Bonnes feuilles po&psy 2025
Guilhem FABRE
INSTANTS ÉTERNELS
Cent et quelques poèmes connus par cœur en Chine
présentés et traduits par l’auteur - poèmes en édition bilingue
photographie de YANG Yongliang
po&psy a parte, 424 pages, 35 €Guilhem FABRE est sinologue, coordinateur de Révo.cul dans la Chine pop. : anthologie de la presse des gardes rouges, 1966-1967 (Éd. 10/18, Paris, 1974) et traducteur avec Huang San de deux romans de Yu Luojin, Le nouveau conte d’hiver et Conte de printemps (Christian Bourgois, 1982 et 1984).
Il a aussi traduit les poèmes choisis de Liu Hongbin (Un jour dans les jours, Ed Albertine, 2008) et de Liu Xiaobo (Vivre dans la vérité, Gallimard, 2012 ; Elégies du 4 Juin, Gallimard, 2014).
Ses écrits comprennent un tarot poétique illustré par Marq Tardy, L’empire de l’invisible, 2009, et plusieurs recueils de poèmes : Calculs de la poussière (2016), aux éditions L’Atelier du Grand Tétras et, aux éditions Phloème : Le dit de la grande peur (2017), Ciel de faim, (2018), Entre chien et loup (2019), Le Temps des vents (2021), L’homme au regard de soie, avec des encres de François Bossière (2023).
En revues sont parus : « De la stratégie inspirée », dans Caravanes, n°6, Éd. Phébus, 1997 ; « Territoires de la nuit », dans Action poétique n°198, décembre 2009 ; « Des nuits abandonnées », dans Voix d’encre n°54, mars 2016.***
4ème de couv.
La poésie chinoise est au cœur d’une civilisation qui s’est perpétuée par les signes, en l’absence de monuments antiques. Instants Éternels rassemble les poèmes les plus connus, et détaille pour la première fois les usages contemporains des vers ou des quatrains célèbres, qui ont assuré leur transmission au fil des siècles.
La fréquentation assidue du terrain et des sources a permis de replacer les textes dans leur contexte, en dessinant une galerie de portraits qui incarnent l’histoire de la Chine à travers 56 de ses créateurs préférés, surtout les poètes des dynasties Tang et Song, du VIIe au XIIIe siècle.
La traduction tente de recréer le flux et la vitalité des images portées par le tracé dense des caractères chinois qui sont placés en vis à vis. Elle s’attache à recréer l’effet du poème original dans un poème français à part entière.
Extraits
Tao Yuanming (352 ou 365-427)
Le retour à la terre
J’ai semé des pois sous les monts du sud
L’herbe est foisonnante mais les plants épars
Dès l’aube debout à débroussailler
Je rentre à la lune la houe à l’épaule
La voie rétrécit dans l’épaisse verdure
La rosée du soir mouille mes vêtements
Mais qu’importe d’avoir mes vêtements mouillés
Pourvu que je vive selon mon souhaitZhang Jiuling (678-740)
Rêveries au clair de lune
Le clair de lune se lève sur la mer
Ce moment partagé à l’autre bout du monde
Quand les amants en veulent à cette longue nuit
Qui soulève sans fin leurs pensées l’un pour l’autre
La chandelle s’éteint une clarté aimante envahit l’air
Je couvre mes épaules ressentant la rosée
Et n’osant vous offrir ces mains pleines de lumière
Je vais me rendormir pour des rêves de beautéWang Wei (700-761)
La villa des Monts Zhongnan
Au milieu des années j’ai pris goût à la voie
Et au soir de ma vie j’habite les Fronts du sud
Souvent l’envie me prend de partir solitaire
Vers des merveilles dont j’ai seul le secret
Mes pas m’amènent jusqu’aux limites des eaux
Où assis je contemple l’ascension des nuages
Dans la forêt je tombe sur un vieillard
Et devise gaiement sans songer au retourLi Baï (701-762)
Pensées d’une nuit calme
La lune brille devant mon lit
Comme si le sol était de givre
Levant la tête je la contemple
Baissant la tête je songe à mon paysDu Fu (712-770)
Pluie de joie dans la nuit printanière
La bonne pluie sait la saison
Elle arrive avec le printemps
Suivant le vent elle se glisse dans la nuit
Mouillant sans bruit en douceur toutes choses
Les sentes sauvages se perdent dans le noir des nuages
Seule lumière les feux d’un bateau sur le fleuve
L’aube verra ces lieux baignés de rouge
Les fleurs s’alourdiront par la Cité des soiesLi Yi (748-829)
À peine réjoui de revoir un cousin nous parlons du départ
Séparés dix années par les troubles
Adultes nous voilà face à face
Surpris de nous voir le même nom
Nos prénoms nous rappellent nos anciens visages
Sur l’océan du monde depuis notre départ
Les langues se délient jusque tard dans la nuit
Demain je reprendrai le chemin de Baling
Dans l’automne des monts combien restent à franchir ?Li Shangyin (812-858)
Sans titre
Il est dur de se trouver dur aussi de se quitter
Le vent d’est a faibli les cents fleurs sont fanées
Au printemps le vers à soie jusqu’à la mort tisse son fil
La flamme de la bougie devient cendre avant que ses larmes ne sèchent
Miroir de l’aube reflétant la tristesse de ses cheveux changés
Chants de la nuit gagnés par la froideur du clair de lune
Du Mont des immortels la route n’est plus longue
Oiseau bleu prévenant explore-la pour nousLi Yu (937-978)
La joie de se revoir
Seul tu montes sans un mot au Pavillon de l’ouest la lune est comme un croc
Dans le fond de la cour le platane solitaire enferme l’automne clair
Couper sans pouvoir séparer et ranger quand revient le désordre telle est la douleur de la perte
La séparation a cette saveur qui vous reste sur le cœurSu Dongpo (1037-1101)
Sur l’air « La ville au bord du fleuve »
Souvenir d’un rêve, dans la nuit du 20e jour du premier mois de l’année, yi mao (1075)
Dix ans déjà que la mort nous sépare une immensité noire
Je n’ai pas réfléchi mais n’ai pu oublier
Ta tombe solitaire à mille lieues d’ici
Et nulle part où parler de ma peine
À présent si nous nous retrouvions nous ne saurions nous reconnaître
Ton visage s’est couvert de poussière et mes cheveux de givre
Cette nuit j’ai rêvé que j’étais de retour au pays
À la fenêtre de ta chambrette tu te peignais te maquillais
Nous nous regardions sans un mot
Seuls coulaient des flots de larmes
Je vois déjà le lieu année après année où se brise mon cœur
Ta tombe au clair de lune le tertre de jeunes pinsXin Qiji (1140-1207)
Sur l’air « La laideur de l’esclave »
Jeune je ne connaissais pas le goût de la tristesse
J’aimais monter jusqu’au dernier étage
J’aimais monter jusqu’au dernier étage
Pour composer des poèmes chantés me forçais à parler de tristesseÀ présent j’ai touché le fond de la tristesse
Et je voudrais parler mais rien ne sort de moi
Je voudrais parler mais rien ne sort de moi
Si ce n’est : « Quel automne glacé ! »Wen Tianxiang (1236-1283)
En traversant la Mer Solitaire
Tant d’épreuves traversées depuis mes études classiques
La solitude des combats sur quatre années de firmament
Monts et fleuves brisés chatons de saule dans le vent
La vie se fait flottante la pluie martèle les lentilles d’eau
Sur la plage de l’Effroi je parle de frayeur
Par la Mer Solitaire soupire de solitude
Si dans la vie humaine depuis la nuit des temps nul n’échappe à la mort
Autant laisser son cœur loyal briller dans les Annales

