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Hep ! Lectures Fraîches ! (juin 2013)

mercredi 12 juin 2013, par Cécile Guivarch

Bientôt l’été alors j’ai bien envie de donner quelques envies de lectures fraîches à se mettre sous la dent ! Alors, c’est parti pour une petite virée dans des livres de : Jean-Marc Flahaut, Sophie G. Lucas, Sabine Huynh, Roselyne Sibille, Matthieu Gosztola, Romain Fustier, Corinne Le Lepvrier, Michel Bourçon, Valérie Canat de Chizy, Ghislaine Leloup.

Je commence avec l’amour de l’île de Jean-Marc Flahaut paru aux éditions les états civils. Écriture singulière, à la frontière entre le récit, la prose, la poésie « parlée ». On y entend la voix de tous les personnages qui peuplent le livre avec cette attention toute particulière que Jean-Marc Flahaut accorde aux destins ordinaires. Par l’écriture, il plante le décor, situe les scènes, décrit les gens. Et tout cela avec le manque de ponctuation, quelques sauts de lignes qui paraissent avoir été réfléchis, pas placés au hasard, avec la voix parlée des hommes qui s’y glisse. Ce livre me fait penser à un film, un scénario, parfois aussi à une bande dessinée et d’autres passages sont comme plus romancés. Au-delà de l’écriture en elle-même, la poésie de Jean-Marc Flahaut est bien ancrée dans la réalité du monde, elle en dénonce les désastres. Livre de l’apocalypse, « au générique d’un film d’horreur » . L’amour de l’île, ou comment une communauté s’installe sur une île, tente de faire face aux désastres climatiques, politiques aussi. Comment cette société s’organise, tente de vivre, avec parfois de la nostalgie pour le passé.

(…)
chacun s’est saisi d’un ruban de couleur
accroché à une ficelle et placé au fond d’une
corbeille pour y rédiger un message
personnel

ma chérie

tu avais raison

il n’y a qu’une vie et il faut en profiter ton
père et moi avons beaucoup discuté nous
n’allons pas divorcer nous partons vivre aux
Seychelles
(…)



Toujours aux états civils, est paru notown de Sophie G. Lucas. Notown, c’est Détroit tel qu’on l’entend, le voit, le lit car c’est ainsi que commence le recueil de Sophie G. Lucas, par des extraits d’interviews, de reportages parus à la télévision, la radio ou les journaux. Et l’auteur écrit parmi ces extraits, ce qu’elle voit sur son petit écran, ce qu’elle imagine des hommes et des femmes qui vont là. Elle parle d’eux, ouvre et ferme des parenthèses, indique des détails auxquels on ne s’y attendait pas. Notown, « il y a des zones vides partout / des trous dans la ville », l’impuissance des hommes et ce qu’il leur reste de ville. Sophie G. Lucas utilise le dialogue et dresse le portrait d’un couple de Détroit : l’ivresse, la recherche d’emploi, ce couple qui parle de ceux qui sont partis, de ceux qui se suicident ou encore de ceux qui s’accrochent. Il y a une certaine capacité à s’approcher d’eux, à ressentir leurs détresses tout en restant dans la fiction. Tout cela dans une écriture épurée, en petites séquences avec énumérations d’objets, de lieux. Et surtout le choix précis d’extraits médiatiques choisis qui permettent à l’écriture de repartir sans cesse vers un ailleurs possible. Ce serait l’art de s’approprier un sujet économique à l’autre bout du monde pour fouiller en profondeur le sujet et que le lecteur en ressorte ému, sensible, pas seulement à ce fait de société mais surtout à l’écriture de Sophie G. Lucas. Elle parvient à se détacher d’un fait de société pour s’approcher de ce qui se passe dans les corps des gens, de la même façon qu’elle l’avait fait avec « moujik, moujik », paru également aux éditions des états civils.

c’est là qu’il vient
là qu’il pose son corps
qu’il s’agenouille
et regarde le fond de l’eau
il n’a pas envie de mourir
il cherche son reflet
(le mouvement de l’eau)
ça bouge
il voit les nuages les arbres
les oiseaux leurs reflets
mais il ne se voit pas
peut-être que
il ne cherche pas vraiment
que ça ne l’intéresse plus
et qu’à la place de son corps
dans l’eau
il voudrait être un arbre
un nuage
un cerf ou un traîneau



Et si on continuait avec des contributeurs de Terre à Ciel ? Un livre à quatre mains, paru aux éditions La Porte, La migration des papillons de Sabine Huynh et Roselyne Sibille. Plusieurs personnes m’ont d’ailleurs fait la remarque quand j’ai parlé de ce livre « Mais comment parvient-on à écrire à quatre mains ? ». Peut-être ce mystère tient-il des papillons, des messages qu’ils livrent d’un bout à l’autre du globe ? A coups d’ailes ils iraient dans un sens puis dans l’autre déposant à chaque fois de nouveaux vers ? De ce recueil à quatre mains, impossible de différencier qui a écrit quoi, les deux écritures s’emmêlent et sont complices. Il n’y a pas de distance finalement entre elles : « tu ne seras pas très loin d’où je suis / à quelques grains de sable dans le vent. »
Et pour juste cause, car un jour Roselyne m’a adressé un courriel et elle me disait ces mots : « J’ai raconté à Sabine que j’avais des amis qui avaient fait la traversée de la Méditerranée en voilier. Un jour un vol de papillons est venu se poser sur le bastingage. Ils étaient en migration et en profitaient pour se reposer un peu avant de continuer. Nos poèmes sont devenus ces « papillons ». Tous leurs aller-retours entre nous des deux côtés de la Méditerranée, entre la Provence et Tel-Aviv, portant des fragments de phrases (souvent même pas des vers entiers) constituaient leur migration. »

Les poèmes ont été sculptés par les deux poètes, les poèmes ne sont ni de l’une ni de l’autre, les poèmes elles les ont écrit « ensemble », comme une danse-contact délicate. Au premier abord ils sont lumineux, mais marqués de silences, d’absences et de blessures que l’on perçoit surtout vers la fin du recueil. Comme si les auteurs tentaient de « résoudre le bleu  » ensemble : « on cherche à être un papillon / juste un papillon pour partir vers la mer  ». Comme un dialogue pour apaiser certaines peines que l’on porte. Parfois la voix est commune, parfois l’une s’adresse à l’autre. Au début du recueil, on ressent une certaine alchimie des mots avec beaucoup de lumière, de ciel, de fleurs et de mer, puis cela s’ensuit de nuit, de solitude aussi « on avancera / chacune seule  », «  tu deviens la vie dévalée ». Ce serait « un livre plein de silence / de nuages / abandonné sous le soleil  ». Pourtant, « le bleu / vibre / encore » concluent les derniers vers.

De caillou en caillou
les fissures du temps
que la mousse comble

Nous enjambons la lumière
là où bruisse le silence

Il suffirait de peu
pour que nos peaux se touchent
il suffirait d’un cri d’oiseau
au-dessus de la mer
pour résoudre le bleu


Pour rester en compagnie des membres de Terre à ciel, une Rencontre avec Balthus s’impose ! Ce sont des poèmes tout en délicatesse que Matthieu Gosztola donne à lire dans ce petit livre paru aux éditions La Porte (toujours). Au début du recueil, il n’est pas question de Balthus mais d’une présence auprès d’une proche malade, sur son lit d’hôpital. Une personne pour qui la vie ne semble plus avoir d’intérêt, si ce n’est le sommeil et un regard absent. Tout cela malgré les attentions portées pour lesquelles « la vie sera rendue au souffle ». Puis vient une phrase, un désir de feuilleter les livres de Balthus, désir inattendu. S’écoulent les heures à regarder Balthus, y trouver la vie dans ses dessins et « instant d’infini partagé ». L’écriture de Matthieu Gosztola est belle, va à l’essentiel. Elle est calme, posée et contient beaucoup de douceur.

Chaque silhouette croquée
Et restituée à sa présence
Répand autour d’elle ces quelques mots :

« Je cherche à m’approprier la part d’ombre
D’un chemin dénué de tout »

Le peintre ressuscite l’endormissement
Avec la délicatesse d’un embrassement :

Une jeune fille posée en équilibre
Dans son sommeil
Murmure avec ses traits
Qui sont données à notre regard
Grâce à la brutalité infinie de la beauté
(Cœur battant dans la délicatesse) :

« Aller au bout du monde
Nous est facile
Puisque les yeux ont des paupières »



Bon, je ne vais pas refermer La Porte comme cela car c’est qu’il y en a des livres qui paraissent chez Yves Perrine ! Par exemple, prenons Comme si de rien de Romain Fustier. Livret de neuf pages où le lecteur a d’emblée « les larmes aux yeux » car c’est ainsi que débute le recueil. « les larmes aux yeux sur l’autoroute elle avait déjà tout à l’heure ».
Langue qui s’invente, entre ellipses, comparaisons et déstructuration des phrases.
« zone industrielle gare de marchandise marché de gros comme est ton cœur aujourd’hui ».
En neuf pages, y est rendu un aperçu de quelques jours, ou peut-être plutôt une journée, avec chemin aller et chemin retour, dans un hôpital pour enfants. Avec « des parents la tristesse de mise », les examens, les questions posées par le corps médical et l’enfant « souriant battant des mains comme si de rien ». L’écriture ne flanche pas, elle se tient et la langue de Romain Fustier poursuit sa route. Oscillant entre les pronoms : elle, il, nous, vous, tu aussi pour évoquer pourtant toujours les mêmes personnes, un trio père / mère / enfant. Et ces phrases à la grammaire bouleversée mais qui savent toucher juste.

vivre comme vous auriez vécu il faut ces mots de la médecin qui
repassent en boucle en partant la zone industrielle les panneaux
directionnels, les week-ends les vacances, le plaisir familial, les
moments de repas des paroles qui rassurent la fatigue tombant
dessus, votre fils qui dort à l’arrière si gentil qu’ils ont dit sa
confiance en les adultes, votre amour



Comme on parle de langue, celle de Corinne Le Lepvrier arrive à point, avec Langues / je viens , toujours aux éditions La Porte. Ici nous sommes en plein dans la question de la langue, celle d’où l’on vient, des origines, du pays d’où l’on vient, de nos ancêtres, du père, de la mère, celle qui vient des contes, des histoires, de l’histoire, des livres, de l’amour, de la maternité, des malentendus. Corinne Le Lepvrier tourne et retourne la langue comme si elle cherchait à la faire venir à elle ou à la fouiller pour y découvrir quelques secrets cachés : « je suis une langue qui quitte et recommence ». La langue de l’enfance n’est pas oubliée avec Andersen ou l’utilisation de formules plus enfantines : « je leur tire la langue ». En plus d’être une langue qui fouille, celle de Corinne Le Lepvrier se construit de recueils en recueils, «  je fabrique une langue  » on n’a pas fini de l’entendre parler !

je cherche une langue à vivre et à mourir
je cherche une langue à ne pas écrire
une langue limitée à ce qu’elle est

je cherche une langue sans mots
une langue faite d’eau triangles d’oiseaux au bord d’une
feuille pointe d’un champ de tournesols
j’espère une langue à côté de la langue
je désire nos langues en dehors de nos bouches
une langue tendue entre les cordes de mes seins



Aux éditions Eclats d’encre, Corinne Le Lepvrier a également publié Les multiples passages . Dans ce livre au père, on ne sait pas d’emblée ce que la langue cherche à nous dire. On s’en approche parfois mais on n’en est pas toujours sûr. Il y a ce « tu » qui nous sème le doute et c’est au fil des pages que cela s’affirme. La langue va par à-coups, comme la mort arrive pas à pas. Elle se trouve parfois dans un sas ou contre une paroi car se heurter se peut souvent. Ici, la langue ne cherche pas mais restitue la fin de la vie d’un homme, ses derniers mouvements, ses dernières paroles. Tout tient dans ces derniers instants, avec cette tentative de retenir ce qui peut l’être encore. Les petits détails anodins et les bouts de phrases prononcées au quotidien donnent pourtant vie au texte. Dans la dernière partie, vient le temps de l’absence et de la disparition. Et pour le dire, les images sont belles : « un arbre construit son ombre ».
Beaucoup d’émotion dans ce très beau texte. « Le vide existe-t-il ? ». Corinne Le Lepvrier écrit « combien de fois écrirai-je ce texte ? », car elle écrira encore et creusera le sillon.

depuis quand les arbres sans feuilles
en automne

quand est-ce – que ça commence –
qu’on meurt

ça est là un moment

donné

pris

on s’arrête lorsqu’on est arrivé
ça tombe sous le sens

on tombe



Les éditions Potentille ont publié et ainsi les arbres de Michel Bourçon. Écrire en interrogeant l’horizon, beaucoup de poètes l’ont déjà fait mais que se passe-t-il lorsque cela s’inverse et que c’est l’horizon qui nous contemple ? A la première lecture, on pourrait croire à une simple contemplation. Mais à la relecture ce n’est finalement pas si simple que cela. Quand on creuse un peu plus, on s’attache à ce qui en nous, nous relie à l’horizon et nous élève vers lui. Il y a l’écriture, ce qu’elle apporte, fluide, sans faire dans le trop poétique, ni dans le pas assez. Une poésie qui procure de sensations, et qui nous interroge, nous rejoint. Michel Bourçon revient sans cesse vers l’horizon, comme y chercher ce qu’il renferme de mystère. Il nous rappelle que nous sommes presque rien comparé à lui qui nous entoure. Il parle à la première personne du pluriel et nous inclut dans ce questionnement face au monde. Pourrons-nous un jour y répondre ? Et si, finalement, scruter l’horizon n’était pas se chercher soi-même ?

en ce lieu, nous atteignons le sentiment d’être au cœur de ce que nous sommes venus chercher. Devant nous, l’horizon nous regarde poursuivre en lui la recherche de notre vrai visage.



Valérie Canat de Chizy avec Talisman , paru aux éditions L’Harmattan, nous invite dans un rêve, à la rencontre de peuples d’Amérique du Nord, du Sud, hommes préhistoriques, Dogons, Roms… De ses recherches en anthropologie, naissent, par l’imagination, des échanges entre la poète et ces peuples. L’écriture est épurée, il n’y a que l’essentiel, à l’image de ces peuples lorsqu’ils communiquent. On perçoit dans ces lignes, un véritable enchantement, quelque chose qui pourrait s’apparenter à une sorte de transe. Puis tout à coup, en plein milieu du recueil, on retombe dans le quotidien, comme l’on tournerait la page, un retour à la réalité. Le charme est alors brisé, les douleurs de l’enfance et de l’absence resurgissent, en même temps que les petites joies, comme celle d’amadouer un petit chat. Mais ce que je retiens essentiellement de ce recueil, c’est qu’avec la rencontre de ces peuples, le langage qui s’invente ici dans le poème, celui qui ne passe pas forcément par la voix mais aussi par les yeux, les mains, les dessins, donne à l’écriture de Valérie Canat de Chizy une force nouvelle.

tu parles des morts
dans leur nid de sable

j’ai perdu le fil cousu

petit sachet de toile
empli de lavande

l’amour déserte
et se répand

comme une poudre
volatile



Autre parution aux éditions de L’Harmattan, Sur le seuil, promis de Ghyslaine Leloup. Dans sa note au lecteur, l’auteur présente son recueil comme des poèmes de nuit et de lenteur. La nuit, peut-être, mais aussi tout ce qui l’entoure, les questionnements sur le monde, la vie, la mort, les passages, l’enfance aussi, les ancêtres, les morts. « sables des vieilles questions dans l’azur qui se tait », « nous vivons entre tourbe et ciel », « après les adieux / restent les bouquets », « à peine peux-tu espérer une étincelle au choc de la dernière nuit ».
C’est une poésie pleine de lyrisme et qui nous aide dans nos réflexions intimes et pourtant universelles. Les poèmes sont tantôt courts, tantôt longs. Parfois le rythme est posé, d’autre fois les mots déferlent, coulent jusqu’à donner sens au poème. Par ailleurs, Ghyslaine Leloup ne semble pas tenter dire la vérité, elle tente juste de s’en approcher.

Ce jour j’ai perdu l’évidence de la rose
En découvrant sa beauté

Toujours beaux les couchers de soleil
Comme s’il convenait de ne pas faillir avant la nuit

Cécile Guivarch


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