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Jean-Pierre Boulic, Je vous écris de mes lointains, suivi de Carnet d’un poète, La Part commune, 2012, 13 euros, 89 pages.

samedi 28 septembre 2013, par Matthieu Gosztola

La citation qui est mise en exergue est de Jean Grosjean : « Parler à quelqu’un c’est lui jeter une amarre, sinon on profane le langage ». Et cette citation, qui a été déployée, notamment, par toute l’œuvre de Christian Bobin (pour s’en convaincre, il n’est que d’ouvrir l’intense cahier bleu à l’écriture manuscrite contenu dans L’homme-joie paru récemment chez L’Iconoclaste), cette citation, elle dit l’essentiel du travail de Boulic.

Il jette vers nous une étoffe de paroles, qui vole doucement dans le vent de notre attention surprise. Notre attention suit le cours de cette étoffe de paroles, au fur et à mesure de notre lecture, dans le vent de notre regard, devenu le vent de notre éblouissement. Le cours de cette étoffe est comme suspendu. Et, lorsque le recueil est achevé, l’étoffe s’est posée doucement sur le sol. On la prend dans la main. On la déplie, et ce qui apparaît alors, c’est la saveur et la chair d’allégories multiples qui nous transpercent soudain de leur profondeur et de leur simplicité. Puisqu’il n’y a pas de profondeur qui puisse nous transpercer hors une simplicité, une transparence, une blancheur, un tremblement qui sont le vrai visage de l’humain.

De l’humain qui se lit, nous dit inlassablement Boulic, jusque dans le feuillage d’un arbre, lorsqu’il est vraiment compris dans sa vie, c’est-à-dire lorsqu’il est véritablement approché avec notre vie propre.

De l’humain qui se lit dans le lit d’un jardin, et qui a affaire, toujours, avec la joie. Le jardin, écrit Boulic, « [c]’est le contraire de la vacance. Il cultive et dispense un bel assortiment de joie. Arôme léger d’un juteux parfum. Once de douceur sur la peau. L’aile d’un oiseau glisse de la branche du sureau. Clarté du bel automne. La rose contemple le papillon qui s’émerveille, se souvenant qu’il fut chrysalide. On s’arrête auprès du vieux mur où la bruyère, couleur d’ombre et de chair, lâche prise. Déjà s’effeuillent les hortensias. On se prend à désirer, curieux d’un manque qui envahit ; on se donne à aimer les rouges mystérieux des allées, les parchemins et tapisseries du décor. Nos pas retenus bruissent de la légèreté du bonheur, surpris de penser que nos parents s’y sont connus et qu’ils vécurent ici, dans le jardin ».

De l’humain qui se lit jusque dans le feuillage d’un arbre ? Mais oui, lorsqu’est vraiment compris dans sa vie cet arbre (mais ce peut tout aussi bien être toute chose), c’est-à-dire (et c’est là peut-être le sens vibrant de toute l’œuvre de Boulic) lorsqu’est saisie (pour être portée à nos sens autant qu’à notre stupeur, autant qu’à notre incompréhension) sa part de divin.

Matthieu Gosztola


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