent plus de leurs oiseaux ;
Partout on entend dire que l’été prend fin
Les armes puis les fatigues s’amoncellent ;
On aperçoit les tombes en neige des solitudes
Assombries tels des baisers morts…
Seul reste l’amour qui emporte l’année avec l’herbe,
Et qui guide les vaillants guerriers vers l’hiver.
On entend dire partout que l’été prend fin,
Du sang collé aux fleurs pourrit ;
De loin peut-être s’approchent deux cavaliers,
De près peut-être s’envolent deux feuilles :
Le manteau du soir se baigne dans les ruisseaux ;
Quand le géant de la nuit voit le ciel,
Il éparpille des étoiles de son chapeau ;
Les nains le savent, les hêtres le savent,
On entend dire partout que l’amour ne dort pas.
Trad. B. Kuzucuoğlu (revue ANKA)
Metin Celâl
Né en 1961 à Ankara, Metin Celâl fait partie des fondateurs du mouvement « La poésie des années 80 », dont les membres ont créé les revues : Imge/Ayrim (1984), Poetika (1985) et Fanatik (1989). Il est l’auteur de quatre recueils de poèmes, de quatre romans et d’ouvrages critiques. Ses poèmes ont été traduits dans de nombreuses langues. En 2013, Al Manar a publié son receuil L’Intranquilité du quotidien dans la traduction de Claire Lajus.
mon nom est la mort
je suis celle qui se glisse au sein de la ville
c’est mon cri qui fouette la nuit
sans s’épuiser, sans se briser
pourquoi les couteaux sont-ils toujours décorés de nacre
pourquoi quand ils se plantent, un cri et une rose rouge bordeaux
pourquoi coule-t-elle abondamment des lèvres
oui, je sais que vous aimez aussi le bleu
je sais qu’une rose rouge bordeaux rappelle le sang
la fleur de votre chanson a fané
mais comment dire
je suis celle qui se glisse au sein de la ville
le sang dans vos yeux écarlates
ou une balle perdue dans les rues
je suis celle qui se glisse au sein de la ville
vous pouvez toujours cacher mon nom dans les lettres
je suis sur toutes les photographies
un coin écorné et un peu triste
car je suis celle qui se glisse au sein de la ville
celle qui patiente pour vous dans les files d’attente
à chaque instant
en chaque lieu
dans les entrailles de la nuit
et derrière chaque porte
je suis celle qui vous attendTraduit par C.LAJUS pour la revue La Traductière
Nurduran Duman
Nurduran Duman est une jeune poète, éditrice, traductrice de l’anglais, elle enseigne aussi à l’Université Halen Bahçeşehir. Originaire de Çanakkale, elle vit actuellement à Istanbul. Son recueil « Jeu de défaite » a reçu la mention spéciale du Jury du Prix poétique de Cemal Süreya 2005. Elle participe à de nombreux festivals à l’étranger et un de ses recueils (Semi Circel, 2016) a été publié aux USA.
Nurduran DUman a été choisi pour représenter la Turquie dans le projet Versopolis, projet qui consiste à faire connaître les poètes des divers pays européens.Un ciel bien à nous
(Sur les dessins et les peintures de Miro)
Tout au fond d’un rêve changeant
bat une porte d’étoiles,
une entaille profonde,
et piquée sur la jupe du ciel,
une épingle invisible.Nous avons notre ciel,
nos yeux pareils à des bateaux
et nos cils pareils à des ailes.
Pour voler, il suffit d’un regard !Nous expérimentons des rires,
d’autres manières de défier la vie.Trad. C.Lajus
Müesser Yeniay
Née le 5 septembre 1984 à İzmir. Elle a étudié à l’Université d’Ege, terminé la Section de la langue et la littérature anglaise de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines. Reçu une mention honorable de Prix Yunus Emre (2006) et Homeros de prix d’Attila İlhan (2007). Puis, Prix de Poesie d’Ali Rıza Ertan (2009). Elle publie de nombreux articles et participe à l’édition de la revue Şiirden, dirigée par le poète Metin Cengiz. Son recueil Ainsi disent-ils a été publié chez les éditions Bruno Doucey (2016)
Plage
ma poitrine et son sable transportés et
abandonnés làl’air est si pesant
que les oiseaux du silence se dispersentla lumière ne nous est pas sombre
au point de nous faire voiler les yeux désirant s’ouvrircelle qui nous a engendrés
n’a-t-elle pas aussi engendré notre douleur ?- la maternité est-elle vraiment sacrée ?-
sur une telle hauteur
face à la plage
ils m’ont abandonnéesi ma peau était restée chez ma mère
je ne lui aurais rien réclaméTrad.C.Lajus, Ainsi disent-ils, editions Bruno Doucey, 2016
Metin Cengiz
Poète, éditeur et essayiste. Il est né en 1953 à Kars.
Directeur de la revue Şiirden, c’est un poète très actif pour la défense de la poésie et sa publication. Il a une œuvre critique importante, notamment une anthologie sur la poésie turque contemporaine qui recense toutes les figures les plus importantes de la poésie turque.
Il a traduit en turc de nombreuses œuvres, par exemple de Pablo Neruda, d’Eugène Guillevic, de Jacques Prévert.
Un choix de ses poèmes intitulé “Après le déluge et autres poèmes” est publié chez L’Harmattan (2006).Préludes pour une nuit à Kars
1-
Une nuit à Kars, une rose à la première lettre pâlie
est un chagrin pour la musique, le temps un mirage dans le désert
sur ses rivages le bourdonnement des rivières sans sommeil
juste à ce moment-là dans sa plaie le scalpel de mon existence
l’amour juste à ce moment-là est un ciel inaccessible qui saigne2-
voici Kars et ses yeux effarouchées de tourterelles
sont grands ouverts
et de leurs regards rappelant les pluies tièdes
tel le mugissement d’un animal blessé
les femmes augmentent les peines3-
Moi poète, dans ce climat et cette frontière empoisonnés
mes rêves glissent de nuage en nuage
quand comme un bastion rebelle se dresse la citadelle
ma poésie dérobée à la guillotine se forme mot à mot4-
Comme un verre de vin plein, la lune se renverse
sur les coteaux grandissant. Le ciel lourd
est prêt, quand les corbeaux s’enveloppent
d’un jaune ambré, fer courroucé de la terre,
les corbeaux, messagers prophétiques du matin
avec la poésie sauvage des routes
Quand à moi si j’ouvre la bouche, c’est un nœud de mots
Telle une meute de loups furieux qui ronge mes lèvres5-
C’est l’été…Et là-bas la Turquie
Le fleuve Koura coule, entre les étoiles,
effaçant la rouille des distances, heurtant les rochers
et la rosée répandant une couleur indigo
arrive au matinSur les marchés il a plu, parfum de cendres (…)
Trad.C. Lajus
Claire Lajus, née en 1982, enseignante de FLE et traductrice littéraire du turc. A fondé la revue en ligne Ayna (www.revueayna.com) afin de promouvoir la poésie turque contemporaine. Ses poèmes ont déjà été publiés dans les revues Exit, Verso, Génèse et dans l’Anthologie des poètes français préparée par Jacques Basse. Elle travaille actuellement à la publication d’un recueil de poèmes.