Deuxième poème
Dix janvier au matin – dans la lumièreCe matin
Matin de mousse verte dans l’entrejambes des arbres
J’apprends à épeler des couleurs
Dans la palette du ciel à reconnaître l’oiseau
Qui n’aimait pas son frère et j’apprends
À chanter sans le savoir des poèmes transparents
Comme l’air
Froissé sous des ailesJe vois ce trou de lumière qu’enlacent des nuages
Médusés par leur propre puissance
D’air et d’eau
Je fixe les restes de la nuit dans mon bol de café
Je suinte l’amour par tous les pores
Je rédige à l’emporte-pièce
Des phrases qui cognent
Contre le jour
Qui me refuse sa boucheCe matin je voudrais défaire les plis du linceul
Défoncer la cave aux squelettes
Ne plus m’essouffler dans la course au
Temps qui gagne toujours
Et qui m’éreinte
Et qui m’assomme à coups de bleus
Dans les os qui tintent
En frappant plus fort
À la cloche du désirIl suffirait d’un rien de tendresse
Calé contre la colère et qui lui refuserait
Tout passage et toute aumône
Un rien de caresse floutée
Sortie des rêves pour tout envahir
Comme une brume nouvelle
D’où ressurgirait la joie
Nébuleuse et louche
D’aimer un peuCe matin de mousse nue dans l’entrelacs des branches
De vertu soudoyée d’impudeur verte
Et de troncs mouillés
Ce matin de vers vaporeux tout sanglés d’effroi
Qu’on colle à la page comme des papillons
Vivants
Pour recueillir le miracle de leur petite mort
Expirée sauvagement
Dans le désert blanc de nos rêvesCe matin sans esquisse mais aussi
Sans retour
Qui ne reviendra pas plus
Que ne reviennent les douceurs
Veloutées les serments trompeurs
Les choses que l’on se promettait
Les choses que l’on nous promettait
Les illusions qu’on aimait
Les amours qu’on illusionnait
Les fragments du grand soir
Les épices du petit matin
Les bouche-à-bouche d’âmes
Sans lendemain
ContusionnéesCe matin qui se dérobe au fil des lettres qui le retiennent
Ce matin canard boiteux
Condamné à errer dans les champs du souvenir
Avec le foie plus gros que l’âme
Avec ses ailes rembourrées d’espérance
Qui ne font plus litière
A la nuit tombée dans l’abattoir des anges
Ce matin que rien ne délivre
Et que rien n’obligeCe matin que j’écris
Pour effacer mes propres traces.
Second poem
January 10, morning – in the lightThis morning
Morning of green moss between the legs of trees
I learn to spell colors
in the sky’s palette to recognize the bird
that never loved his brother & I learn
to sing without knowing poems transparent
as air
folded underwingI see this hollow of light that embraces clouds
bewildered by their own power
of wind & water
I let remnants of night settle in my coffee cup
I exude love from all my pores
I write with sharp knives
sentences that strike
at daylight
who denied me his mouthThis morning I want to undo the folds of this shroud
Break down the basement filled with skeletons
No longer out of breath running the race against
Time who wins each time
& wears me out
& stuns me with bruises
While my bones ring out
as they strike harder
at the bell of desireThe slightest tenderness would be enough
braced against anger which would refuse it
all passage & all alms
The slightest caress blurred
out of dreams to invade all things
like new mist
out of which joy would reappear
nebulous & suspicious
of loving a littleMorning of naked moss in crossed branches
of virtue bribed with green shamelessness
& of damp tree trunks
Morning of hazy worms strapped down with dread
that one sticks to the page like
live butterflies
to collect the miracle of their little death
wildly expired
in the white desert of our dreamsMorning without sketch but also
without return
Which will not return any more
than sweets return
Deceptive velvety vows
Things we promised ourselves
Things we were promised
Illusions we loved
Loves we deluded
Fragments of grand evenings
Early morning spices
Word of mouth from bruised
souls without
tomorrowThis morning which slips away over letters that restrain it
This crippled duck morning
Condemned to wander in the fields of memory
With a liver bigger than the soul
Its wings stuffed with hope
which no longer holds oversight
at nightfall in the slaughterhouse of angels
This morning in which nothing is delivered
and nothing is requiredThis morning I write
to erase my own traces.
Troisième poème
Onze janvier au matin – avant de sortirAu réveil je me tiens
Nue devant mon âme
Quelques instants sans bouger
Dans le lit qui tangue encore du mauvais sommeil
Et j’attends les oiseaux qui viendront me tirer
De ce mauvais pas de cette heure impossible
Qui s’affiche au cadran de l’aube
Quand elle ne nous appartient plusJe me souviens d’autres lits d’autres réveils
De la lumière et de ses soleils diffractés
Ceux qui fabriquent des arcs au ciel
Ceux qui sondent avec leurs mains de pêcheur
Jusque dans les abysses où crèchent encore
Le bonheur et son odeur de baleine
Qui fait le dos rond
Je sens passer très loin sous mes pieds
Trop loin pour l’atteindre
Le très vieux troupeau
De la joie
Qui nage en eaux profondesJe me tiens
Nue devant mon âme
Allongée dans le lit comme je le serai un jour Pour le dernier voyage je m’y tiens
Je me concentre sur la sensation d’exister encore
Un peu j’attends
J’attends furieusement
Lovée dans ma colère et dans mon amour
Les oiseaux qui viendront me tirer
De ce mauvais pas de cette aube affolante
Et je songe à la mer
À ses os de corail
À ses tremblements de hanche
Dans les déferlantesEt je me tiens silencieuse
Nue devant mon âme qui s’enclot
Bernard l’ermite dans sa coquille de chair
Nue dans le lit qui me retient
Lacérée de griffures invisibles
Disloquée comme une pendue aux cordes du rêve
Et je me tiens silencieuse dans l’attente
Infernale de l’oiseau qui saurait
Chanter ce peu de lumière
Et prendre sous son aile
Toutes les couleurs de la peinePuis je me lève
À peine défaite
Je regarde dans le miroir
Les ridules qui n’ont pas bougé
Les yeux qu’embrumerait le désir
Toutes les veines vertes qui percent sous la peau
Preuve que le sang court encore
Et les muscles mal agiles qui frémissent
Et la gorge qui déglutit
Je vois
Toute la mécanique des corps vivants
Étrange étrangère
Pour celle qui se tenait nue devant son âme
Un instant plus tôtLevée
Je me rhabille de tous mes masques
Les pose soigneusement
L’un par-dessus l’autre
En prenant soin des coutures
Que rien ne dépasse
Je les fixe et les arrime
Tous les masques
Je fignole toutes les soudures
Que rien ne dépasse
Sous le bouclier qui ne protège de rien
Que rien ne trahisse la nudité de l’âme
Sous la peau rose des masquesJe les ai bien mis
Si bien que pas un ne tombe
Nue derrière les masques
Je franchis le pas de la porte
Les oiseaux ne me reconnaissent pas.
Third poem
Morning of January 11th – Before leavingUpon waking I stand
naked before my soul
a few moments not moving
in my bed that still sways from restless sleep
& I wait for the birds that will come pull me out
from the stumbling step of this impossible hour
displayed on the face of dawn’s clock
which no longer belongs to usI recall other beds other awakenings
of the light & its diffracted suns
Those that paint arcs in the sky
Those that probe with fisherman’s hands
Down to the abyss where happiness still lives
& its smell of whales that lays low
I feel it passing so deep beneath my feet
Too far away to attain
the ancient school
of joy
that swims in deep watersI stand bare
before my soul
stretched out in bed like I will one day
for the last voyage I take there
I focus on the feeling of still existing
I wait a bit
Wait furiously
nestled in my anger & my love
The birds will come pull me out
from the missteps of this disturbing dawn
& I dream of the sea
its coral bones
its trembling hips
in the breaking wavesI stand silent
nude before my soul that encloses
the hermit crab in its shell of flesh
naked in the bed that holds me
cut with invisible claw marks
Dislocated pendulum on ropes of dreaming
& I stand silently in the infernal wait
for the bird that will know
how to sing a little light
& take underwing
all the colours of sorrowThen I arise
barely defeated
I see in the mirror
wrinkles that have not moved
Eyes that would mist over with desire
All the green veins that penetrate the skin
Proof that the blood still pulses
The clumsy muscles that quiver
The throat that swallows
I see
all the mechanics of living bodies
Strange stranger
for one who stood naked before her soul
a moment beforeRisen
I dress up again in all my masks
I painstakingly place them
one upon another
taking care that nothing
exceeds the seams
I fix & fasten them
All the masks
& I perfect all the welding
so nothing protrudes
beneath the shield that protects from nothing
so nothing betrays the nakedness of the soul
under the pink skin of masksI have placed them well
so well that not one falls
Naked behind the masks
I cross the doorstep
The birds don’t recognize me
ADELINE BALDACCHINO, née en 1982 à Rillieux-la-Pape, a étudié la philosophie et l’ethnologie avant d’entamer un cursus en politique publique qui la mène à la Cour des comptes. Elle publie de la poésie depuis 1999. Ses deux derniers recueils sont parus chez Rhubarbe : 33 poèmes composés dans le noir (pour jouer avec la lumière) en 2015 et 13 poèmes composés le matin (pour traverser l’hiver) en 2017. Elle anime depuis deux ans un cycle de rencontres mensuelles de poésie vivante au Théâtre des Déchargeurs en partenariat avec le Printemps des poètes. Enfin, elle collabore régulièrement à l’aventure du collectif et du magazine Ballast. Son site : http://abalda.tumblr.com/
Bibliographie
Poésie et proses poétiques
• 13 poèmes composés le matin (pour traverser l’hiver), Ed.Rhubarbe, 2017
• La chair et l’ombre, livre d’art avec Michel Rémaud, 2017
• 33 poèmes composés dans le noir (pour jouer avec la lumière), Ed.Rhubarbe, 2015
• Petites peaux de poèmes, Hors-série de la revue 22 montée des Poètes, 2006
• Le poème du (c)RIEN, Hors-série de la revue 22 montée des Poètes, 2004
• L’outre-nuit, collection Franche-Lippée, Ed. Clapas 2002
• Voyages de la sève, collection Les Ami(e)s à voix, Ed. Clapas 2001
• Traduit de l’éclair, collection Franche-Lippée, Ed. Clapas 2001
• Parois d’un Miroir, collection Les Ami(e)s à Voix, Ed. Clapas 2000
• Plein masque, collection Franche-Lippée, Ed. Clapas 2000
• Il faut aimer avant de vivre, collection Tiré-à-Part, Ed. Clapas 2000
• Ce premier monde…, collection Les Ami(e)s à Voix, Ed.Clapas 1999
• Que le mot d’escriture…, collection Franche-Lippée, Ed.Clapas 1999
• Les ombres du Graal, collection Les Pierres du Pressoir, Ed Clapas 1999Essais
• Michel Onfray ou l’intuition du monde, Ed. Le Passeur, 2016
• La ferme des énarques, Ed.Michalon, 2015
• Fragments inédits de Diogène le Cynique, présentation et traduction, Ed.Autrement, 2014
• Max-Pol Fouchet, Le feu la flamme, Une rencontre, Ed. Michalon, 2013 (prix docteur Carrière 2015 de l’Académie des sciences morales et politiques)
David Leo Sirois is a Canadian-American poet published 131 times, in 20 countries. His work has been translated into 12 languages (Hindi, Bengali, Nepali, French, German, Czech, Spanish, Greek, Romanian, Chinese, Turkish, & Doric). He hosts Spoken World Online, the Zoom continuation of SpokenWord Paris. His first collection is called Humbledoves (poems to pigeons & plants). He won Third Prize in Winning Writers’ Wergle Flomp Humor Poetry Contest, & his poetry has appeared in journals such as The Bombay Review, The Poetry Village, One Hand Clapping, Indian Periodical, The Sunday Tribune Online, THE BASTILLE, the Madras Courier, & Terre à Cièl (which also published his translations from the French). David is often featured at global events, such as the Panorama International Literature Festival, & 100 Thousand Poets for Change, as well as in many international podcasts & interviews. He is also a singer/songwriter, radio DJ, & a film/TV/theater actor. He is currently submitting 5 finished manuscripts for publication, & writing several more.