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5 poèmes de Patrick Lane (1939-2019), traduit de l’anglais (Canada) par Jean-Marcel Morlat

lundi 2 mai 2022, par Cécile Guivarch

Le poète Patrick Lane, l’un des écrivains canadiens les plus renommés, est né à Nelson, en Colombie-Britannique le 26 mars 1939 et mort le 7 mars 2019. Il vivait avec sa compagne, la poétesse Lorna Crozier, près de Victoria. Il a commencé à publier ses premiers textes dans les années soixante, alors qu’il travaillait dans les camps de bûcherons, les petites villes et les mines du nord de la Colombie-Britannique. Il a été écrivain en résidence à l’Université du Manitoba et a aussi enseigné à l’Université de la Saskatchewan et l’Université de Victoria. Il a reçu de nombreux prix dont le Prix de poésie du Gouverneur général (1978) et le prix de l’Association des auteurs canadiens. Dans son œuvre (vingt-cinq livres de poésie, deux romans, un recueil de nouvelles et des récits biographiques), il évoque souvent la rude vie des travailleurs de l’Ouest canadien. Il a été nommé officier de l’Ordre du Canada en 2014 « pour ses réalisations en tant que voix influente de la poésie canadienne et pour avoir servi de mentor à la prochaine génération de poètes canadiens » (Le Devoir, 9 mars 2019).

Étoiles

Ces lumières dans le ciel.
Tels des papillons nocturnes
petits rêveurs. Chaque fois que mon amante
se lève pour marcher dans le jardin matinal
je l’observe depuis la fenêtre.
Je ne puis la quitter du regard.
Voyez comme elle se penche à l’intérieur de l’aube,
Les fleurs de cerisiers sur les épaules
tandis qu’elle touche le chat
qui la suit partout, ne voulant
être qu’avec elle
parmi les mousses sombres.
Il y a tant de clarté
dans la haute fenêtre de lumière.
Comme j’attends, sachant que maintenant
elle vient vers moi,
ses petons mouillés de rosée,
aussi blancs que des étoiles
dans ces heures ultimes.

Stars

Those lights in the sky.
Little butterflies of the night
little dreamers. Each time my lover
rises to walk in the early garden
I watch her from the window.
I cannot take my eyes from her.
See how she leans inside the dawn,
The cherry blossoms on her shoulders
as she touches the cat
who follows her everywhere, wanting
only to be with her
among the dark mosses.
How much light there is
in the high window of light.
How I wait, knowing for now
she comes to me,
her small feet wet with dew,
white as stars
in these last hours.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, p. 323

Pour Adele and Ding Ling

Notre train serpente près de la rivière des perles et des collines.
Ma nouvelle amie parle du temps où elle était jeune
et où elle attendait à la frontière, voulant pénétrer en Chine,
pour voir Ding Ling [1]. Trente années se sont écoulées depuis
cette époque.
Ses mains fortes tiennent le sac contenant les poupées
de sa mère, la seule chose qu’elle ait apportée à montrer
aux Chinois.
De tous les cadeaux, le sien était le meilleur.

Même les hommes, si polis et réservés, ont ri tandis
qu’elle racontait
les histoires de l’art de sa mère. Pour les enfants,
disait-elle. Les femmes l’entouraient comme des fleurs,
et Ding Ling. Elle est silencieuse au moment où nous
nous rapprochons de la frontière.

La Chine est déjà loin. Il est vrai que pour chaque
présent que l’on laisse derrière, on emporte quelque chose,
donc, de nous tous, c’est elle la plus riche.

For Adele and Ding Ling

Our train winds beside the Pearl River and the hills.
My new friend tells of the time when she was young
and waited at the border, wanting to enter China,
to see Ding-Ling. Thirty years have passed since then.
Her strong hands hold the bag containing her mother’s
dolls, the one thing she brought to show the Chinese.
Of all our gifts, hers was best.
 

Even the men, so polite and reserved, laughed as she told
the stories of her mother’s art. For the children,
she would say. The women circled her like flowers,
and Ding Ling. She is quiet as we near the border.
 

China is already far away. It is true that for each
gift you leave behind, you carry something away,
then, of all of us, she is the richest.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, pp. 236-237.

Dieu marche et brûle en moi

Quand je dors les oiseaux viennent au jardin
avec leurs dons de graines. De la glace

les brins d’herbe de l’an dernier s’élèvent dans la nuit.
Tous mes chants n’ont été qu’un chant.

La paume de ma main et la plante de mon pied
se souviennent de tout ce que j’ai oublié.

La vieille lanterne près de l’étang près de l’étang a toujours été là.
Il est maintenant temps de l’allumer.

God Walks Burning Through Me

When I sleep the birds come to the garden
with their gifts of seeds. Out of ice

last year’s leaves of grass lift into night.
All my songs have been one song.

The palm of my hand and the sole of my foot
remember everything I have forgotten.

The old lantern by the pond has always been there.
Now is the time to light it.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, pp. 500-501.

Martin-pêcheur

Une lune blanche au point du jour au-dessus des plongeons.
Aucune pluie. Cet œil sur les collines occidentales.
Le héron attend la marée sur un bateau qui vacille et moi
je pense au martin-pêcheur qui est mort le premier jour.
Ce signe.
Plumes bleues à la main et les corneilles au-dessus de moi dans
le pin
qui parlent de cette solitude et de cela.
Dans le marnage, les plongeons lancent des poissons en l’air
et les attrapent, riant.
Ici, peut-être, ici.
Lune blanche. La marée. Le poissonnier roi.
Toutes les choses s’estompent.
Louange.

Kingfisher

A full white moon at break of day above the loons.
No rain. That eye upon the western hills.
The heron waits the tide upon a rocking boat and I
think of the kingfisher who died the first day.
That sign.
Blue feathers in my hand and the crows above me in the pine
speaking of this solitude and that.
In the tidal reach the loons throw silver fish in the air
and catch them, laughing.
Here, perhaps, here.
White moon. The tide. The fisher king.
All things receding.
Praise.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, pp. 346-347.

La Cité interdite

Au sein de la ville il y a une cité qui est interdite
À l’intérieur il y a un jardin composé de
pierres tordues et de montagnes miniatures,
de temples exquis et minuscules et de chutes d’eau
giclant dans des bassins où de vieux poissons nagent toujours.
Les nuits chaudes lorsque les cerisiers fleurissent
les vieux dansent avec leurs concubines
et certains avec leurs eunuques et tous sont beaux
dans leurs fines soies et robes brodées.
Des poisons dorés remontent dans les étangs tels des joyaux
et les cloches des temples retentissent doucement dans la rosée.
Des poèmes sont composés pendant que l’on verse le vin ambré
et leur gaieté est comme le jade vert,
leur rire doux comme l’ivoire,
tandis qu’ils flânent parmi les nouveaux palais et tombes
s’élevant autour d’eux telles des lunes dans la nuit pâle.

The Forbidden City

Within the city there is a city that is forbidden.
In it there is a garden with
contorted stones and miniature mountains,
tiny exquisite temples and waterfalls
splashing into pools where ancient fish still swim.
On warm nights when the cherry trees bloom
the old ones dance with their concubines
and some with their eunuchs and all are beautiful
in their delicate silks and embroidered robes.
Golden fish rise in the ponds like jewels
and temple bells ring softly in the dew.
Poems are written as the amber wine is poured
and their gaiety is like green jade,
their laughter smooth as ivory,
as they wander among the new palaces and tombs
rising around them like moons in the pale night.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, pp. 228-229.


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Notes

[1Ding Ling (1904-1986), est une écrivaine chinoise. En 1952, elle a reçu le Prix Staline, pour son roman Le Soleil illumine le fleuve Sanggan (1948). Après l’échec de la campagne des Cent Fleurs, elle a été exilée en Mandchourie durant 12 ans pour être ensuite incarcérée à Pékin. Elle a été réhabilitée en 1978.



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