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Poésie Native American - présentation et traductions de Béatrice Machet

samedi 13 avril 2024, par Cécile Guivarch

RENA PRIEST- LUMNI

Rena Priest est membre de la nation Lhaq’temish (connue sous le nom de Lummi, « les gens de la mer »). Traditionnellement, pour ce peuple ainsi que tous les peuples qui vivaient sur la côte nord-ouest (océan pacifique) de ce qui est désormais les Etats-Unis, les saumons jouaient un grand rôle dans cette culture qui dépendait de leur migration annuelle. Ils utilisaient aussi l’écorce des cèdres pour faire des paniers, pour la réduire en corde afin d’en faire des filets, quant au tronc il était évidé pour faire des canoés. En tant que sixième « poet Laureate » de l’état de Washington (de 2021 à 2023), Rena Priest a promu et mis en valeur la poésie. Elle a reçu des récompenses et des bourses des institutions suivantes : the University of Washington Libraries, Allied Arts Foundation, the Academy of American Poets, Indigenous Nations Poets, Nia Tero et the Vadon Foundation. Elle est l’auteure de trois recueils et de deux anthologies. En outre, ses poèmes sont publiés dans les magazines et revues telles que Poetry Magazine, High Country News et Poets.org pour en citer quelques-uns. Elle a un « master in fine art »(MFA) obtenu à l’université Sarah Lawrence College. Elle vit dans l’état de Washington.

Pour quoi ?

La terre danse,
danse toujours,
lance des pirouettes
dans les tourbillons de la mer,
se penche et se courbe dans la fumée
au-dessus d’un feu ondulant.

Les marées sont une troupe chorale.
Elles avancent et reculent
sous les applaudissements des vagues
tandis que dans un champ, des fleurs
se dandinent et sous la brise
s’agitent en musique

Et toi, as-tu déjà
librement dansé détaché de toi
as-tu trouvé la paix dans le rythme
de ton être - dansé
pour exprimer
la joie propre de la terre

fil brillant
flottant dans le tissu
auquel nous sommes tous liés,
connectés, forgés,
par le mystérieux tisserand
pour quoi, sinon pour danser ?

For What ?

The earth dances,
is always dancing,
turning pirouettes
in the eddies of the sea,
bending and curling in smoke
over an undulant fire.

Tides are a chorus-line.
They advance and retreat
to the applause of waves
while out in a field, flowers
shimmy and shake
to the music of a breeze

And you, have you ever
danced yourself loose from you
found peace in the rhythm
of your being—danced
as the earth’s own
expression of joy,

a bright thread
fluttering in the cloth
we are all woven into,
connected, wrought,
by the mysterious weaver
for what, but to dance ?

 

La forêt pour les arbres

J’ai vu un arbre partagé en deux
à cause du poids de ses branches opposées.
Il peut survivre, même si son cœur est exposé.
J’ai vu un pays en faire autant.

J’ai entendu un aîné dire
que nous devons être comme le saule—
plier pour ne pas casser.
J’ai fait la paix de cette façon.

Laissant le mien sans défense
mes voisins coupent tous leurs arbres,
Seuls, ils tomberont au premier vent fort.
Ensemble, nous tenons debout. Je vois ça maintenant.

J’ai vu un arbre pousser près
d’un vélo, d’un panneau de signalisation et d’une tronçonneuse,
il les absorbe comme des ingrédients
dans un grand creuset.

Quand nous parlons, qu’on soit d’accord
ou non, les arbres transforment
le souffle de nos mots
à partir du dioxyde de carbone de l’air—

donnez-nous un nouveau souffle
pour des mots nouveaux,
de nouvelles chances d’écouter,
de nouvelles chances d’être entendus.

The Forest for the Trees

I have seen a tree split in two
from the weight of its opposing branches.
It can survive, though its heart is exposed.
I have seen a country do this too.

I have heard an elder say
that we must be like the willow—
bend not to break.
I have made peace this way.

My neighbors clear-cut their trees,
leaving mine defenseless. Alone,
they’ll fall in the first strong wind.
Together we stand. I see this now.

I have seen a tree grown around
a bicycle, a street sign, and a chainsaw,
absorbing them like ingredients
in a great melting pot.

When we speak, whether or not
we agree, the trees will turn
the breath of our words
from carbon dioxide back into air—

give us new breath
for new words,
new chances to listen,
new chances to be heard.

KIM BLAESER Anishinaabe

Kimberly Blaeser, ancienne “poet Laureat” de l’état du Wisconsin, fondatrice et directrice de l’In-Na-Po—Indigenous Nations Poets, c’est à dire une association de poètes indigènes, est aussi photographe. Autrice de 6 recueils de poésie dont les plus récents sont : Copper Yearning, Résister en dansant/Ikwe-niimi : Dancing Resistance (recueil bilingue paru aux éditions des Lisières en France). En 2024 paraîtra Ancient Light. Kimberly Blaeser a également fait publier Traces in Blood, Bone, and Stone : Contemporary Ojibwe Poetry (Traces dans le sang, l’os et la pierre, une anthology de poésie Ojibwé). Dans le domaine universitaire elle est l’autrice d’un travail sur l’œuvre du célèbre écrivain Anishinaabe Gerald Vizenor intitulé Gerald Vizenor : Writing in the Oral Tradition (écrire selon la tradition orale). Ses photographies et picto-poèmes ont fait l’objet d’expositions. Qualifiée de “knock out poet” , c’est une militante de la cause des peuples Indiens d’Amérique, ainsi qu’une envirementaliste. Elle est membre de la nation Anishinaabe et a été élevée sur la reserve de White Earth au Minnesota. Elle enseigne encore à l’institut des arts amérindiens de Santa Fe, elle est professeure émérite de l’université du Wisconsin. Elle partage son temps entre sa résidence dans le Wisconsin et une cabine à laquelle on n’accède qu’en canoé dans la zone sauvage de Boundary Waters, dans le Minnesota.

je vais rencontrer mes petits dieux

La liane des lézards est désormais devenue branches.
Mêlés à l’écorce, un nœud et même une pointe de la feuille
de citron vert : un bord qui disparaît.

Qui donc dois-je prier ?

Il y a de délicats pétales froissés, des couches de pétales
froissés, comme les douces mains enlacées des enfants,
qui chantent en cercle dans une danse – ils fleurissent.

Tout regard m’extirpe d’un credo unique.

À moins que moi plume ne fasse pousser des écailles ou ne mue.
Élémente-moi, jusqu’à ce que la migration me parcoure
d’anciens courants, je ne suis ni larme ni poème.

Les mots peuvent être ailes, mais pas le vol.

Allez vers les petits dieux et faites halte - l’esprit s’ouvre
comme de la chair – une fissure, un chant. Mon pied se lève
et tombe, lève et tombe, lève – à présent attend.

Ici est devenu précipice, éveillé, comme le silence.

i go to meet my tiny gods

Lizards vine, now become branches.
Blend into bark, knot, even sweet lime
point of leaf—an edge disappearing.

To whom then shall I pray ?

There delicate creased petals creased petals
layer, like singing children’s soft hands
entwined in circle dance—in flowering.

All looking pulls me from single creed.

Unless I feather grow scales or molt.
Until migration miles me ancient currents
element me, I am not tear nor poem.

Words may be wings, but not flight.

Go to tiny gods and break—spirit opens
like flesh—a fissure, a song. My foot lifts
and falls, lift and falls, lifts—now waits.

Here become precipice—awake, like silence.

 

La façon dont nous aimons quelque chose de petit

La lune brille sur la selle des montagnes—
un oeil doré s’ouvre.

Maintenant nous qui regardons la montée des Giizis, complétons.

Nous aussi nous grandissons.

Ronds
en étant vus.

The Way We Love Something Small

Moon glow in the saddle of mountains—
a golden eye opening.

Now we who watch Giizis rising fill.

We too grow.

Round
with being seen.

GORDON HENRY Anishinaabe

Gordon Henry Jr., né en 1955, est membre de la Nation Anishinaabe, sa famille est née et a vécu sur la réserve de White Earth dans le Minnesota. Son père travaillait dans la marine américaine, de ce fait Henry a grandi sur des bases militaires, tout en retournant sur la réserve le temps des vacances. Il a fait des études supérieures à l’université de Wisconsin, puis a obtenu une maîtrise en anglais et écriture créative à l’université du Michigan, et enfin il a soutenu une thèse et obtenu un doctorat à l’université du Dakota du nord. Il est l’auteur d’une plaquette de poésie intitulée Outside White Earth (À l’extérieur de White Earth, parue en 1986) ainsi qu’une autobiographie en prose et en vers libres intitulée The Failure of Certain Charms (L’échec de certains charmes, paru en 2007). Ses poèmes ont été publiés également dans de nombreuses revues. Son roman The Light People (Les Gens de la Lumière, paru en 1994), a reçu le prix American Book. Gordon Henry a également co-écrit un manuel scolaire intitulé The Ojibway (Les Ojibwés, paru en 2004). Il est professeur d’Anglais à l’université d’état du Michigan et dirige la série des études amérindiennes des presses universitaires du Michigan.

La rivière raconte, chante pour nous Endormis

Renard sur la rive droite
avant le saule

Corbeau volant à basse altitude traverse
le scintillement toujours fluide
de nos nombreux visages

Frai d’automne bondissant

La langue
des étrangers en amont

Quelque chose au sujet
d’un écho de distribution lunaire
d’un chanteur sur un pont

Un canto de
fumée soufflée

Avec une syntaxe de corps flottants
et de consonance submersible
non divulguée

C’est ici que tu peux nager
C’est là que tu ne le dois pas

Un tourbillon silencieux ici

Un homme et une femme
ensemble
sur un talus pareil à une couverture rouge

Une femme qui regarde
dans
l’eau plate
à la recherché d’un passé
parmi les flottantes
feuilles

j’ai emmené des enfants
J’ai remis des parents

En aval de
portages et de barrages

Une mère avec
une offrande pour que
toujours

Les cerfs lèchent le lever du soleil

Nous avons accepté une autre
petite embarcation

Des traces d’ours
délavées avec le sillage
d’un blanc
canoé

Lune précoce à la proue
Soleil tardif à l’arrière

Contes de corps
et de bateaux disparus
Récits de bûches
retournées

Explosions d’embâcles

Torches et lances

L’en-avant des poisons bruns
Leur couleur variable
rayée de soleil
la traction de la ligne

Un jet de pierres

Sous l’eau le reflet
de petite monnaie

L’introduction du nettoyant pour le visage
les mains
Une touche d’écumoire
sous un cercle
de libellules

L’objectif plein de sable
d’un Canon caressé
par des doigts d’herbe

La dureté d’un
Rocher saillant
au cœur qui arrête
les rapides

La canette de bière
d’un tubercule volant
vers le ravage sacré
des deux hérons bleus

Une main sur une lanterne
se rapprochant de
cette voix

Un enfant cherchant à traverser
un archipel
de pierres

Un poète adolescent
depuis la rive gauche
imbibé de vin
maudit la solitude

Un carnet en cuir
retourné dans les rapides
des feuilles de cèdre
mots illisibles
quelques pages non reliées
se séparent

Un pichet du zodiaque
verse des mythes à queue d’étoile
dans tout ce dont nous sommes témoins
en passant continument au ralenti

The River Tells, Sings to Us Sleeping

Fox on the right bank
before willow

Low flying crow across
ever flowing glisten
of our many faces

Leaping autumn spawn

The language of
strangers upstream

Something about
a moon cast echo
of a singer on a bridge

A canto of
blown smoke

With a syntax of floating bodies
and undisclosed submersible
consonance

This is where you may swim
This where you must not

A silent swirl here

A man and woman
on a red blanket
embankment together

A woman looking
into
stiller water
for a past
among floating
leaves

I have taken children
I have delivered relatives

Downstream from
portages and dams

A mother with
an offering to
always

Deer lick sunrise

We have accepted another
small craft

Washed out bear
tracks with the
wake of a white
canoe

Early moon at the bow
late Sun stern

Tales of missing
bodies and boats
Turned over
log rolling
narratives

Ice jam explosions

Torches and spears

The lunge of brown fish
Their sun streamed variant
color
the pull of line

A stones-throw splash

Underwater gleam of
small change

The entry of face wash
hands
A skimmers touch
beneath a dragonfly
circle

The sand full lens
of a Canon caressed
by fingers of weed

The hardness of
protruding Rock
at heart stopping
rapids

A tuber’s
beer can flying
toward the two
blue heron
priested shore

A hand on a lantern
drawing nearer to
this voice

A child looking to cross
an archipelago of
stones

A wine soaked
teenage poet
from the left bank
cursing loneliness

A leather notebook
turning over in cedar
leaf rapids
words illegible
a few unbound
pages separating

A zodiac pitcher
pouring star tailed
myths into all we
witness in slow
continuous passing

 

Il neigeait sur les monuments

Le nom de mon père décédé à côté de mes mères vivantes

Tu es allé plus loin dans le cimetière
Là où tant de mensonges restent perdus en hiver

Là avec les nommés et les sans nom
Il neigeait sur les monuments

Tous les horizons bondés de corps
couverts de nuages
Certains d’entre nous sont partis dans les véhicules
avec lesquels ils étaient venus

Certains sont devenus un geste final
du reflet porté par le soleil du départ
derrière une vitre d’auto
chaleur qui souffle une sensation de retour dans un visage

Il neigeait sur les monuments
Même dans la chaleur d’un moteur qui tourne
Tu dois oublier comment nous sommes arrivés à cet endroit
comment nous partons

It Was Snowing on the Monuments

My dead father’s name next to my living mothers

You went further back into the cemetery
There where so many lies remain lost to winter

There with the named and the nameless
It was snowing on the monuments

All horizons packed with cloud cover
bodies
Some of us left in the vehicles
we came in

Some became some final gesture
of departure’s sun borne reflect
behind auto glass
heat blowing feeling back into a face

It was snowing on the monuments
Even in the warmth of an engine turning over
You must forget how we came to this place
how we leave

Béatrice Machet


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