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Itinéraires non-balisés N°15, par Georges Cathalo

mardi 2 juillet 2024, par Cécile Guivarch

Pierre TANGUY : Poètes du monde (Les Editions Sauvages, coll. La Pensée Sauvage, 2024), 140 pages, 16 euros – Bon de commande à demander à editionssauvages@orange.fr ou sur la page contact du site https://leseditionssauvages.fr

« Lectures choisies » est le sous-titre de cette compilation d’articles et de critiques de Pierre Tanguy. Poète discret et néanmoins prolifique, il annonce la couleur ou plutôt les couleurs de cet arc-en-ciel poétique en défendant une poésie qu’il aime « à savoir une poésie accordant une place centrale à l’émotion dans un langage concret et le plus accessible à tous ». La dimension spirituelle constitue un axe majeur pour cette sélection d’ouvrages. On y découvrira Jean-Pierre Lemaire et Janine Modlinger ainsi que les éditons Ad Solem et Arfuyen. En lisant ces chroniques, on découvre que le temps et l’espace n’ont pas de limites ou de frontières. Le glissement de l’un à l’autre s’effectue en douceur d’Israël à la Palestine et de Virgile à François Cheng. On devine aussi que les préférences de Pierre Tanguy vont souvent du côté helvétique avec, en particulier, Gustave Roud, Philippe Jaccottet ou Anne Perrier. On peut se demander s’il existe un point commun entre ces 47 poètes venus de 20 pays différents. Oui, assurément, on dira que c’est un fort ancrage dans un humanisme universel et intemporel . Ce beau livre est une chaleureuse invitation à la découverte de voyages poétiques. Signalons enfin, chose rare, que « cet ouvrage paraît sans aide à l’édition ». Bravo !

Anne BOUCHARA : Paris (Interventions à Haute Voix éd., 2024), 80 pages, 10 euros – 5, rue de Jouy, 92370 Chaville ou gerard.faucheux@numericable.fr

« La douceur d’un soir / De fin d’été » sert de toile de fond à cette apaisante suite de poèmes qui célèbre la capitale française sous un jour singulier. En effet, la circulation des humains irrigue cette poésie humaniste à travers des réalisations telles que des parcs, des rues et des bâtisses. Sportifs, SDF, passants pressés, vieux messieurs solitaires : toutes ces personnes sont l’âme même de cette ville : « Paris, tu te caches / Dans le cœur de ceux / Qui ne pourraient pas / Vivre ailleurs ». Anne Bouchara fait preuve d’un sens aigu de l’observation. Le moindre détail trahit un sentiment mélancolique ou nostalgique comme dans les chansons de Léo Ferré ou d’Alain Souchon. Parisienne d’adoption et de cœur, elle prouve ici qu’avec détermination, il est possible de dépasser la dimension pesante que renvoie le tohu-bohu de la capitale. Il suffit pour cela d’un simple rosier sur un balcon ou d’un jasmin qui fleurit pour déclencher l’imaginaire : « J’ai rêvé / D’un champ de blé / face à ma fenêtre ». La variation des couleurs selon les moments du jour apporte une touche changeante que ce soit au Parc Montsouris, lieu préféré de promenade, ou la découverte de la ville à pied, à vélo ou même en métro. Ce livre est un hymne modeste au Paris populaire avec ses passants anonymes et ses lieux incontournables.

Morgan RIET : Toi, moi, miroir, etc. (Christophe Chomant éd., 2024), 72 pages, 16,50 euros – 16,, rue Louis Poterat – 76100 Rouen ou christophe.chomant.editeur@orange.fr

Avant d’entamer la lecture de ce livre, il est nécessaire de lire le court avant-propos de l’auteur. Ainsi, on comprendra sa démarche dont l’origine fut l’initiative d’un photographe, Cédric Cahu, attiré par la « réflexion sous toutes ses formes ». À partir de ce thème et du terme « réflexion », Morgan Riet a su décliner ses images en miroir ou en kaléidoscope dans une riche variété d’approches. Les références en clins d’œil vont de Prévert à Pérec, de Goya à Dürer et de Trenet à Jules Laforgue. Ces poèmes semblent faits pour être dits à haute voix. Le ton général est un fil rouge « rehaussé d’humour » avec des poèmes aux formes variées pour rompre avec « le ronron de nos habitudes ». Le poème final intitulé « Une réponse » n’apporte justement pas de réponse. Réaliste et désabusé, il peut servir de contrepoint au magnifique texte de la page 33 ou bien encore de point d’appui pour un nouveau départ, en retournant les miroirs, en les transformant en vitres afin « de donner plus de sens,/ de profondeur légère et de couleurs / à la beauté, à la laideur des choses » ainsi qu’à tout ce qui nous environne et menace de nous enfermer.

Jacques IBANÈS : Instants ravis (L’An Demain éd., 2024), 84 pages, 15 euros – 8, avenue Victor Hugo – 34200 Sète ou contact@landemain.fr

Pour Jacques Ibanès, ces moments volés au défilé paisible des jours d’été sont autant de ravissements inattendus que tout un chacun pourrait apprécier à son tour à condition d’ouvrir les yeux et de freiner sa bougeotte quotidienne. La quotidienneté de ces poèmes narratifs ne doit pas empêcher la poursuite d’une lecture attentive qui aboutira, soyez-en sûrs, à la découverte de lieux et d’instants partageables. Quitte à passer pour « un foutu admirateur de nuages », Jacques Ibanès convoque les fantômes de réfractaires et de libertaires tels que Thoreau, Léo Ferré, Baudelaire ou Apollinaire. Il se retrouve et se ressource dans sa demeure sauvage à Castans au pied de sa chère Montagne Noire. Il grimpe au sommet du Quiersboutou pour découvrir ce qui sera sa « dernière résidence », lieu élu pour une dispersion de cendres. Tous ces instants ravis « donnent l’illusion que quelque chose / n’est pas perdu / que la vie n’a pas été inutile ». Ici, particulièrement, il éprouvera « ce besoin de garder trace / de menues choses / qui n’intéressent personne », du moins le croit-il, car en y regardant de plus près, on se retrouve dans une situation où le local et le global se chevauchent et se complètent. Lisons ce beau livre pour un ravissement nécessaire en ces temps obscurs.

Jean-Claude TARDIF : Les chemins dérisoires (Petra éd., 2024), 90 pages, 12 euros – 12, rue de la Réunion – 75020 Paris ou info@editionspetra.fr

Non, les chemins pris par Jean-Claude Tardif ne sont pas dérisoires, bien au contraire. Ils sont les mêmes que ceux que nous pourrions suivre, si nous le voulions bien, en portant comme le poète une attention particulière aux minuscules choses qui nous entourent et que nous ne savons plus voir. Placé sous un exergue de Georges Perros et dédié à son ami disparu Jean-Claude Pirotte, cet ensemble de poèmes nous permet d’aller à la découverte de lieux marqués par la présence de certaines personnes : Lorca à Grenade, Max Jacob à Quimper, Guillevic à Carnac ou les Drano à Montpeyroux. D’ailleurs, Tardif nous prévient : « Ne vous moquez pas des chemins dérisoires, ils sont miens, vôtres aussi ». Dans cette errance maîtrisée, le poète se demande : « Qui sait à quoi songe un homme ordinaire quand il apprivoise un poème ? ». Ce qui résonne ici n’a rien d’un aveu, car, lorsqu’on connaît la solide bibliographie de l’auteur, on y relève l’authenticité d’une démarche généreuse et lyrique : « À moins que ce ne soit un bref, trop bref moment d’amitié ». Ce nouveau livre est là pour asseoir et consolider encore un peu plus une œuvre riche et multiforme.

Georges CATHALO – juin 2024


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