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Jeanne Tsatsos, « Paroles du silence » suivi de « Lumière dans l’obscurité », traduction du grec moderne par Bernard Grasset

vendredi 9 novembre 2012, par Cécile Guivarch

 
Jeanne Séfériadès est née à Smyrne en 1902 en Ionie. La perte de l’ancestrale terre grecque d’Ionie fut pour elle et ses proches une tragique épreuve. C’est à Athènes qu’il lui faudra reprendre racine. Singulière et attachante famille que celle de Jeanne où l’on accueille poètes, professeurs, hommes politiques s’ils sont aussi écrivains, où l’on se montre sensible au sort du peuple grec, où l’on aime aussi la France, sa culture.

Son père, Stélio Séfériadès, était un juriste de rang international, passionné de poésie et traducteur. Despo Séfériadès (née Ténékidis), sa mère, est une figure qui touche par la concordance entre les convictions et les actes. Accompagnée de Jeanne, elle va à la rencontre des pauvres, des réfugiés, des personnes sans travail et les soutient. Frère de Jeanne, Georges Séfériadès (Séféris), docteur en droit, écrivain diplomate, recevra en 1963 le prix Nobel de littérature. Quant à Anghélos, son autre frère, docteur en droit, est aussi poète. Kostakis (Constantin) Tsatsos, le mari de Jeanne, est à la fois un universitaire, un homme d’État et un homme de culture. Professeur de philosophie du droit, auteur d’essais, il sera exilé durant la dictature avant de devenir Ministre de l’Éducation nationale puis Président de la République grecque.

Jeanne Séfériadès, qui prendra le nom de Tsatsos en épousant ce dernier en 1930, aura deux enfants, Despina et Dora. Femme d’idéal, généreuse, ardente, d’humeur joyeuse, elle mettra l’amour au centre de sa vie et de son œuvre. Si elle est docteur en droit, c’est la culture, la poésie qui la passionnent. Sous l’Occupation, Jeanne s’engage dans la Résistance et en devient une figure éminente. Celle qui sera reconnue Juste parmi les Nations s’élèvera contre la dictature. Poète, écrivain-témoin, elle aime s’engager dans l’action sociale, humanitaire, combat pour le droit de vote des femmes, a des responsabilités et un rayonnement internationaux. Croyante, Jeanne Tsatsos est aussi humaniste et démocrate.

C’est l’Athènes autour de l’Acropole qu’elle préfère. Elle séjournera à plusieurs reprises à Paris, deviendra l’amie de Pierre Emmanuel et voyagera en Europe, en Amérique et en Terre Sainte. Elle est morte le 30 septembre 2000.

Paroles du silence

IX

StÒn tÒpo poÚ genn »qhka xšnh
stÒ sp…ti toà patšra mou
stÒ sp…ti poÚ ’ctisa xšnh
patr…da poà e sai
ki ™sÚ toà ¿liou zestasi£ ;

GureÚw t’ ¢cn£ria sou :
q£ de…cnoune pèj k£pote zoàsa
st »n aÙgousti£tikh gÁ
maz… mš t » crus » pugolamp…da stÒ cort£ri
poÚ ¢ntifšggizan t£ m£tia sou
t£ ™kstatik£.

IX

Là où je suis née, étrangère,
dans la maison de mon père
dans la maison que j’ai bâtie, étrangère,
où es-tu patrie
et toi, ardent soleil ?

Je cherche tes traces :
elles montreront comme je vivais naguère
dans la terre d’août
avec, au milieu de l’herbe, la luciole d’or
que reflétaient tes yeux
en extase.

Sfur…zei Ð loxÒj ¥nemoj
kunhghmšna sÚnnefa feÚgoun
stÒ biastikÒn oÙranÒ :

rizwmšnoi baqi£ sÚ ki ™gè st » dik » maj t » gÁ
™n£ntia stÒn ¥nemo poÚ sfur…zei
peàko zwntanÒ.

Le vent souffle sinueux
des nuages chassés fuient
dans la hâte du ciel ;

toi et moi, profondément enracinés en notre terre,
face au vent qui souffle,
pin vivant.

Lumière dans l’obscurité

 

Nous avons cherché avec passion

Nous avons cherché avec passion
le chemin de la vérité.

Si le ravissement du rythme
habite dans le vent
je n’y suis pour rien.

Responsable : le rossignol.

 

 

 

La Grèce m’a enfantée

La Grèce m’a enfantée
Mais moi aussi je l’ai enfantée,
j’ai souffert pour elle jusqu’à la mort,
dans toutes ses maladies
je l’ai veillée, gémissante, toute la nuit.
Je me suis chargée de ses pierres ensanglantées
et ses âpres montagnes
mon âme les traverse.

Mais les rares grâces qu’elle m’a accordées
étaient vastes et azurées
pareilles au firmament.

Depuis ma fenêtre, fascinée,
j’admire intensément
le chapiteau du temple
apaisé
sur la terre fleurie d’avril.

Jeanne Tsatsos, Paroles du silence suivi de Lumière dans l’obscurité, traduction du grec moderne et présentation par Bernard Grasset, édition bilingue, Le Bois d’Orion, 2024, 217 p., 19 €

 
Bibliographie

Si Jeanne Tsatsos a écrit pour la première fois au cours de l’été 1923, elle ne publiera son premier livre que beaucoup plus tard. Elle a ainsi près de soixante ans lorsque paraît en 1968 Paroles du silence. Ce premier recueil sera suivi de onze autres. Avec Lumière dans l’obscurité en 1992, Jeanne Tsatsos conclut son œuvre poétique.

À côté de ces livres de poésie qui constituent l’ossature de ses écrits, Jeanne Tsatsos est aussi l’auteur d’une riche œuvre en prose composée notamment de Grèce 1941-1944, Journal de l’Occupation et Heures du Sinaï, deux livres relevant du fervent témoignage ; d’Athénaïs, Impératrice de Byzance, une attachante monographie historique ; de Georges Séféris, mon frère, une biographie bouleversante. Notons aussi, témoignage d’amitié en poésie, Pierre Emmanuel et la Grèce.

Sans doute l’œuvre de Jeanne Tsatsos a-t-elle été occultée par celle de son frère Georges Séféris. Pourtant elle n’en mérite pas moins d’être découverte, lue, aimée. L’œuvre poétique de la poétesse née à Smyrne, classique et moderne par sa rare capacité à dire l’essentiel en peu de mots, est une œuvre de poète-témoin. De même ses écrits en prose sont des écrits d’écrivain-témoin. Pour elle, écrire, c’est témoigner, écrire c’est résister. Les mots du poème, les mots en prose, portent l’humble et tenace trace de la quête de lumière que fut la vie, sous le signe de l’amour, de Jeanne Tsatsos.


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