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Cinq petites notes de poésie par Ghislaine Lejard

mercredi 14 janvier 2015, par Cécile Guivarch

Une trilogie poétique

Radiographie, Eric Dubois, L’inadvertance, publie.net

En cette poésie, flotte un air de nostalgie et la difficulté de vivre s’y exprime : « avons-nous vraiment l’insouciance d’un jour ! ».
Le poète se pose une question essentielle : « dire / comment dire ! ».
La poésie d’Eric Dubois est une poésie du questionnement et les poèmes sont là, consolateurs : « on a besoin de mots » « des mots comme des cataplasmes ».
Le poète sait partager ses souvenirs et nous dire que la nostalgie s’efface devant la vie, plus forte que la mort :

« La vie est une victoire
Sur les jours qui passent »

Une victoire à laquelle contribue ce « monument de papier » que le poète érige en mémoire de son enfance et des siens.

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Mais qui lira le dernier poème ? , Eric Dubois, L’inadvertance poésie, Publie.net

Écrire des poèmes c’est conjurer le temps qui agonise, pour « rendre la mort plus visible ». Écrire dans un éblouissement, sans préméditation, pour éclairer la nuit ; Le poète est : « dans la nuit adossé à l’insurmontable ».
L’écriture comme une revanche personnelle et sociale qui peut laisser le lecteur mal à l’aise quand la confession se fait sans retenue.

« J’en ai assez
D’être moins que ça
moins
Je veux être plus
me hisser au-dessus des autres
Dans les parfums le luxe et les aphorismes
Ici-bas ne me suffit plus
Je veux péter plus haut que mon cul
Dans les parfums le luxe et les aphorismes. »

« Luxe, calme et volupté » disait Baudelaire…

Il pleuvait sur la ville évoquée par Verlaine comme il pleut sur la ville pour Eric Dubois :

« Il pleut et la ville est encombrée
de vies encombrantes et
dérisoires comme la pluie… »

Il n’y a cependant pas de désespérance et le poète appelle à la vie :

« Il faut vivre
les bras chargés de promesses
pour les quelques années
qu’il reste… »

L’écriture aide à la quête du sens et en filigrane, pourquoi pas à la quête de Dieu.

« Il est dans ce poème
Il m’écrit
C’est lui qui guide ma main
qui trouve les mots
Il me parle
Le mot est Dieu
le mot est univers
Dieu est l’alphabet du silence »

Le poète a besoin des mots, et il les trouve, même en l’absence de Dieu.
L’écriture en ce recueil se fait quête :

« Exister par les mots et par la chair
par la bouche et par la nuit
exister. »

La question finale qui donne son titre au recueil : Mais qui lira le dernier poème ? éclaire la démarche d’Eric Dubois, celle d’une quête existentielle tout autant que poétique.
À lire cette interrogation finale, le lecteur se pose une autre question, pour qui Eric Dubois écrira-t-il son dernier poème ?

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Et c’est encore l’hiver, Eric Dubois, L’inadvertance poésie, Publie.net

L’hiver est une saison souvent évoquée dans les poèmes de Eric Dubois, elle est propice à une vie intérieure plus intense, le dénuement qui la caractérise appelle au recueillement et favorise la création.
Les poèmes de ce recueil ont été écrits durant l’hiver 2008-2009.
L’hiver au cœur du silence quand on a refermé la porte, on cherche les mots.

« L‘hiver
métaphore de la pensée

L’esprit vide
Recroquevillé… »

De la fenêtre, le poète voit la ville et la pluie tomber quand défilent l’ennui et les souvenirs ; ceux de l’enfance :

« Il pleut
dans le cartable

Il pleut
dans les souvenirs

Soleil d’hiver
aussi

Les printemps ne sont plus
comme avant

Le temps a fait son travail
de serrurier »

La poésie pour conjurer la détresse de l’adulte qui est devant le monde comme l’enfant devant son jouet cassé, le poète sait que l’« On ne guérit pas du chagrin
comme on ne guérit pas de l’enfance

On ne guérit pas des souvenirs
on tente d’oublier »

Le poète est celui qui réinvente le monde et le redessine par la magie du verbe, qui « voudrait voir la mer /dans la ville » ; il sait aussi que « chaque jour /est un baptême » et que « la destination est une promesse ».

Marilyse Leroux, Le temps d’ici, éditions Rhubarbe

Marilyse Leroux nous parle d’un monde habité, tout ici bas entre en relation, dès le premier poème, le lecteur est invité à entrer au cœur de ce monde : « tu entres/ au cœur de l’espace/ comme dans un nid/ où tu poserais les ailes…Et toujours/ autour de toi/ cette douceur de l’air/ qui te dit/que toute chose/ est habitable/ ici bas. ».
La poésie relie la terre au ciel quand bien même « De ce voyage/ entre ciel et terre/ le temps ne nous dit rien. »  ; elle est comme un « souffle suspendu » qui nous guide à suivre l’oiseau qui « nous ouvre un ciel/ sans partage. », car même si nous bâtissons, c’est « pour mieux suivre l’oiseau/ à l’instant de partir ». Belle métaphore filée de l’oiseau pour nous dire cet « espace bleu » qui ouvre sur l’infini.
Pour entendre la voix poétique, il faut savoir écouter « le silence qui coule bleu » ; savoir regarder le ciel, là où est l’évidence : « Avance/ l’évidence est au ciel. », reconnaître cette parole traversée de lumière et d’amour et qui nous mène vers l’ailleurs : « Cette voix/ dans l’air vivant/ qui te mène/ vers l’ailleurs et après. »
Ce recueil, nous fait entrer en méditation. Le temps est traversé de lumière, une lumière qui nous unit à tout et donc à l’essentiel, quand tout sera accompli de ce temps qui est le nôtre, il restera l’amour qui nous aura traversés car cet « ...amour n’a pas d’âge/ il est l’horizon de ce qui vient. » et nous conduit à « l’extrême pointe/ où tout est possible. ». En filigrane, une présence habite le monde et nous l’offre :

Nous appelions le jour
à la fenêtre
et il nous arriverait
entre deux mains très douces
avec ce qu’il faut d’air et d’eau
……………………..
Le ciel nous sourirait
dans l’entrelacs des doigts. »

…………………………….

Plus loin
penché sur l’ombre
un visage lumière blanche
retient un nid de tourterelle.

…………………………

Ne dis pas
l’amour n’a pas de nom

Il est là
yeux ouverts
dans le jardin. »

Être, c’est habiter le présent, l’instant qui « nous ramène/ à ce que nous sommes…Une part/ de l’infiniment bleu. » Inutile de vouloir appréhender le tout pour rejoindre cette force vive, il suffit de comprendre qu’ « une goutte est la mer/ un éclat fait le soleil. »
Nulle tristesse, quand tout est accompli, rien ne s’achève : « Nous pouvons/ attendre de partir/ sans souci ni peur/ le corps rassemblé/ pour un autre voyage. »
C’est un parcours que nous avons fait en compagnie de la poète, dans ce « temps d’ici » qui nous a accueilli « comme dans un nid…Un duvet de rose/ à tes pieds/ pour te consoler/ du poids de la terre. » ; ce temps qui « nous oubliera/ dans l’affolement des arbres » et qui accueillera : « d’autres visages/ d’autres chemins. » ; d’autres qui, à leur tour, connaîtront le « désir de vivre/ la pleine lumière ».

Eric Simon, Pages et seuils de la nuit sentinelle éditions du Petit Pavé

Le poète pose ses mots sur la page pour tenter de répondre à la nuit, il se tient au seuil du mystère, tel une sentinelle, « entre le poème qui n’existe pas » et « celui qui s’exécute ». Le poète arpenteur apprend à reconnaître les signes : « Le tremblement des feuilles fomente une ivresse de l’arpenteur. »
On se laisse porter par les images singulières voire symboliques qui ne révèlent pas d’emblée leur message. Nous entrons dans un univers à l’intérieur de l’univers, il y a célébration de la nuit par la poésie, le merveilleux se mêle à l’humain et au religieux.
Dans ce passage : « Les chants qu’on lui prête sont de l’ailleurs sans consolation, du reste à boire jusqu’au dernier refrain. Les ailes pèsent, une avance de la matière en chute. Bientôt pencher du côté de la pure mémoire, tout perdu en sacs saturés d’immondices. Aura-t-il, pour toute réponse, plu ? » Est-ce l’ombre de Maldoror qui plane ? En ce recueil, le pouvoir de la nuit n’engendre pas de pulsions violentes, mais une grande force vitale originelle qui nous introduit aux frontières de l’inconnu, dans l’abstraction des descriptions aux glissements métatextuels. Eric Simon nous promène dans la logique du rêve en des scènes et descriptions fragmentaires qui illustrent bien ce que Gaston Bachelard appelait « le présent des mots ». Il nous attire au seuil du silence et pourtant son écriture déborde et investit le champ de l’oralité, le poète se fait récitant pour mieux nous subjuguer comme un chaman littéraire et nous permettre de page en page d’aborder aux « seuils de la nuit sentinelle ».

Ghislaine Lejard


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