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Filippo Ravizza, traduit de l’italien par Sylvie Durbec

samedi 15 juillet 2017, par Cécile Guivarch

La conscience du temps Filippo Ravizza - Traductions de quelques poèmes
du recueil

Disperser les années

Perdre la conscience désormais
du temps disperser les années
sans pitié comme ça courir courir
loin d’ici et de maintenant non
vivre tout en le sachant quand
résonne sans fin dans la tête
et ces paysages la certitude :
« Rien n’est plus possible, mais
toi, souviens-toi, du désir blessé
d’aimer, même réduit en pièces ».

*

Dans la terre l’or

Raconte-moi parle-moi de ce soleil
brûlant sur les eaux tandis qu’indifférentes
tournent les sphères lentes
dans le grand vide et que tout
bat la mesure comme la cigale
dans la terre – l’or la présence la surface
opaque dessinée par le plein des corps
et des choses. Années, mois, journées :
tout est inutile pour nous ; et pour toi
ça, à présent, tu le sais. Passeront
les rires, les cris, les merveilles…
à rien n’aura servi de les avoir
aimées telles absentes désirées…
Morts serons-nous, effacés.
Maintenant assieds-toi, sois calme,
la tempête de la douleur apaise-la,
tiens-toi tranquille dans le matin,
lecteur mon frère, comme la paille
nous brûlerons en peu de temps,
néant retourné au néant.

*

Tu ne sais pas

Ici tout est arasé
pour résister au vent
nous aussi penses-tu
nous viendrons avec toi qui ne
sais pas si tu vaux plus que
ces oiseaux migrateurs, ces
rusées de village, ces libellules
qui ravivent ton souffle…
« Nous serons toujours ici »
as-tu écrit une fois…mais
nous n’y sommes jamais venus
et nous n’y viendrons jamais ; tu
comptes trop sur ta vérité
qui ouvre en grand
à la réalité de l’être
aux sensations douces
à l’illusion d’exister.

Camargue, 5 juillet 2015

_
*

En dessous de la rade obscure

Surgir au loin, sans hésitation
prendre le temps comme on le dit si mal,
ainsi autrefois en dessous de la rade
l’ombre discontinue des platanes,
trouver la paix, la paix qui grandit
dans la vérité de notre propre désert.
L’espérance reste après ce bref
et long escarpement gravi sous
un soleil féroce qui anéantit tout,
tourne même en dérision le désir
de voir, de se sentir être…aucune
plénitude, on te l’a asséné,
aucune réalité pas plus pour toi
que pour les autres à l’intérieur
de ce vide provisoire…
Ne pas croire au miracle d’exister
par la poésie… ne pas y croire,
ralentis, sois en paix, vis ce moment
que te donne la fragile
sérénité du poème. Puisse-t-elle
t’accompagner encore…Rien
de plus haut, peut-être,
ne nous est donné.

*

_

Loin, bien loin au-delà des ponts

Se cachèrent donc,
s’envolèrent loin, ensemble
tels des frères, ne surent pas
ne surent jamais avoir été
faits de rien…
Tentèrent ensuite d’ignorer
de tromper le temps cette suite
lointaine de jours crus, loin bien loin
au-delà des ponts, loin au-dessus
des fleuves et de l’enchaînement
des minutes et des heures…
Loin bien loin sans pouvoir
même un peu aimer le souvenir
et sa répétition de gestes obscurs de
cheminements inscrits ici et là où
maintenant nous nous tenons
et où nous ne parvenons pas
à comprendre ce que veut dire se
savoir partie égarée d’un tout
vivant sur le papier, fidèle à la ligne
que trace le crayon, proche du cœur
proche aussi du rêve tremblé
et de la tendresse de l’adieu.

*

_

Tu t’en souviens bien

Tu le sais bien que j’avais chants et refrains,
que j’avais rêves et regrets tous logés à l’intérieur
de ma passion pour la terre…
Je voulais me tenir à l’intérieur de la vérité
des choses me tenir dans le cœur
même des choses…
« Allons, tous ensemble allons, vraiment ? »
égaux, véritablement égaux…
Bien plus j’aurais aimé
que tous le soient…
Je courais pensant « c’est vrai
je l’avoue » tu t’en souviens
toi qui le savais « j’ai vraiment rêvé
oui, moi aussi, d’une cité socialiste,
oui, moi »…tu as écarquillé les yeux
alors et m’as demandé : quoi d’autre ? »
« Une patrie socialiste j’en ai rêvé »,
t’ai-je répondu.

*

À l’arrêt de l’autobus

Voyager ensemble et
ne pas pouvoir attendre
avant avant Milan
en cette journée grise
comme seulement ici
elles peuvent l’être
« Oui, tu t’envoleras,
vraiment crois-moi,
tu bâtiras ta vie loin
de moi, parce que c’est
juste justement ainsi. »
Et pendant ce temps,
un à un, se lèvent,
se mettent à bouger,
nos pieds sautant d’un coup
dans le temps, dans
cette année nouvelle…
Impossible rester encore
ici, debout à parler,
je pourrais te dire là
peu à peu tu pourras
t’apercevoir combien
le temps nous enserre,
inexorablement nous
aveugle et nous entraîne,
toi et moi, le père et la fille,
la fille comme le père.

*

Les yeux écarquillés

Vous m’avez regardé avec des yeux
écarquillés, le regard sévère…
Tu n’es qu’un poète juste un poète
m’avez-vous dit, puis durement :
L’égalité dont tu parlais…
--dont je parle, - vous ai-je interrompu-
dont tu parles, n’a jamais été donnée,
et ne sera jamais donnée…
Je vous ai tourné le dos, une douleur
m’a agrippé l’intérieur et marchant
je pensais, ô poésie, force ardente, unique
force unique, comme un fou
je continuais en marchant
à rêver d’une société
d’êtres égaux.

*

Père/Les Occasions

J’étais plongé dans la claire rigueur
des Occasions d’Eugenio Montale
quand tu m’es revenu à l’esprit
Papà arrêtant ma pensée et
le crayon…je me suis souvenu
de ton dernier jour la dignité
qui rayonnait dans tes paroles
calmes paisibles retenues
consolant et soutenant
tes enfants
qui se sentaient impuissants
Père toi qui dans les dernières
années allais seul dans une maison
vide comment te faire savoir
--moi qui tellement doute d’une
autre vie- que je te porterai
en moi jusqu’à mon dernier
jour ?

*

Perle solitaire

La patrie perdue est perle solitaire
nuit lumineuse ici où encore
l’obscurité engloutit les villes
t’engloutit comme une vérité
tranquille au long de du parcours
la route nous conduira là où finit le bois
là où s’arrête la forêt ombreuse
l’hésitante épouse des symboles
perdus quand existait encore la force
la volonté de rentrer à la maison
le soir et pas à pas nous pensions
qu’allait grandir
qu’allait surgir
intacte une aube nouvelle.

Evaporare gli anni

Disperdere dunque la coscienza
del tempo evaporare gli anni
così senza pietà correre correre
lontani dal qui e dall’ora non
esistere sapendolo mentre
incessante risuona tra le tempie
e queste campagne la certezza
che dice : “Tutto è impossibile
ma tu ricordati, ricorda il desiderio
offeso del tuo pur mutilato amare”.

*

Nella terra – oro

Raccontami, dimmi di questo sole
cocente sull’acqua mentre
indifferenti girano le sfere
nel grande vuoto e tutto
scandisce come cicala nella
terra – oro la presenza la superficie
opaca segnata dal pieno dei corpi
e delle cose. Anni, mesi, giorni :
tutto è inutile per noi ; per te :
e questo, ora, lo sai. Passeranno
queste risa, queste grida, queste
meraviglie… a nulla sarà servito
averle amate come inclinate assenze…
risucchiati noi saremo, estinti.
Dunque ora tu siedi, abbi pace,
calma la tempesta del dolore,
resta nell’alba e nella quiete
mio lettore, mio fratello ; come
paglia bruceremo in pochi istanti,
nulla nel nulla.

*

Non sai

Qui tutto è basso
per resistere al vento
noi anche cammineremo
e tu che pensi tu non
sai se sei migliore di
questi uccelli migratori,
di queste gazze di
villaggio, libellule che
chiamano il tuo respirare…
“Saremo sempre qui” scrivevi
una volta… non ci siamo
mai stati invece non
ci staremo mai ; troppo
confidi la tua verità
in questo pieno che apre
alle realtà dell’essere
alle sensazioni più dolci
alle illusioni di esistere.

Camargue, 5 luglio 2015

*

Sotto la rada ombra

Sorgere lontano ; prendere
senza esitazione il maledetto
tempo, come prima sotto la rada
ombra discontinua dei platani
trovare pace la pace che cresce
nella verità del nostro deserto ;
quale speranza rimane dopo
questa lunga e breve, erta
arrampicata sotto un sole
feroce che annienta ogni
cosa, deride il desiderio
stesso di vedere, sentire
l’essere… nessuna pienezza,
ti è stato detto con imperturbabile
calma, nessuna realtà anche tu
come tutti dentro a questo
provvisorio vuoto…
non pretendere il miracolo
di esistere dalla poesia, non
pretenderlo… adagiati, abbi
pace, vivi questo momento
che ti dona la sparuta serenità
dei versi ; possa accompagnarti
ancora… nulla di più alto, forse,
ci è dato.

*

Via via al di là dei ponti

Si nascosero dunque,
volarono via, insieme
come fratelli non seppero
non seppero mai d’essere
fatti di niente…
tentarono quindi di ignorare di
ingannare il tempo quel seguire
lontano dei crudi giorni, via
via al di là dei ponti, via
sopra ai fiumi e alle catene
delle ore e dei minuti…
via via senza sapere
potendo poco amare
il ricordo come una ripetizione
di gesti oscuri di camminamenti
incisi qui, qui, dove adesso ci
stiamo toccando dove ora
non riusciamo a comprendere
cosa vuol dire sapersi come
una parte senza scopo animata
nella carta, fedele alla linea
che fissa la matita, vicina
al cuore al tremore del sogno
o alla tenerezza di un addio.

*
_
Tu lo ricordi bene

Lo sai, sai che avevo arie, avevo canti,
avevo sogni e rimpianti tutti dentro
alla passione della terra…
volevo stare dentro alla verità
delle cose nel cuore stesso
delle cose…
“andiamo ? tutti insieme andiamo ?”
uguali sì veramente uguali…
avessi amato ancora di più
l’essere tutti…
io correvo io pensavo “è vero
lo ammetto” tu lo ricordi bene
tu lo sapevi “è vero sognavo
anche io una città socialista,
di più, io…” hai sgranato gli occhi
allora, mi hai chiesto : “Che cosa
più di questo ?” “Una patria socialista
sognavo” ti ho risposto.

*

Alla fermata dell’autobus

Andare di corsa
e non poterti aspettare
davanti davanti Milano
in questa giornata grigia
come solo qui può essere
“Sì, tu volerai, volerai,
veramente, devi credermi,
costruirai la tua vita
lontano da me, perché
è giusto è giusto così”.
E intanto si levano uno
dopo l’altro, accorrono
i passi, i nostri passi
a capofitto in questo
tempo, in questo nuovo
anno… è impossibile
restare ancora qui,
fermi in piedi a parlare,
qui dove potrei dirti
che poco per volta, solo
poco per volta dovrai
accorgerti di quanto
ci circonda il tempo
inesorabile, come ci
accieca e ci trascina,
io e te, io e te, padre
e figlia, padre e figlia.

*
_
Gli occhi sgranati

Mi avete guardato con occhi
sgranati, occhi e sguardi stupiti…
“sei proprio solo un poeta”
mi avete detto, e poi, duri :
“L’uguaglianza di cui parlavi ”…
-- “parlo”, vi ho interrotto –
“di cui parli, non è mai stata
data, non sarà mai data”…
vi ho voltato la schiena, un
dolore mi ha costretto dentro
camminando pensavo “ o poesia,
poesia, strenua forza, unica
unica forza” come un pazzo
dentro camminando continuavo
a sognare una società di uguali.

*

Padre (Le Occasioni)

Immerso ero nel limpido rigore
delle “Occasioni” di Montale
papà quando mi sei tornato
in mente fermando il mio
pensiero e la matita…
ho ripensato al tuo ultimo
giorno la dignità che si
irradiava attorno alla tua
parola ferma pacata tornata
consolante a sostenere noi
inadeguati figli.
O padre che negli ultimi anni
camminavi solo in una casa
vuota come potrò farti sapere
-- io che dubito tanto esista
un’altra realtà - che ti porterò
con me con me fino all’ultimo
giorno ?

*

Perla solitaria

La patria perduta perla solitaria
notte splendente qui dove ancora
il buio avvolge le città ti avvolge
come una serena verità del dove
nelle stazioni del percorso il cammino
che ci porterà là là dove finisce
il bosco cessa la selva ombrosa
la tentennante sposa dei simboli
caduti quando ancora c’era la forza
la voglia di tornare a casa di sera
e passo dopo passo pensare
che stesse crescendo che sorgesse
intera un’alba nuova.

FILIPPO RAVIZZA – poesie tratte dalla raccoltaLa coscienza del tempo”, La Vita Felice Editore, Milano, maggio 2017

D’autres textes de Filippo Ravizza traduits par Sylvie Durbec sur Terre à ciel :

Filippo Ravizza (1)
Filippo Ravizza (2)


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