Douceur du cerf de Marie Huot, éditions Al Manar
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Comme chaque fois que j’écris une note de lecture, c’est poussé par un enthousiasme mais certains parfois sont plus périlleux que d’autres. Comment écrire sur un ouvrage quand manque une part des références implicites ou explicites ? En effet, le livre de Marie Huot est placé sous le patronage de Giono et de ses « dessins de plume ». J’ai peu lu Giono dont j’ai pourtant apprécié l’écriture et mes souvenirs sont anciens, mais j’ai été très vite rassurée. Le lecteur futur peut l’être aussi : les allusions à Giono sont tellement apprivoisées par l’écriture de Marie Huot, que la connaissance de l’écrivain n’est pas nécessaire pour entrer dans ce livre, dessin de plume lui-même et conte des mille et une nuits.
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C’est le signe du grand talent de Marie Huot qui mêle les références à Giono, discrètes ou nombreuses (selon la connaissance que l’on a de l’écrivain), à l’intime d’une autobiographie (si je suppose que le grand-père qui habite ce livre est bien celui de la poète), et qui crée ainsi un imaginaire où chacun peut trouver bonheur à travers les dessins d’un tapis persan ou des lignes de bonne aventure repris par les dessins de Diane De Bournazel.
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Bonheur est le mot qui vient. On est porté comme sur un tapis magique, dans un voyage lunaire et marin, un « nous » a permis d’inviter le lecteur, personnage parmi ceux des carnets de voyage-poèmes, des poèmes-dessins. Sans doute la connaissance imparfaite de Giono amplifie-t-elle le plaisir du texte : on repère et on se perd.
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« (...)
ils se moquent des histoires où on les a glissés
des enjeux inutiles de leur beau sang vif sur la neige » (13)
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On y rencontre des personnages, la femme aux yeux de menthe, la Clara du Chant du monde :
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« une femme aux yeux de menthe est couchée dans sa solitude
quand elle lève son visage et qu’on la voit
on l’aime longtemps
(….) » (10)
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Mais aussi bien est-ce Marie, ou soi-même, telle que l’on s’aimerait peut-être, avec le bel amant absolu, celui qui sait les mots
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« Il y a parmi nous un homme fort beau
avec un nom rouge et blanc qui claque comme un drapeau.
La nuit on lui voit une foudre entre les épaules.
C’est peut-être elle qui alimente sa langue
quand il parle de la beauté
tout est si doré dans sa bouche
si velouté quand il mélange l’homme et le monde
qu’il pourrait
le temps de mille et une nuits
traduire point à point tout mon tapis persan.
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La seconde partie de ce poème pourrait bien être l’art poétique de ce recueil.
Avec l’art de la narratrice qui traverse et maintient la mémoire vide ou pleine, qui prend le corps dans l’épaisseur charnelle des mots, tout prend vie sans que l’on s’étonne. La douceur de l’énigmatique cerf a emporté le lecteur, on ne sait plus à quelle étape du voyage on se trouve, mais on y est, et bien.
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« (…)
on ne sait pas très bien comment tout cela tient ensemble
on sait juste que c’est là plié déplié
et qu’on en a besoin » 2)
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A la question que porte un enfant :
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« il dit que faire de tant de beauté
quels livres écrire un jour
pour contenir cette joie qui touche l’horizon ? » (28)
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On a envie de répondre : celui par exemple de Marie Huot, pour l’horizon qu’il porte, dont on garde une part ici et là dans le regard, quand on referme le livre.
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Les gestes du linge, Amandine Marembert, Valérie Linder, éditions Esperluète
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Comme ce livre est joli ! Et quand je dis joli, ce n’est pas un mièvre agréable mais pour lequel on aurait un peu de condescendance. Non, c’est le joli de ce qui ne laisse voir que l’élégance délicate, la présence discrète et pourtant évidente ! Un livre de poésie pour un sujet tellement prosaïque : laver, étendre, ranger le linge. Tous les gestes liés à ces activités perdent leur nécessité pesante et deviennent légers.
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« Tous les draps des lits
Passés à la machine
Le même jour
Séchés puis remis le soir même
Pour s’endormir au jardin
Sur un oreiller de plumes d’oiseaux »
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Le linge vole, bleu, dans les dessins comme dans les mots. Un très beau bleu délavé d’eau et de ciel.
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« Aux abords du petit village
De pêcheurs à l’étang
Des fils à linge sur le quai
Parallèles aux bateaux
Les draps sèchent au-dessus de l’eau
Le vent claque dans les plis de la nuit
Les cordages et les mâts
Prolongent les étendoirs »
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Merci à Amandine Marembert et à Valérie Linder d’avoir rendus aériens ces gestes qui parfois complètent l’alourdissement du quotidien. S’occuper du linge, le regarder partout où il se montre étendu, séchant, devient une attention douce au monde et à soi.
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« Le pliage des draps
Est une façon de se donner la main
Avec du tissu au milieu
Qu’on tend avec les bras
Pour défroisser les heurts »
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Ce sont leurs écritures de mots et d’images dont on sait la manière de « ne pas y toucher », la litote constante qui seules pouvaient réaliser le mouvement du linge comme trace, de la femme, de la peau, des corps dans la lignée des mères et des filles.
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« Dans les tricots des mères
Il y a leurs doigts passés dans la laine
Comme caresses enveloppant les enfants
Durablement
Les boutons choisis avec soin
Bonbons sucés aux encolures ».
Une belle légèreté qu’il faut saluer.
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Patricia Cottron-Daubigné