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Lueurs, Cid Corman, traduit de l’anglais par Danièle Faugeras

lundi 11 janvier 2021, par Cécile Guivarch

Cid CORMAN
Lueurs
Traduit de l’anglais (E. U.) par Danièle FAUGERAS
PO&PSY princeps 2021
92 pages – 12 €

Présentation de l’auteur

Cid CORMAN (Boston, 1924 - Kyoto, 2004), personnage-clé dans l’histoire de la poésie américaine de la seconde moitié du 20ème siècle, à la fois comme poète (prolifique), traducteur (inspiré) et éditeur (perspicace), est resté jusqu’à ce jour, faute de traduction, quasiment inconnu du public français.

C’est à l’Université qu’il écrit ses premiers poèmes et remporte son premier prix de poésie. De retour à Boston après quelques années de voyage à travers les États-Unis, il crée This is poetry, le premier programme radiophonique de poésie du pays.

Dès 1951, il se consacre à la revue Origin, qui paraît, avec des interruptions, jusqu’au milieu des années 80. Parmi les poètes publiés : Charles Olson, Louis Zukovsky, Gary Snyder, Wallace Stevens, William Carlos Williams...
La revue mène en outre à la création des éditions Origin Press, qui publièrent des œuvres de ces poètes et de Corman lui-même, et qui est toujours active.

En 1954, nanti d’une bourse d’études, Corman se rend en France, où il étudie quelque temps à la Sorbonne.
Puis en Italie, où il enseigne l’anglais dans la ville de Matera.
Il expérimente aussi la poésie orale, enregistrant sur bande magnétique des poèmes improvisés. Ces bandes influencèrent plus tard les talk-poems de David Antin, une des premières expériences d’où sortit la poésie-performance.

En 1958, il obtient un poste d’enseignant à Kyoto, et se met à traduire de la poésie japonaise, en particulier de Matsuo Bashô et de Kusano Shimpei.
Curieusement, Corman ne lisait ni n’écrivait le japonais, même si sa traduction (en collaboration avec Susumu
Kamaike) de Oku no Hosomichi de Bashô est considérée comme stylistiquement une des plus précises en langue anglaise. Il était en outre capable de traduire du chinois classique sans avoir la moindre connaissance de la langue.
Ses traductions (ou cotraductions) incluent entre autres La sente étroite du bout du monde, de Matsuo Bashô, Le parti pris des choses, de Francis Ponge, des poèmes de Paul Celan et des haïku.
Ses propres recueils sont souvent constellés de poèmes d’auteurs traduits par lui.

Cid Corman a écrit de la poésie quotidiennement pendant plus d’un demi-siècle. À travers la poésie, il reconnaissait les moments particuliers uniques qui constituent nos vies. Écrire et réécrire ces moments lui permit de mieux comprendre la nature humaine et l’amena à affirmer sa croyance en l’universalité de l’expérience humaine.
Le fondement de cette universalité réside dans le fait que les deux expériences communes à tous les êtres, celle du « naître » et celle du « mourir », coexistent au présent, à l’intérieur même de chaque moment singulier de la vie de chacun. Corman crée le terme de livingdying (le fait de « vivremourir ») pour exprimer cette coexistence, et tout son travail d’écriture s’emploie à démontrer cette réalité du « vivremourir au présent » à partir de sa propre perception des différents moments qu’il vécut personnellement au cours de ses voyages à travers le monde.

La pratique d’écriture quotidienne de Cid Corman a produit un vaste ensemble d’œuvres qui ont circulé sous forme de broadsides (publications dans des journaux), de chapbooks (livres de colportage) et de volumes publiés à la fois chez des petits et des grands éditeurs.
Quand Corman est mort, en 2004, ses œuvres publiées se comptaient par centaines.
Son œuvre maîtresse, OF, comporte quelque 2300 poèmes réunis en trois volumes (1990 et 1998). Deux autres volumes étaient prévus lorsqu’il tomba malade.

Cid Corman a été associé à la Beat Generation, aux Black Mountain poets et aux Objectivists, surtout à cause de son soutien en tant que rédacteur, éditeur et critique. Toutefois, il est resté indépendant de tout groupe et mode.

Présentation de l’ouvrage

L’ouvrage consiste en une sélection de 74 poèmes brefs de Cid Corman, proposée par la traductrice à partir de cinq recueils :

  • Aegis, Station Hill Press, New York 1983.
  • And the world, Coffee House Press, Minneapolis 1987.
  • Marginalia, Shearsman Books, Plymouth 1996.
  • Nothing doing, New Directions Books, New York 1999.
  • The next one thousand years, Longhouse ed., Guilford 2008.

Il est accompagné de photographies de Luca GILLI.

Extraits

Touring the world
tilling a small field
to its limits.

*

On parcourt le monde
en labourant un petit champ
jusqu’à ses confins.

*

I want nothing
of the river
and it clearly

wants nothing of
me. Yet as it
flows out of the

mountains into
my eyes the heart
becomes a sea.

*

Je ne veux rien
de la rivière
et elle, il est clair

qu’elle ne veut rien de
moi. Pourtant quand elle
s’écoule des

montagnes dans
mes yeux mon cœur
devient une mer.

*

To sit in the room
without a light and
feel the evening come

over the garden
into the house. To
feel it coming home.

*

S’asseoir dans la pièce
non éclairée et
sentir le soir passer

du jardin
dans la maison. Sentir
qu’il rentre chez lui.

*

Nothing more
than this. And
this enough.

But no one –
short of death –
admits it.

*

Rien de plus
que ça. Et
c’est suffisant.

Mais personne –
avant la mort –
ne l’admet.

*

To say much and
not to have said
the little meant.

A burnt match points
from the ashtray’s
edge to the ash.

*

Dire beaucoup et
n’avoir pas dit
le peu qu’on voulait dire.

Une allumette brûlée pointe
depuis le bord
du cendrier vers la cendre.

*

Like a child again
holding a round stone
in my hand until

the warmth of my hand
warms the stone and I
feel comprehended.

*

Comme un enfant encore
tenir une pierre ronde
dans ma main jusqu’à ce que

la chaleur de ma main
réchauffe la pierre et que je
me sente compris.

*

Old pine –
roots crushed
by concrete –

cut down –
removed. Who
recalls

the absence
of a
shadow ?

*

Vieux pin –
racines broyées
par le béton –

amputées –
arrachées. Qui
se rappelle

le manque
d’une
ombre ?

*

Light touches
each of us
for shadow.

We dont lend
but all that
we are gives.

*

La lumière touche
chacun de nous
pour l’ombre.

Nous ne prêtons pas
mais tout ce que
nous sommes donne.

*

It isnt just
the silence. The
sky itself seems

at this moment
incredibly
true. As if it

had without a
single word said
all that it could.

*

Ce n’est pas que
le silence. Le
ciel lui-même semble

en cet instant
incroyablement
vrai. Comme s’il

avait sans un
seul mot dit
tout ce qu’il pouvait.

*

Sky at the window.
Breath obeying breath.
At home in a house.

*

Ciel à la fenêtre.
Souffle obéissant au souffle.
Chez lui dans une maison.

*

Nothing
to do –
seeing

the leaf
come down –
but see.

*

Rien
à faire –
voyant

la feuille
tomber –
sinon voir.

*

Takes
little but
the little

all –
every
night night falls.

*

Ça prend
peu mais
ce peu

tout entier –
chaque
nuit la nuit tombe.

*

If you would step into the infinite –

Only go into the finite everywhere.

*

Si tu veux faire un pas dans l’infini –

Aborde simplement le fini de toutes parts.

*

Who were we to die ?

Who are we to live ?

*

Qui avons-nous été pour mourir ?

Qui sommes-nous pour vivre ?

*

I want the words
so simple and
true you think they

have come out of
your own mouth and
are breathing you.

*

Je veux que les mots
soient si simples et
vrais que tu penses qu’ils

sont sortis de
ta propre bouche et
qu’ils te respirent.

*

If these words be ours
and the words nothing –
as they are – then we

are nothing too. Yes –
yes – let be it so.
But let the words know.

*

Si ces mots sont les nôtres
et si les mots ne sont rien –
ce qu’ils sont – alors nous

non plus ne sommes rien. Oui –
oui – qu’il en soit ainsi.
Mais que les mots le sachent.

*

THE
MEANINGLESSNESS

We live

because

life wants

us to.

*

L’
ABSURDITÉ

Nous vivons

parce que

la vie veut

que nous vivions.

*

Poetry becomes

that conversation we could

not otherwise have.

*

Poésie devient

cette conversation que nous

ne pourrions autrement avoir.

*

There’s only

one poem :

this is it.

*

Il n’y a qu’
un seul poème :

le voilà.

*

Page proposée par Danièle Faugeras


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