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A livre ouvert : Max Alhau - En cours de route par Isabelle Lévesque

dimanche 8 avril 2018, par Cécile Guivarch

Max Alhau, En cours de route
Peintures de Marie Alloy
L’herbe qui tremble, 2018 — 120 pages, 14 €

Rien n’est si proche que ce jour qui s’éloigne.

M.A.

Elle semble longue la route du titre, épuisante et sans cesse soumise à une menace sourde dont le sommet mentionné dès le premier poème pourrait ne constituer qu’une promesse vaine.

Les peintures de Marie Alloy, série de « Traces, allées », reliefs à la pointe estompée, pourraient montrer une route plus sereine. Le rouge la marque cependant, rappel d’une blessure ou d’un écart que l’on peut envisager en écho avec les poèmes.

Le livre est organisé en quatre sections. La première, « Ce n’est qu’une lueur… » est constituée de poèmes en vers. Les trois suivantes rassemblent des séries de poèmes en prose ou en versets, de notes, pensées ou choses vues : « Paysages et autres lieux », « Le temps secret » et « Pour elle ». Il ne s’agit pas d’un recueil de poèmes, mais bien d’un ensemble développant les idées, sentiments et émotions d’un homme qui revient marcher dans des paysages autrefois parcourus avec la femme aimée maintenant disparue.

Le tutoiement, l’assise pour un « je » incertain, permet l’ancrage dans une incitation constante, ce « tu » que l’on veut convaincre de poursuivre, cet autre soi-même que l’on n’abandonne pas alors même que les forces défaillent.

Ce livre est le troisième de Max Alhau à L’herbe qui tremble, après Le temps au crible et Si loin qu’on aille. En chacun, toujours, un chemin à parcourir. Le poète est un grand marcheur et le poème accompagne ces pérégrinations vécues, physiques et mentales. Ces marches toujours visent un lieu — des retrouvailles.

Quelque chose, simple et fragile, est perdu :

« Les signes gravés sur la pierre,
le vent les efface d’emblée,
la nuit les renouvelle :
pas de lecteurs pour ces récits,
simplement le vol d’une mésange
qui d’un coup d’aile
redonne vie à des légendes
sans nulle marque d’héroïsme. »

Audible, la voix du livre rejoint la légèreté de ce vol. Ce qu’elle saisit, elle ne le retient pas. Souvent le marcheur se retourne, il perçoit ce qui s’est effacé, ne cherche pas à le fixer, comme si le destin le poussait à avancer sans fin en captant de menus signes qui nous échapperont en cours de route. Bien des fois le narrateur s’interroge en un monologue qui vise à raffermir la marche dans le livre, parallèle à l’avancée par le pas. « [P]our imposer son absence » ?

Au tutoiement se mêlent l’indéfini « on » et le pronom « nous » dans les textes en prose de la seconde partie du livre. Le narrateur s’interroge, « [o]ù habiter ? », celui dont l’avancée ne cesse trouvera-t-il abri dans un temps ou un espace préservés ? Toujours il s’éloigne en s’approchant d’ombres mobiles qu’il observe (ses pas peut-être, le souvenir d’un être, le deuil ou la fin inscrite déjà ?). Aucun tragique, non, la mélancolie est une forme d’emprise comme un moteur pour avancer et écrire. Elle entoure sa proie, elle la soulève, cette tristesse présente et féconde n’entrave pas.

« C’était hier », l’imparfait d’éternité a été brisé, comme dans un conte dont la grâce, interrompue par le passé simple, « il y eut », vient mordre la douceur d’un temps suspendu et préservé. Hier n’est plus, les temps de conjugaison passés (de l’imparfait au passé simple), accueillis dans le texte, soulignent la fugacité, le temps perturbé et inquiet nourrit le poème désormais en le faisant entrer dans une sphère où les temps se touchent comme la douleur est voisine de la joie à peine prononcée d’avoir vécu.

Le voyageur, arpentant des chemins déjà parcourus avec son aimée disparue, sa « lointaine », remonte le temps sans pourtant pouvoir faire demi-tour : « cette avancée dans un chemin qui s’étrécit jusqu’à l’impasse, quand faire demi-tour est interdit. » C’est une « vie qui se délite », quand on ne peut plus « récolter / que douleur et stupeur ». Reprendre ses anciens chemins serait « remont[er] vers la source ». Le fleuve pourrait-il lui-même remonter de son embouchure à sa source ?

« Ce sera comme si la rivière remontait son cours ou comme le retour vers des terres autrefois familières et que l’on croyait disparues. »

Le voyage, le rêve, les souvenirs apportent leur lumière. Mais la douleur de l’absence ne peut que percuter la douceur apparente :

« C’est ainsi que l’été vous poignarde et que les mots ont cette violence, ce poids de sang avant que ne s’achève leur parcours au bas d’une page froissée par une main tremblante. »

C’est que tous les paysages décrits, parfois nommés ne sont plus ce qu’ils étaient : « Maintenant le deuil est survenu, le paysage s’est effondré ».

Un homme nous parle qui se souvient de ses conquêtes dérisoires (un lieu trouvé, un abri), il semble s’éloigner pourtant, portant dans son livre les traces défuntes que l’or du poème pourrait préserver de la disparition. Pourrait-on rejoindre « une source délivrée de son estuaire » ? Pour « calmer notre effroi / face à la nuit montante », la marche associée au poème, peut-être, comme mode d’approche et d’appropriation, restitue à l’espace de la page, de la vie, un espoir d’éternité.

« Quand les choses
et les visages s’éloignent,
il n’y a que les mots
pour barrer la route
à l’absence, à l’oubli,
pour ouvrir la voie
à des terres fabuleuses
où les choses, les visages
confondent la douleur. »

Le possible envisagé n’est jamais certain et nimbe le livre d’une tristesse infinie. On sent le feu près « des rives / aux noms tenus secrets » qui pourraient être révélés. Nous marchons sur un fil en lisant, l’abîme d’une chute constamment pressentie peut-elle être démise par l’écriture et la braise douce d’un destin déjà joué s’alliant enfin avec le temps « pour nous guider sans défaillir » ?

« Regarder l’air ou le vent
c’est tenter de deviner
ce qui se cache derrière l’absence. »

La quête ne cesse pas avec le temps perdu du présent, « [c]haque instant résout l’éternité ». Le poète se montre parfois confiant : « On se dit qu’une parole peut abolir la nuit. » Mais cette parole ne devrait-elle pas être celle de son « absente définitive » qui, « invisible », « donne à l’aube le droit d’écarter à jamais la nuit » ?

Le voyageur ne cesse d’interroger sa route, sensible aux signes qui la bordent.

Isabelle Lévesque


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