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Malachi Black, traduit de l’américain par Béatrice Machet

mercredi 3 avril 2019, par Cécile Guivarch

Extraits de Quarantine / Quarantaine

Lauds

Somehow I am sturdier, more shore
than sea-spray as I thicken through
the bedroom door. I gleam of sickness.
You give me morning, Lord, as you
give earthquake to all architecture.
I can forget.
 
You put that sugar
in the melon’s breath, and it is wet
with what you are. (I, too, ferment.)
You rub the hum and simple warmth
of summer from afar into the hips
of insects and of everything.
I can forget.

And like the sea,
one more machine without a memory,
I don’t believe that you made me

Laudes

En somme je suis plus robuste, plus étançon
qu’embrun alors qu’épaississant je passe
la porte de la chambre. Je luis de maladie.
Comme vous donnez un tremblement de terre à toute architecture,
vous me donnez le matin, Seigneur.
Je peux oublier.

Vous avez mis ce sucre
dans l’haleine du melon, il est humide
de ce que vous êtes. (Moi aussi, je fermente.)
Depuis le lointain vous frottez le fredonnement et
la simple chaleur de l’été dans les hanches des
insectes et de tout.
Je peux oublier.

Et comme la mer,
une machine de plus sans mémoire,
je ne pense pas que vous m’ayez créé.

Prime

I don’t believe that you made me
into this tremolo of hands,
this fever, this flat-footed dance
of tendons and the drapery

of skin along a skeleton.
I am that I am : a brittle
ribcage and the hummingbird
of breath that flickers in it.

Incrementally, I stand :
in me are eons and the cramp
of endless ancestry.

Sun is in the leaves again.
I think I see you in the wind
but then I think I see the wind.

Prime

Je ne pense pas que m’ayez créé
dans ce trémolo de mains,
cette fièvre, cette danse aux pied plats
de tendons et la draperie

de peau le long d’un squelette.
Je suis celui qui suis : une cage
thoracique fragile et le colibri
du souffle qui vacille en dedans.

Progressivement, je me lève :
en moi des éons et le spasme
d’une généalogie infinie.

De nouveau le soleil est dans les feuilles.
Je pense que je vous vois dans le vent
mais ensuite je pense que je vois le vent.

Terce

But then I think I see the wind
as an intention, pressing us
with weather. All the pieces
of the air you’ve put together
somehow know just how to hold
the rain. They somehow know

to funnel and unfold, to swerve
the snow, to rake the beaches
and to slope the arcing seagull’s wings.
As wind inside a shell : they know
you in themselves. I’ll find you out ;
I can know you as a hint in things.

I do. And through the window
I have known you as an opening.

Tierce

Mais ensuite je pense que je vois le vent
comme une intention, qui sur nous fait pression
avec la météo. Tous les morceaux
d’air que vous avez assemblés
d’une certaine manière savent
comment se tenir à la pluie. Elles savent

somme toute faire passer et déplier, dévier
la neige, ratisser les plages
et incliner les ailes arquées des mouettes.
Comme le vent dans une coquille : elles vous savent
au-dedans d’elles-mêmes. Je vous trouverai dehors ;
En tant que trace dans les choses je peux vous connaître.

Je peux. Et à travers la fenêtre
je vous connais en tant qu’ouverture.

Sext

I have known you as an opening
of curtains as a light blurts through
the sky. But this is afternoon
and afternoon is not the time

to hunt you with the hot globe
of a human eye. So I fluster
like a crooked broom in rounds
within the living room, and try
to lift an ear to you. I try.

I cut myself into a cave for you.
To be a trilling blindness
in the infinite vibration
of your murmuring July,
I cut myself into a cave for you.

Sexte

Je vous connais en tant qu’ouverture
de rideaux tandis qu’une lumière s’échappe
et traverse le ciel. Mais c’est l’après-midi
et l’après-midi n’est pas le moment

de vous traquer avec le globe chaud
d’un œil humain. Alors, tel un balai crochu
je m’agite, je fais des
rondes au salon, et j’essaie de
tendre l’oreille pour vous entendre. J’essaie.

Pour vous je me lacère dans une caverne.
Afin d’être une cécité vibrante
dans la vibration infinie
de votre juillet balbutiant.
Pour vous je me lacère dans une caverne.

None

I cut myself into a cave for you,
but you are quiet. You are shy :

an only child, you still hide
from blame and invitations

and you constantly deny
all suitors. I will not be

defied : you are the tongue
I plunge into this begging

razorblade so brightened
by my spiderweb of blood,

you are the one : you are
the venom in the serpent

I have tried not to become,
my Lord. You are the one.

None

Pour vous je me lacère dans une caverne,
mais vous êtes calme. Vous êtes timide :

enfant unique, vous vous préservez
du blâme et des invitations

et vous refusez sans cesse
tous les prétendants. Je ne serai pas

défié : vous êtes la langue
dans laquelle je plonge suppliante

cette lame de rasoir que tant égaye
ma toile d’araignée de sang,

vous êtes l’unique ; vous êtes
le venin dans le serpent

que j’ai essayé de ne pas devenir,
Seigneur. Vous êtes l’unique.

Vespers

My Lord, you are the one :
your breath has blown away
the visionary sun
and now suffocates the skyline
with a dusk. If only once,
I wish that you could shudder
with my pulse, double over
and convulse on the stitches
in the skin that I slash wishes in.
But, Lord, you are the gulf
between the hoped-for
and the happening :
You’ve won. So what is left for me
when what is left for me has come ?

Vêpres

Seigneur, vous êtes l’unique :
votre souffle a balayé
le soleil visionnaire
et maintenant au crépuscule
l’horizon suffoque. Ne serait-ce qu’une fois,
je voudrais que vous puissiez frissonner
avec mon pouls, vous tordre
et convulser, sur les points de suture
dans la peau que j’ai entaillée pour y faire entrer les vœux.
Mais Seigneur, vous êtes le golfe
entre l’espéré
et ce qui arrive :
Vous avez gagné. Alors que me reste-t-il
quand ce qui me reste est arrivé ?

Compline

when what is left for me has come :
when what is left has left its wing
in something slumped against a door :
when what is left for me has come
to nothing ever after and before
this kingdom come to nothing :
when what has come is nothing more
than what was left and what was left
is nothing more than what has come
to nothing ever after and before :
if what is left is what is meant
for me and what is meant for me
is nothing come to nothing come
to this kingdom come to nothing :

Complies

quand ce qui me reste est arrivé :
quand ce qui reste a laissé son aile
dans quelque chose écroulé contre une porte :
quand ce qui me reste n’est jamais arrivé
à rien ni avant ni après
ce royaume arrivé à rien :
quand ce qui est arrivé n’est rien de plus
que ce qui reste et ce qui reste
n’est rien de plus que ce qui n’est jamais arrivé
à rien ni avant ni après :
si ce qui reste et ce qui est censé
être pour moi et ce qui est censé être pour moi
n’est rien d’arrivé rien d’arrivé
à ce royaume arrivé à rien :

Nocturne

To This Kingdom Come to Nothing :

I have itemized the night. I have held
within the livid tissue of my mouth
every particle of light and even now
I am a maze of radiation. I have felt
in each of my one hundred trillion cells
the rapturous, proud swell of darkling sounds
whose undulations break a body down
to sprays of elemental matter. As well
I have obtained a straightforward account
of the forces and conditions that propelled
the universe to burst from nothing else
and I can tell of every trembling genesis.

There is no end,

What Has Come
Will Come Again

Nocturne

A ce Royaume Arrivé à Rien :

J’ai détaillé la nuit. J’ai retenu
dans le tissu livide de ma bouche
chaque particule de lumière et encore maintenant
je suis un lacis de radiations. Dans chacune
de mes centaines de milliards de cellules j’ai ressenti
enfler, enthousiastes et fiers, les sons assombris
dont les ondulations décomposent un corps jusqu’à
les rendre vapeurs de matière élémentaire. De plus j’ai
obtenu un compte rendu direct
des forces et conditions qui propulsaient
l’univers jusqu’à éclater à partir de rien
et j’ai à dire de chaque genèse tremblante.

Cela n’a pas de fin,

Ce qui Est Arrivé
Arrivera Encore

Vigils

There is no end : what has come will come again
will come again : and then distend : and then

and then : and then again : there is no end
to origin and and : there is again

and born again : there is the forming and :
the midnight curling into morning and

the glory and again : there is no end :
there is the blessing in an and and an again :

the limitlessly yessing of began
begins incessantly again : and then

the infinite undressing of all when
there is the lifting everything again

the glowing endlessness and then
the floating endlessly again

Vigile

Cela n’a pas de fin : Ce qui est arrivé arrivera encore
arrivera encore : et puis se distendra : et puis

et puis : et puis encore : il n’y a pas de fin
à l’origine hein hein : il y a encore et

régénéré : il y a ce qui forme et :
la minuit bouclée dans le matin et

la gloire et encore : il n’y a pas de fin :
il y a la bénédiction dedans un hein hein un et à nouveau :

l’acquiescement illimité de commençait
commence sans cesse encore : et puis

le déshabillage infini du tout
quand à nouveau il y a soulèvement du tout

l’infinité luisante et puis
de nouveau l’infiniment flottant

Matins

The floating endlessly again :
the glowing and the growing back
again as I am as I can and I can stand.
I understand.

Though I am fashioned
in the haggard image of a man,
I am an atom of the aperture.

I am as a nerve inside a gland.

I understand. Though I am fashioned
as I am, I am a perch for the eternal
and a purse for what it lends.
I understand.

Though flakes of fire
overwhelm the fallen snow, though ice
caps melt, though oceans freeze or overflow,
somehow I am sturdier, more sure.

Matines

De nouveau l’infiniment flottant :
le luisant et ce qui repousse
encore comme je suis comme je peux et je peux je tiens debout.
Je soutiens.

Bien que façonné
à l’image hagarde d’un homme,
je suis un atome de l’ouverture.

Je suis comme un nerf dans une glande.

Je soutiens. Bien que façonné
comme je suis, je suis un perchoir pour l’éternel
et une bourse pour ce qu’il prête.
Je soutiens.

Bien que des flocons de feu
submergent la neige qui tombe, bien que les bouchons
de glace fondent, bien que les océans gèlent ou bien débordent,
somme toute je suis plus robuste, plus sûr.


Quarantaine constitue la deuxième partie d’un ouvrage qui en comporte trois, intitulé Storm Toward Morning, édité par Copper Canyon Press en 2014. Serait figuré plus modestement, plus humblement, (une simple quarantaine), ce que le purgatoire est à l’œuvre de Dante. En dix sonnets l’auteur boucle un circuit virtuose qui interroge la nécessité de Dieu – sa présence, ou même sa simple possibilité. Est-ce que la foi prime sur la chair, est-ce que la chair prime sur Dieu, quelle douleur supporter pour laisser Dieu entrer en soi, est-ce que cette puissance qui nous dépasse est aimable qui ne montre aucun signe d’amour ? Il n’y a pas de fin à l’infini comme il n’y a pas de fin au doute. Ainsi que le dit en substance Mark Jarman, poète Américain croisé à l’université Vanderbilt de Nashville, Tennessee, le travail de Malachi Black est à la fois fidèle à la physique et à la métaphysique, il utilise les effets traditionnels de la poésie lyrique en les conduisant vers des chemins nouveau et vivifiants, ce avec confiance et virtuosité, avec l’assurance que motifs et répétitions, ces plaisirs anciens de l’écriture, fonctionneront encore.

Malachi Black est licencié en littérature (New York University) et possède une maîtrise en écriture créative obtenue à l’université du Texas (Austin’s Michener Center for Writers). Il enseigne à l’université de San Diego et vit en Californie.


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