Poète, traducteur et éditeur, Francis Catalano est né à Montréal en 1961 d’un père italien et d’une mère québécoise. Après avoir complété des études de deuxième cycle à l’Université du Québec à Montréal, le ministère des affaires extérieures d’Italie lui a octroyé une bourse qui lui a permis d’aller étudier la littérature italienne à l’Université de Rome et d’établir des contacts avec plusieurs auteurs. Co-fondateur dans les années 80 de la revue Influx, il fait partie depuis 2005 du comité rédactionnel de la revue de création poétique Exit.
Il a traduit plusieurs poètes et romanciers italiens contemporains dont Pier Vittorio Tondelli, Edoardo Sanguineti, Antonio Porta, Mario Luzi et a fait paraître Le Vase brisé, une monographie et un livre de traduction consacrés à l’œuvre de Valerio Magrelli, ainsi que Instructions pour la lecture d’un journal, du même auteur, qui lui a valu le prix John-Glassco 2006 décerné par l’association des traducteurs et traductrices littéraires du Canada. En 2010, il remporte le Grand prix Quebecor du Festival international de poésie de Trois-Rivières pour son recueil Qu’une lueur des lieux.
Il collabore, comme poète et critique, à plusieurs anthologies, collectifs et revues littéraires au Québec et à l’étranger. Ses textes (poèmes, critiques, traductions) paraissent, entre autres, dans NBJ, Moebius, Estuaire, Entrelacs, Liberté, Spirale, Arsenal (France), Ritmica, Action poétique, Estuaires (Luxembourg), l’immaginazione, Annali academici canadese, Il Veltro et sont traduits en anglais, en espagnol et en catalan. Il participe à plusieurs événements littéraires : lectures publiques au Festival international de la poésie à Trois-Rivières, au Marché francophone de la poésie à Montréal, au Festival internacional della poesia di Lima au Pérou, à Voix d’Amériques, au Métroplis bleu, à Romapoesia, etc.
Extraits de Romamor
Les églises sont les tendons mystiques
d’une ville, leur corps
au repos et ce matin j’entre en celui
affaibli, échafaudé, de San Francesco
a Ripa dans le Trastevere
Dans une chapelle, au fond
gît le marbre de Ludovica Albertoni
Elle est là, blanche, étendue
vouée à une calme félicité
sa main droite offrant le sein, le pressant presque
une invite à un amour licencieux
M’approcher, glisser sur les plis
de sa robe, l’envie de lécher
le marbre, mordre,
moi, agent érosif de l’immuableClore les yeux à double tour
le corps tourné vers l’intérieur et voir
l’immobilité du monde
idéale, à l’affût, prête à croquer
la scène d’un frugal retour aux sources
Se portraiture enfin la joie :
un kaki mûr, trop mûr pour figurer
dans un plat de fruits
Extraits de Index
Amérique terre archaïque
sable sans sablier
Amérique du Nord Amérique du Nom
fragment de Pangée qui avance où s’étalent
ses pierres lentement
scellée à un secret lithique la Laurentia déroule
son granit convoyeur d’elle-même
qu’éventre le dos des océans
par l’ajour d’un casse-tête les yeux plissés je scrute
le continent qui se démantèle
dérive à l’emporte-pièce c’est un charroi
à plat ventre à outrance
basalte grinçant puisque raclé à fond
c’est une infra-amérique et son nord plonge
cap premier dans l’équateur
encastrements au modelé des gerbes minérales
plaque inféodée à son hésitante marche
nuptiale martiale tels les os
d’un crâne fracturé dont les cals
s’ajustent s’adjoignent poussent
— à la vitesse des cheveux
sur la tête abîmée d’un convalescentIci j’assiste dans toute sa grâce
à une surrection spontanée de montagnes
là un volcan sous pression se déconnecte
de sa cheminée ardente
bientôt en une envolée en rase-mottes d’archéoptéryx
l’un d’eux fixera sur sa pupille
tout le global et l’invisible
de ce paysage sans relief cerclé de carbone
— déjà enclin à rajeunir
en une nanoseconde la lumière fait le croquis
d’une fleur qu’elle glisse en silence
sous les feuilletages d’une falaise
a forme de quartz le hasard
ravalé par les mégapoles dans les géodes
en couches le continent travaille à mettre bas
la pierre et la fièvre la bouche
des cratères éructe une mémoire lapis-lazuli
en gésine l’océan l’est aussi
je ne vois pas l’homme mais ses arêtes pulvérisées
s’amonceler sur les hauts-fonds
blanches comme neige tomber
parmi les algues bleues
Extraits de M’atterres
Aucune parole ne t’est consentie
respirateur réglé
comme une horloge enfoncée dans la gorge
la vie bat son vide
corps maintenu à flot par des tubes
solutés sans solution
corbeaux perchés sur une partition
cette même ultime vieille scène
les mots sont graves
appuyés sur des béquilles rompues
mal en point sur leur grabat
à force d’insufflations, aux abois.Tu arrives à écrire « soif »
au verso de cette feuille
durant la nuit un moniteur
dictait ses chiffres à une infirmière, des équations
des divisions, d’infimes regains de vie retournée
plaies de lit plis de vie
au verso de cette feuille
où manquent l’air et l’arbre
écris-moi si la science oscille un tout petit peu encore
si elle réussira un jour à tisser le nid du bien
un signe de tête, oui ou non.Je sens gicler dans tes veines tout le mercure
laisse ta fièvre, laisse-la boire
laisse-la brûler, laisse-la
il n’y a déjà presque plus d’air ni d’eau
de terre ni de feu ton corps
sort tranquillement de la science
et entre dans la fiction.
Extraits de Panoptikon
enter, enter, enter
entrer dans une banque
entrer dans un tank
il manque à l’architecture néo-classique
les chenilles, sinon tout le quartier
y passerait, rasé, écrasé
pour qu’un tel temple se moule au tissu urbain
il faut des colonnes, des colonnes de chiffres
des tympans d’argent, des frontons d’or
banquiers de ce monde, faites banqueroute !
que neige sur les têtes plébéiennes le papier-monnaie
et que pleuvent les confettis d’argent !
crocs d’or, lingots d’or de langue ornée
fonds donc, coule, déverse-toi
fais-toi petit, or, coule, cours, or
et allez, entre dans ce compte d’épargne
à intérêt quotidien.conseillers financiers fins renards requins
de la finance tournant en rond
autour du rond pour une bouchée de viande
pour une bouchée de viande, pour une génération
spontanée de conseillers financiers
vous naissez de cette viande, asticots
qui grouillent, asticots nés de l’argent
avec de l’argent on fait de l’argent
avec de l’argent placé à la chaleur d’une banque
naissent des asticots, par millions
alors grouille, let’s go, bouge
brille, reluis, par ta présence, par ton absence
fais de l’argent, asticot !td, on veut t’aider
banque nationale, on veut t’aider aussi
banque de montréal, banque scotia
bank of america, bank of canada
banque royale trust, cibc, banque ici banque là
banque canadienne impériale de commerce
banca commerciale italiana
visa, royal direct, mastercard
service placement, service financier
banque laurentienne, banque impérialiste, td waterhouse
on veut fusionner, on veut se mettre ensemble
on veut t’écraser, asti d’asticot
on veut t’aider !
Extraits de Qu’une lueur des lieux
LA 89 APRÈS LES LIGNES — tout de go
le même signe neige la même
glace noire des cônes des pins des sapins les
évitant l’arbre l’habitacle l’habitus l’habit là-
bas suspendu à son cintre-écorce
territoire-toi re-toi sorti droit
du terroir du tiroir du côté passager
moi de mémoire le soir en-soi
moiré dans les demi-mots
remémoré dans le moi-même
rétrogradé dans le
rétroviseur :(Manuelle)
LA 495 L’AUTHOREAU la route vers Concord
l’étang vert Walden Pond et les truites
plus tard les petites cabanes hosannah
chalets en cellophane avec vue sur (rien)
avec vue sur rare hooligan
sur l’autorut la Thoreau-ut 495
coupant par le blanc (verglaçant)
sur la chaussée noire (un blank)
entre Fairfax, Middlesex, et cetera
tandis que tandis que
les arbres à cette vitesse paraissent
des cartes postales ja-
mais postées des autos
envoyées à la casse
des rectangles de pierre
des livres placés
sur une étagère :(Le dos des livres)
LA 3A LES ARBRES passent
pour les barreaux d’une cage-forêt
autant de portes entrouvertes l’es-
prit des lieux pousse un peu
ça grince un peu
puis nous entrons avançons parmi
les Whorf les Sapir les Schaff
les Eco les Kerouac vers le Merrimack
des pinsons font coucou
des moineaux sans le sou
prenons une photo-auto sourions
c’est que c’est que
la cage-forêt et les arbres-barres
tatouent la face vaste
de l’asphalte halte :(Arbres-barres fuyants)
Extraits de Au cœur des esquisses
T.G.V. Madrid-Barcelone
le ciel tenté de faire la terre à son image
le temps de l’espace-Espagne étiré et visions
tirées au clair-obscur
En une succession de cadres
l’imitation de la limite
reconquête reconduite
de la lumière, lux et lumen désenchainés
Sur le pré étale___ ___ ___ ___ (Lumière d’automne)
Suturés les paysages avec un oiseau brûlé
couture des étoffes spatiales
fermeture Éclair du temps
le TGV fonce comme un jeune taureau dans l’air voyagé
l’axe horizontal secoué par un coup de langue
déserts et montagnes de vapeur
vite une main sculptée
dans la lumière
pour rejoindre
l’autre main
se croiser___ ___ ___ ___ (Plus loin)
Par dizaines les petits taxis blancs madrilènes
partent en trombe en frétillant
milliers de spermatozoïdes lâchés dans la ville
d’un seul élan – ou les gouttes de pluie
s’étirant sur les fenêtres panoramiques
d’un train en mouvement –
à savoir qui ovulera en premier
l’hôtel sans nom
le musée sans collection
le resto sans menu
l’adresse non sue
Bibliographie
- Au cœur des esquisses, l’Hexagone, coll. « Écritures », Montréal, 2014.
- Nos habita, avec Laura Pugno et Violeta Medina, Meninas Cartoneras Editores, Madrid, 2013
- Where spaces glow, suivi d’un entretien avec Antonio D’Alfonso, Guernica Editions, Toronto, 2013.
- Patères, (s.é., s.l.), 2013.
- On achève parfois ses romans en Italie (récit), l’Hexagone, coll. « Fiction », Montréal, 2012.
- Qu’une lueur des lieux, l’Hexagone, coll. « L’appel des mots », Montréal, 2010.
- Yellow, préface et traduction de Yellow d’Antonio Porta, postface de John Picchione, Éditions du Noroît, Montréal, 2009.
- Panoptikon, Triptyque, Montréal, 2005.
- Instructions pour la lecture d’un journal, préface et traduction de Didascalie per la lettura di un giornale de Valerio Magrelli, Écrits des Forges et Éditions Phi, Trois-Rivières et Luxembourg, 2005.
- M’atterres, Trait d’union, coll. « Filigranes », Montréal, 2002.
- Index, Trait d’union, coll. « Filigranes », Montréal, 2001.
- Le vase brisé. Valerio Magrelli par Francis Catalano, présentation et traduction, Éditions du Noroît, coll. « Dialogues », Montréal, 2000.
- Romamor, Écrits des Forges, Trois-Rivières, 1999.
- Repoussoirs, Lèvres Urbaines, Trois-Rivières, 1997.
Autres
- L’Hexagone : 60 ans d’écriture, anthologie des poètes des éditions de l’Hexagone préparée avec la collaboration de Danielle Fournier, in Exit n.73, 2013
- Puisque les dieux ne parlent pas : anthologie de poésie contemporaine du Pérou, avec la collaboration avec Bruno Polack, in Exit n.72, 2013
- Poésie catalane : les Voix ne dorment jamais, anthologie préparée avec la collaboration avec Angels Gregori Parra, in Exit n.58, 2010
- 63-93 et Au-delà, anthologie de poésie italienne contemporaine avec la collaboration de Maria Teresa Carbone et Marco Giovenale, in Exit n.40, 2005
Photo : Mathieu Rivard