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Gerald VIZENOR - « Champ libre » - Poèmes imagistes inspirés des « chants de rêve » anishinaabe

samedi 3 mai 2025, par Cécile Guivarch

Bonnes feuilles po&psy 2025

 
Gerald VIZENOR
CHAMP LIBRE. Poèmes imagistes inspirés des « chants de rêve » anishinaabe.
(Titre original : Chance of liberty. Native Imagistic Dream Songs)
Traduit de l’anglais (E.U.) par Marie Cayol
Dessins de Pierre Cayol
po&psy princeps, 88 pages, 15 €

Les 60 poèmes présentés ici en version bilingue, écrits en 2024 à la demande de po&psy sont une première édition y compris dans leur langue originale.

Gerald Vizenor est le plus prolifique des écrivains amérindiens contemporains. Il a publié plus de trente ouvrages dans tous les genres : nouvelles, romans, essais, pièces de théâtre, poésies et critiques d’art, ainsi qu’une anthologie de son propre travail. Il est également le principal rédacteur de la Constitution de la nation White Earth. Deux fois lauréat de l’American Book Award (1988 et 2011), ses réalisations ont été reconnues par de nombreuses distinctions prestigieuses. Mais son influence considérable dépasse le domaine des études littéraires amérindiennes. Les discours publics et universitaires sont imprégnés de sa théorie de l’expérience amérindienne, et une grande partie de cette théorisation peut être attribuée à sa biographie.
Né à Minneapolis le 22 octobre 1934, son père anishinaabe a été assassiné alors que Gerald Vizenor avait à peine deux ans, ce qui l’a amené à passer des années entre la maison de sa grand-mère paternelle sur la réserve de White Earth, les familles d’accueil et les périodes de vie avec sa mère, une Américaine suédoise de troisième génération. Cet environnement a permis à Vizenor de se familiariser avec la vie en tant que personne d’ascendance mixte : une identité post-indienne qui, dans son œuvre, est en tension avec le stéréotype colonialiste de « l’Indien ».
La puissante influence de la culture anishinaabe de sa grand-mère a produit dans ses écrits non seulement le trope caractéristique du trickster mythique [1], ainsi que des histoires traditionnelles « réexprimées », mais aussi des concepts tels que la « survivance », les « manières manifestes », les « croyances terminales », la « présence autochtone » et la transmission qui informent à la fois ses écrits et les approches scientifiques.
L’expérience historique des autochtones, que Vizenor connaît bien grâce à son activité au sein de la communauté, est à la base de ces concepts, mais ses écrits se caractérisent également par une densité théorique qui reflète son statut universitaire : il est professeur émérite de l’université de Californie à Berkeley et de l’université du Nouveau-Mexique.

Extraits

feuillages flamboyants
érable rouge et bouleau
danseurs de l’ombre
rebondissant sur les fenêtres
rumeurs d’octobre

*
grand incendie de septembre
natifs au lac bakegamaa
cendres d’histoires de cœur
prédateur et proie
poursuite du silence

*
loups au loin
hurlant dans les pins blancs
pratique de coureurs des bois
se moquant des cris du castor
ballots de fourrures

*
les magnats du bois
ont abattu des forêts de pins
pays de souches
outrepassant l’éclaircissement
mercenaires en hauts-de-forme

*
fantômes de neige
avalanche de paroles suicidaires
insaisissable attrait de la honte
cavaliers natifs solitaires
sauvés par la dérision

*
ceux-qui-jouent-des-tours
crient et ne grimacent jamais
maîtres des trous de panique
nourrissant les prairies
tombes de misère

*
éolienne rouillée
prise dans un orage
toute la nuit à grincer
ferme abandonnée
souvenirs solitaires

*
des canards colverts
filent sur les eaux gelées de la baie
devant des cabanes de glace
histoires d’appâts et de poissons
à l’amarrage sur le rivage

*
corbeaux d’amérique
se pavanant dans les ruelles
toute la nuit rebuts de restaurant
air de grands seigneurs
tapageuses rave-parties

*
épouvantail dépenaillé
leurre de service dans un champ de maïs
tiges et panicules
des corbeaux sur ses épaules
se moquent pas mal de la peur

*
la lune toute entière
prise dans un nuage de pluie
lentement s’en dégage
ceux-qui-jouent-des-tours
cherchent la lumière

*
empreintes de pas matinales
enfants et châteaux de sable
traces de récits de création
effacées pendant la nuit
bruissement de jusant

*
des phalènes
ricochent dans les lanternes en papier
inclinaison des lumières de jardin
simulacre de lever de soleil
faveurs d’une nuit

*
vent froid
un rush de feuilles sèches
se répand sur le kiosque à musique
souvenirs d’été
danseurs retardataires

*
les journaux
empilés sous la baie vitrée
gros titres
élections et économies
haussent le chat noir

*
des feuilles d’érables
gelées l’hiver dernier
brillent dans la glace claire
premières à s’épanouir
cycles de la mémoire

*
rafales de vent
fleurs blanches de prunier
décorant le jardin
rangées de fanes de radis
prestige de l’élégance

*
éolienne délabrée
des corbeaux atterrissent sur les pales
légers battements d’ailes
se moquant du dernier mouvement
souvenirs d’une ferme

*
taons vigoureux
piégés dans une toile d’araignée
suspendue au-dessus d’une selle western
rênes de nostalgie
corral abandonné


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Notes

[1Le trickster mythique (« celui-qui-joue-des-tours »), Nanabozo, incarne la vie et possède le pouvoir de la créer dans les autres êtres. Son sexe n’est pas défini et il apparaît parfois sous des traits féminins. On peut le trouver également sous l’apparence d’autres animaux tels que le corbeau ou le coyote. Comme toutes les figures mythologiques de type trickster, il est souvent réputé pour son insatiable appétit pour la nourriture et pour sa sexualité débridée. Ainsi, il offre un personnage paradoxal : il est tantôt un puissant bienfaiteur, tantôt un fou farceur et obscène.



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