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Lus et approuvés (janvier 2019) par Valérie Canat de Chizy

lundi 7 janvier 2019, par Valérie Canat de Chizy

Vincent Motard-Avargues, La chair de la pierre. Inclinaison, 2018

Ce que j’ai ressenti en lisant La chair de la pierre, c’est que Vincent Motard-Avargues nous parle des gens humbles, ceux qui n’ont pas de quoi illuminer leur quotidien, qui n’ont pas de quoi enflammer leurs heures, réinventer le monde. Ainsi, le plombier un peu intimidé par les quelques centaines de livres d’un domicile dans lequel il se rend. Il y a quelques mélodies à la guitare au milieu de la nuit, quand la fenêtre est ouverte sur l’ombre des ruelles, il y a l’indifférence des gens passant devant le vieillard assis sur un banc, les magasins peu accueillants, le froid et le vide à l’intérieur de soi, les pigeons que l’on regarde par la fenêtre.

Des années après
il restera toujours
ce message sur le répondeur

sa voix
annonçant un retard

définitif.

Vincent Motard-Avargues s’attarde sur des intérieurs, avec leurs meubles, où l’on voudrait se sentir bien, mais est-on jamais bien quelque part, se sent-on jamais chez soi ? Car l’intérieur d’une maison, d’un logement n’est parfois que le reflet de ce que l’on est à l’intérieur de soi, avec le même vide, la même désolation.

le jour est une prairie de cris
la nuit est une clairière de fuites.

Alors il y a le désir de fuir, ailleurs, loin, toujours plus loin. Dans ce recueil, des gens s’en vont pour ne plus jamais revenir. Il y a la nuit, quand rien ne bouge. Il y a le vide, les années d’usure, la faim de la mort. Des gens simples traversent la rue, le père et le fils. Vincent Motard-Avargues parle de la solitude, des jours qui passent, quand rien ne bouge, mais parfois, il y a une lueur qui brille, cette timidité de la pierre / le tremblement d’un nouveau jour.

on entend quelques rires
des enfants
la récré enneigée

et le rire dansant de la factrice
qui a manqué tomber en
descendant la pente blanchie.


Sophie Marie van der Pas, Les arbres bavardent ils nous attendent. Éditions La Centaurée, 2018

C’est le premier recueil édité de Sophie Marie van der Pas, son écriture ne nous est pas inconnue, déjà découverte dans des revues comme Décharge ou Lichen. Il s’agit d’un recueil très personnel et sensible ; les mots enrobent délicatement la texture de la vie, texture que l’on retrouve souvent dans l’évocation de la nature. La nature, qui est à elle seule un concentré de vie. Les choses simples sont les plus importantes, le chat, le poème, le jardin. La nature nous invite à être dans le présent, à être pure présence, en harmonie avec elle. Et c’est ce que Sophie Marie écrit, cette réceptivité, tous sens en éveil : la vue, le toucher, le goût, l’odorat sont sollicités. L’ouïe est évoquée, mais avec l’image de la perte. Lorsqu’un sens s’altère, les autres s’affinent. La poète parle de l’altération de l’ouïe, et de celle de la voix, qui en découle.

La gorge en deuil
son travail
la perte de la voix
eau chargée de tous les sels

Elle évoque le basculement dans les bruits intérieurs, son désarroi, son chagrin. Mais elle dit aussi l’abondance dans la perte, car parfois, ce qui est fermé permet une ouverture autre, par d’autres biais. Ainsi, la peau écoute, le regard capte toutes les nuances du paysage : comment vous expliquer / que j’ai des yeux pour lire les voyages, et l’écoute devient présence, présence à soi, au monde animal et végétal. La poète entend les rires des forêts, les arbres qui bavardent ; elle vit l’automne en méditation / sous l’œil du chevreuil ; elle perçoit les couleurs, le champ du bleu, l’anémone rouge. Elle est en osmose avec les saisons, avec l’automne et sa fleur timide, son sirop de pommes, les noisettes tombées, les fougères, les bolets.

Ici est l’instant, écrit-elle. Et nous ne pouvons qu’être sensibles à cette écriture qui évoque la plénitude, la rondeur du plaisir, le levain qui monte, le corps qui s’ancre dans la terre, les mains pleines d’oiseaux.

Les feuilles tremblent
sous le poids des insectes
le chat se colle au muret
jardin grimaçant de plaintes
l’été déjà longe une odeur
de rentrée et de cheminée
dans le premier pull passé
un sourire m’attend
saison tendre qui s’approche

comment ne pas lui tendre les bras


Marianne Desroziers, Ma mère en automne. Gros textes, 2017

Marianne Desroziers nous offre un recueil dans lequel photos de famille et poèmes en hommage à sa mère trop tôt disparue s’entremêlent. Elle reconstitue les différentes étapes d’une vie. Sa mère Hedwige, qui était garçon manqué dans les années 50 n’avait pas pour destin de devenir vieille dame.

À l’aube d’un millénaire
Sur la pointe des pieds
Tu t’es retirée

La poète s’adresse à sa mère, la tutoie. Elle lui rappelle sa jeunesse, dans les années 60, quand elle portait une mini jupe jaune et des bottes Brigitte Bardot. Déjà, une fêlure se fait jour : Dans ta tête c’est Hiroshima.

Il y a les photos en noir et blanc d’Hedwige et de sa sœur, enfants, celle de la ferme en Normandie où elles sont nées et ont grandi. Les époques se mélangent, entre enfance, jeunesse et âge adulte, comme si Marianne Desroziers piochait au hasard dans les photos souvenirs.

En 1973, sa mère a vingt ans, en 1977, elle attend son premier enfant. Sa fille contemple les photographies, tentant de s’approcher de sa mère, de la toucher, par-delà l’abîme, par-delà l’absence.

Elle se souvient de ses oncles et tantes : Bérangère qui, enfant, était étiquetée handicapée ; Antoine, qui se suicidera plus tard sur une plage de Lacanau.

Elle tente de reconstituer un puzzle, celui de la trop courte vie de sa mère, mais aussi celui de ses souvenirs d’enfance, de ses origines. Et nous offre un portrait sensible où les zones d’ombre sont à peine effleurées, préférant mettre en lumière les moments heureux.

Jean, tee-shirt jaune sur manches longues
Chevelure brune tombant sur ta poitrine
Un arbre, une maison
Un chien, deux chèvres

L’Ardèche peut-être…
Pas pour un retour à la terre
Tu en as soupé de la terre
Plutôt un camp de vacances

Tu es très jolie sur cette photo
Souriante, mince, élancée
Oui, tu es belle ma mère
Même si tu en doutais

Valérie Canat de Chizy


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