La magnificence de la Nature invite à une profonde modestie. En effet, qui sommes-nous, que sommes-nous surtout en regard de son immense pouvoir d’invention ? Les signes qu’elle déploie sont multiples autant que mystérieux, et nos mots, bien que nombreux, sont impuissants à en capter les subtilités. Dans une démarche toute d’humilité et d’effacement, Roselyne Sibille renonce aux gloses abondantes, et, aux confins du paradoxe, ose en poésie le recul de la langue : Une prairie de poèmes patiemment se concentre sur les manifestations les plus éclatantes comme sur les vibrations les plus infimes, et s’attache à en recueillir les principes essentiels – seule approche possible pour saisir et surtout servir cet univers qui naturellement s’exprime en Langages infinis :
Pour évoquer
les ondes blondes
du vent doux sur la prairie
il me faudrait décoiffer tous les mots
jusqu’à leur musique
Chacun des brefs poèmes de ce double recueil est le fruit d’un exercice d’admiration – comme on parle d’exercices spirituels – qui relève de la gageure : nos langages à nous, les Humains, même lorsque nous les imaginons hors les mots (R. Sibille évoque entre autres le morse et le braille), n’auront jamais l’amplitude suffisante pour transcrire un tant soit peut la formidable puissance d’expression de la Nature :
Les aurores si fines
Quand glissent les couleurs
Parfois la lune
les regarde
s’entretenir
Tel est le doux travail (un des doux travaux possibles) du poète : à la croisée du sensible et de l’intelligible, il fait corps avec son environnement et en observe les signes – une forme de lingua ignota avec ses caractères originaux et ses glossaires inédits. De fait, chaque poème de Roselyne Sibille délivre une note, un souffle, un couleur. La poète s’accorde à son environnement immédiat (une prairie bien réelle, d’herbes et de fleurs, au cœur de sa Provence natale), et, dans cet accord, rejoint l’harmonie de l’univers :
Plutôt que des mots
noyés par les mots
j’écouterai
s’équilibrer les arbres
en quelques craquements
dans le bois
Il s’agit non seulement de percevoir les harmonies de la nature, comme disait Bernardin de St-Pierre, mais aussi ses harmoniques fondamentales. Ces derniers requièrent une qualité d’être particulière – une oreille première distinguant les flux vibratoires et les intensités. Ainsi, chaque page de ce recueil réalise un petit miracle : dans sa force de suggestion, toute une atmosphère, tout un monde palpite, se lève, bruisse et nous relie à la beauté que la Nature, toujours inspirée et créative, invente continûment.
Florence Saint-Roch