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Saleh Diab

mercredi 30 décembre 2015, par Roselyne Sibille

Saleh Diab est né à Alep (Syrie) en 1967, il vit en France depuis 2000. Poète, critique littéraire, il a travaillé à Beyrouth pour le supplément littéraire du quotidien ’Al-Nahar’ de 1995 à 2000. Il a également collaboré à d’autres quotidiens (’Al-Hayat’, ’Nida El Watan’, ’Assafir’…). Il est arrivé en France en 2000 à l’invitation du festival ’Voix de la Méditerranée’ (Lodève) et a rejoint l’équipe du comité international de coordination du festival où il a été chargé de la coordination avec le monde arabe jusqu’en 2009. Il a ensuite collaboré avec l’équipe du festival ’Voix Vives, de Méditerranée en Méditerranée’, à Sète. À partir de sa sélection de poètes arabes invités à ce festival paraissent chaque année, chez Al Manar et Voix Vives, un ou deux recueils de poèmes.
En 2005, à l’université de Paris VIII, il a obtenu un master I sur La poésie arabe féminine après Nazik Al-Mala’ika (mention « très bien ») et, en 2006, un master II Le corps dans la poésie arabe écrite par les femmes de 1960 à nos jours (mention « très bien »). En 2012, il a soutenu une thèse de doctorat intitulée Le poème en prose arabe : la poésie arabe contemporaine (mention « très honorable » avec les félicitations du jury- Paris VIII).

POEMES TRADUITS DE L’ARABE (SYRIE) PAR ANNIE SALAGER ET L’AUTEUR

Extraits de UNE LUNE SÈCHE VEILLE SUR MA VIE, 1989.

Pleine lune

J’aurais dû
murmurer ton nom
une soirée durant
pour que ce ciel
s’élargisse un peu

regarder ta voix
souffler de loin
pour que l’obscurité ne revienne plus
remplir mon sommeil

maintenant
ton parfum apparaît
dans un autre jardin
je ne fais rien
j’écoute seulement
la lune de mon remords
entrer dans sa plénitude

Roseau

Seigneur
ô seigneur et encolure de mon âme
moi l’indigent
qui étend sa vie
comme un lit pour tes rêves
celui qui laisse ses rêves
fleurir
sur la voie de tes doutes

tu regardes
je m’épanouis par le trouble
tu perçois
je pars dans la stupeur

dans le tourment
derrière mon âme
mes erreurs gémissent
roseau fêlé mon âme
nulle rive ne le console
dans son jour
nul oiseau ne s’éveille

ta tendresse
qui habite mes
mots

 ?

Un jour lointain

Les oiseaux
se dépouillent
de leurs voix
sous les feuillages
la pluie
sur l’herbe
écrit tendrement la tulipe

dans les hautes lucarnes
où pousse l’hirondelle

un jour lointain
des larmes blanches
tressées comme une coiffure
une odeur
retire l’étoile
du nid

 ?

Un air blanc

Il y a des lys
que fréquentent la pluie et les étoiles
un air blanc
une forêt qui renoue avec les arbres

amour
ô dimanche
qui fredonne dans le miroir
ô neige
qui écoute la neige

Inventaire

En vain
depuis dimanche dernier

je gaspille mes regards
sur la chaux du mur et des rêves

je lève la main
pour guider la porte et le temps
vers le bois

mes yeux
font l’inventaire de l’obscurité
alors que derrière moi la lune naît
à la fenêtre

Broderie

Nous avons un pays
nous y avons laissé nos amis
se recueillir autour des chagrins
songer à la neige
pour blanchir les hauteurs de leur solitude

que faire
sous un ciel étranger
à part écouter l’oubli
broder nos années
comme la dentelle
pâtir de nos regrets
à l’air libre
tarir
en lisant des livres

 ?

Poèmes extraits de UN ETE GREC, 2006

Je suis fatigué de porter mes mains
je me suis posé dans mon silence
sur un grand rocher

c’est le bruit
que la joie laisse
quand elle part
avec ses parures et ses colliers

dans un pays comme celui-ci
où sont enterrées la forêt et les pierres
cela ne signifie rien
d’accompagner ta main avec ton salut
ni de faire voler tes lèvres avec un baiser
tu ouvres le coffret fermé de l’aïeule
ou tu amènes du bleu dans l’église
les morts
ne pensent qu’aux fleurs

Je pense à toi
sur mon chemin
pour trouver la maison
pour voyager tranquille
vers le soir
et arriver indemne
au matin

en passant
la longue file des jours
aux cous inclinés tels des
portraits de Modigliani
je traverse midi
où la désolation
est un olivier luisant

chaque fois que je ferme
mes yeux sur ton odeur
je vois la petite main
de la rose
mes pensées bleuissent
deviennent cerfs-volants
mon cœur divague
plus qu’une fenêtre

j’ouvre la porte
j’entre doucement
pour que ton sommeil se promène
à la manière d’un ange

Doucement
je m’imprègne de ton regard
la moindre de tes pensées tressaille
comme un poisson

un oiseau solitaire
traversera ton désir
il ne s’agit pas d’un bouquet de fleurs

une barque
te conduit au sommeil
et le tamaris
sous lequel tu t’étais assise
versera assez d’ombre
pour tous les estivants
cette année

 ?

Janvier
l’humeur des platanes ne me plaît pas
le ciel non plus ne se comporte pas avec moi en ami
même l’air est amer
un bateau passe au loin
et ne s’approche pas

plus près
du café fermé
au-dessus du port
seules les mouettes
vont et viennent
il ne leur manque que mon regard
pour qu’elles deviennent blanches

 ?

Poèmes extraits de JE T’ENVOIE UN COUTEAU TU M’ENVOIES UN POIGNARD, 2009

Sud-ouest

Depuis deux heures avec Thérèse et Pascal
nous cuisinons le confit de canard
nous faisons des conjectures en riant
sur le retard de Nathalie chez le boulanger
de temps à autre
je regarde à travers la vitre
le brouillard dériver derrière
un faisan sauvage

après avoir échappé à l’exil
dans mon propre pays
traversé quinze années
je suis arrivé finalement sain et sauf
jusqu’au hameau
où je peux touiller une marmite
pleine à ras bord de cuisses
de carcasses de canards
ajouter une poignée de sel
suivie d’une poignée de poivre
et conjecturer sur le retard de Nathalie
chez le boulanger

sous le pont beaucoup d’eau a coulé depuis
nationalité française carte bancaire
connaissance parfaite des lignes du métro
et du RER
savoir touiller les carcasses
et les cuisses de canard dans une marmite
et regarder à travers la vitre
le brouillard dériver derrière
un faisan sauvage

Carte postale

Je suis content quand je prends le RER,
content quand j’en descends
et me dirige vers la carterie de Beaubourg
content de parcourir du regard les rayons
avec attention et tendresse

content à l’instant où mes yeux
tombent et s’arrêtent sur une carte
quand je la choisis parmi des milliers,
quand je l’achète
et quand je sors le stylo de mon sac

content quand j’écris ces mots pour toi
quand je mets la carte dans l’enveloppe
et également quand je la ferme

content au moment où j’introduis la monnaie
dans le distributeur de timbres
quand je colle le timbre
et que je jette l’enveloppe dans la boîte
mais aussi quand la carte
et l’enveloppe disparaissent

content au moment où je quitte la poste
quand je remonte dans le RER
et au cours de l’instant où ma tête
vient s’appuyer contre la fenêtre

content quand je descends
que je me rends à mon studio
quand je me penche sur la serrure
au moment où j’ouvre la porte
et quand je la referme sur le brouhaha
aussi bien quand l’odeur de renfermé
me saute au visage

content quand j’accroche mes soucis blancs
sur de petits souvenirs
vieux de pas plus d’une semaine
quand je pose ma tête sur l’oreiller
et également quand j’éteins la lumière

et content, content, content
quand je dors profondément et en paix
au milieu des livres de Pessoa des cd
des vêtements dispersés dans tous les coins
tranquille
comblé
par cette traversée nocturne
dont je me réveillerai sain et sauf

Les rémouleurs

Tu m’envoies un couteau
Je t’envoie un poignard
Tu me renvoies un couteau
je te renvoie un poignard
de nouveau
nous recommençons les échanges
avec un empressement plus vif
tu envoies un couteau
j’ envoie un poignard
tu renvoies un couteau
je renvoie un poignard
tu envoies et j’envoie
j’envoie et tu envoies
ainsi de suite
avec plus d’enthousiasme
de passion
de fougue
tu envoies et j’envoie
j’envoie et tu envoies
le sang coule
tout au long des souvenirs
au long des promesses
et des mots tendres
au long des rêves
petits et adolescents
et aussi de ceux qui vont bientôt enfanter
au long des étreintes
à la maison
dans la nature
avec préservatif
ou sans

avec un succès formidable
on approche de la fin
dans une réussite sans pareille
en moins de vingt-quatre heures
nous achevons
il ne reste plus le moindre espoir
de retrouver un signe
sur le champ de bataille
un battement
pulsation
palpitation
frémissement
rien


Bibliographie

Recueils et études

J’ai visité ma vie, préface Daniel Leuwers, traduit par Annie Salager et l’auteur, éditions le Taillis Pré, Bruxelles, 2013, prix Thyde Monnier de la SGDL, 2013.
«  ?????? ????? ???? ????? » Je t’envoie un couteau tu m’envoies un poignard, éditions Sharqiat, Le Caire, 2009.
« ????? ????? », Des Mouettes noires, anthologie de poésie syrienne, éditions Maison de la Poésie, Alger, 2008.
Récipient de douleur, une étude sur la poésie arabe féminine d’aujourd’hui, éditions Clapas, 2007.
«  ??? ?????? » , Un Eté grec, éditions Mérite, Le Caire, 2006.
«  ??? ???? ????? ?????? » Une lune sèche veille sur ma vie, éditions Dar Al Jadid, Beyrouth, 1998.
Une lune sèche veille sur ma vie, préface Jean Marc Debenedetti, traduit par Mohammed El Amraoui et Catherine Chareau, éditions Comp’Act, Chambéry, 2004.

Ses poèmes ont été traduits en anglais par Paul Roddie et John Doherty, en espagnol par Ahmad Yamani et Mohamed Ahmed Bennis ainsi que par Patricio Sanchez, en italien par Claudio Pozzani, et en hébreu par Joseph Sadan et Marlena Braester.

Traductions
Du français en arabe :
« ??? ?? ??? ????? » Comme pour être un jardin, de James Sacré, éditions Tawbad, 2008.
De l’arabe en français :
Femme, j’aurais voulu ne pas l’être, de Huda al-Daghfag (éditons Dar al-Farabi, Beyrouth,) 2009.
Otages, de Salah Faïk (éditions Voix Vives, Al-Manar, Paris) 2011.
Chemin de Damas, de Nuri al-Jarrah (éditions Voix Vives, Al-Manar, Paris) 2014.

Il a également traduit des poètes d’expression française pour des revues et des journaux de langue arabe : Jean-Yves Masson, Jacqueline Risset, Marie-Claire Bancquart, Gabrielle Althen, Annie Salager, Liliane Giraudon, Patrick Dubost, Siham Bouhlal, Sapho, Rachida Madani, Philippe Tancelin, Michel Thion, Mohammed Hamoudane, Antoine Simon, Reza Afchar Nadéri, Abdelmajid Benjelloun, Karina Benziada…. Il a publié des poèmes dans des revues françaises, notamment Autre Sud, Poésie1, Poésie première, Résonance générale, Lieux d’être, Urdla… ça presse… et étrangères (Banipal, Alhucema, Iton 77, ainsi que dans des anthologies (Voix de la Méditerranée, Lodève, 2008, éditions Clapas ; Voix de la Méditerranée, Lodève, 2009, éditions Clapas ; Voix Vives, Sète, 2010, éditions Encre et lumière ; Voix Vives, Sète, 2011 ; Voix Vives, Sète, 2012, Voix Vives, Sète, 2013 ; Voix Vives, Tolède 2014.

(Page élaborée avec la complicité de Roselyne Sibille)


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1 Message

  • Saleh Diab Le 23 mars 2016 à 10:14, par archer giulia

    J’aime beaucoup ce poète, que j’ai eu le plaisir de rencontrer lors d’un ’café littéraire’. Je me reconnaît pleinement dans sa lune et ses remords...

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