Alexis Pelletier, LE PRÉSENT DU PRÉSENT précédé de IL FAUT QUE TU ME SUIVES, TARABUSTE Éditeur
L’auteur avait dit c’est un « pavé », je n’avais pas entendu ce mot depuis longtemps - j’étais tout de même petite en 68 -, mais dans un dictionnaire Larousse de cette même année, j’ai retrouvé ces deux expressions : « être sur le pavé », « tenir le haut du pavé » : l’ombre et la lumière ! Je n’épiloguerai pas sur une interprétation inutile...
Ainsi, ce recueil est constitué de 2 « pavés », même si je n’en ai vu qu’un seul au fond : riche, dense débordant, grave parfois, mais aussi joueur, ici pourquoi pas : une recette ?« tu vois ce n’est pas un journal
que je t’écris
mais d’une manière d’être sur ma lancée
en m’aidant de ce qui m’entoure
des lectures ou des fantasmes
des stéréotypes un peu cucus
et que sais-je encore »Ou/Où comment préciser la source de l’écriture, par un tutoiement agréable, une explication sereine, et aussi malicieuse... glissée dans une forme dialoguée, dont la destination, a priori féminine reste souvent énigmatique... un monologue alors ?
L’écriture, le mot, « placer sa voix » voilà le vrai sujet, à quoi servirait d’égrener les thèmes, allongés dans les vers. Cela tient des Danaïdes, c’est assez vertigineux, ou d’un concerto de palimpsestes que l’on aurait oublié d’effacer, le lecteur ne le voudrait pas non plus. - sans effacement, mais tout reste lisible !
Ce même lecteur pris dans cet emportement, ne laisserait toujours pas sa place. Les références lui prennent la main... pourquoi ne pas glisser ceci :« je lis dans l’adverbe maintenant / c’est-à - dire en nous tenant la main »Plus avant ou ailleurs, lorsqu’il y a ce qui semble être un morceau d’amour » il y croit : (le lecteur) « il faut que tu me suives » une instance bien douce, lorsque l’auteur ne lui adjoint pas des circonstances plus communes « Il faut que tu me suives au fond du jardin [... ] à la cantine ... »
je vous laisserai découvrir les injonctions suivantes...!Le lecteur, sent bien qu’il y a « quelque chose » qui lui échappe, mais c’est bien aussi de se laisser
dépasser :« voilà toujours j’ai eu le sentiment
que la création n’existe pas
et que ce qui s’essaie
dans les mots c’est-à-dire
dans le corps c’est de passer
quelque chose
res res rem
rien »La cinquième déclinaison surgit d’une classe de latin, « rien » ?
Mais j’y vois plutôt toujours « quelque chose » moi !Cet ensemble, pavé, recueil, texte, opus, s’ouvre sur des perspectives, les refuse, repart, le lecteur accepte d’être une pièce de ce jeu, le fou - peut-être encore éléphant -, dans ce fabuleux magasin de mots... et se retrouve triste parfois « depuis 5 années Maman était morte »
triste aussi pour Meursault.
Il écoutera Schumann, reprendra sa lecture, et alors, sans qu’il ne s’y attende une certaine fraternité avec l’auteur lui apparaîtra et il verra dans les derniers mots du poète : le sourire de Malraux, ou bien son chagrin avec « l’incondition humaine ».
Sabine Péglion, Dans le vent de l’archipel, Collection Grand ours L’ail des ours n°7
Sextant, calfat, haubans, pirates et corsaires, trésors peuplent ma tête : que ce titre fait rêver ! Alors, je commence par contempler, assise sur un cabestan de fortune ; les encres de Sabine Péglion... Et je ne sais pourquoi celle de la page 41 me garde si longtemps près d’elle...
Puis je vais vers les mots, « A mon grand-père exilé de Corfou
qui parcourut la terre »ou plutôt, ce sont eux qui viennent à moi !
Il s’agira donc, aussi, d’un voyage du cœur ! Et ce grand-père portera tous les exils du monde et s’y reconnaîtront ceux-là : « genoux à terre /êtres refoulés, / piétinés ballottés »
« Ce ne sont plus les voiles blanches
que l’on guette
ce sont les radeaux d’infortune
de ceux que l’on rejette »Et pourtant, nous embarquerons, le vent poussant nos voiles vers les « puffins cendrés », « les falaises trouées » « l’allégresse des jeux de quelques dauphins bleus », nous embarquerons et notre sirène ne nous voudra pas de mal !
Le recueil compte 19 chapitres, strophes droites ou italiques, les premières rythment, dessinent le voyage des mots, qui glissent, se noient, chantent, aiment et savent aussi se souvenir, dans les secondes ; des précisions temporelles, spatiales, humaines - oserais-je dire - !
Cette adresse directe : « Grand-Père », « la langue d’Homère/ton exil » nous pouvons y poser tous les noms de ceux qui nous manquent * : l’exil a décidément mille formes.La lucidité du monde et l’espérance comme un aimant : toujours trouver : « la force de construire » ! C’est la voix de l’auteure qui résonne, aujourd’hui sans doute, encore plus fort !
*je sais qu’on nous le permettra...
Jean-Claude Martin, LIRE UN JARDIN (l’aube viendra-t-elle), TARABUSTE Editeur
Plaisir de retrouver la belle écriture de Jean-Claude Martin dans un recueil en 4 parties : si la première « Lire au jardin », nous fait souvenir de la lucidité de l’auteur, elle se trouve aussi être la nôtre...
« Bien sûr, tu n’es pas heureux du monde qui t’en-
toure. Tu regardes les bourdons se cogner à la vitre. Sans
comprendre que ça ait l’air du ciel. Et qu’il n’en résulte
que douleur...Au moins tu n’entends pas leurs cris. La
fourmi ne fait pas de bruit quand on l’écrase.
Nous périrons de nos frontières. »On y trouvera aussi un peu plus loin, en écho à cette expansion - assise confortablement entre ses deux parenthèses - (l’aube viendra-t-elle) : une réponse...
« L’aube viendra-t-elle ? […] Pourquoi l’aube viendrait-elle si tu n’as pas d’aurore en toi ? »Clap de fin pour cette première partie ! Une réflexion résolument tonique, si l’on s’y arrête précisément ici !
Au jardin : matins, soleils, soirs s’enchaîneront ... Toujours la mesure du temps qui passe :
« Mais au mur de la cabane
les aiguilles de la pendule poussent inexorablement
le temps comme un vieil infirme en fauteuil roulant. »Et aussi :
« Un avion avait signé d’un long trait blanc (les avions
sont généralement analphabètes). »Ou encore : un lyrisme échevelé ... Ode au soleil, pourrait-on dire...
« Reviens. Ne va pas te laisser attendrir par ces cumulus
emberlificoteurs. Juste bons à charmer des planeurs.
Reviens ; j’ai froid. Il y a des trous d’azur par où passer.
Ne donne pas tes caresses à d’autres un peu plus loin.
N’oublie pas ton amant préféré. Blesse mon cœur de ta
lumière... »Cet ensemble est bouillonnant d’observations, d’humour, de joie de vivre, de jeunesse...
Et à la page 75, dans un bloc ni plus, ni moins massif que les autres, le point d’interrogation qui s’était absenté dans le titre, apparaît :« Au plus profond de la nuit, il est tentant de perdre d’espoir
la margelle. Plus d’attentes, plus d’envies. Vivre n’est-il
qu’espérer la bienveillance du réveil-matin ? »Alors ?
Alors, il faut relire TOUT le recueil !
Ruth Lillegraven, La serpe, traduit du norvégien par Anne-Marie Soulier éditions Lanskine, collection Régions froides
Si ce texte est aussi beau, aussi prenant, on le doit aussi à la traduction d’Anne-Marie Soulier, à qui je voulais tout simplement rendre hommage, et je ne sais, si c’est ainsi qu’il faut le dire...
Ce texte, ce long poème, c’est l’histoire d’un enfant « vraiment bizarre » dit sa mère « à la sienne », cette conversation, il l’aura surprise, par hasard. Et pourtant :maman c’est
du soleil fondant
un bouton d’or
papa c’est un sapin bien droit
un aigle tout là-haut
il balance la serpe
fait sécher le foinNon, ce n’est pas la vie d’un enfant « bizarre », c’est le poème d’un enfant de silence(S) qui se raconte :
tu parles trop
endre me dit papa l’hiver de mes quatre ans alors je ne parle plus je me taisUne souris lui fera retrouver sa voix... « rêche de rouille »
La légende de l’ours, les coutumes, les morts, et puis, le départ des enfants de la famille, Endre demeure... Et la neige aussi :
la neige tombe si doux que je la vois presque s’élever et retomber dans le cielse poser
sur la luneL’écriture de ce texte, l’écriture de cette vie captent si intensément que l’on ose à peine, le commenter pour ne pas rompre le charme... Un envoûtement, oui...
Un jour le silence du père, juste avant le grand départ et la même impossibilité de/à « dire » s’empare à nouveau de Endre...
Ce sont les mots d’un livre, d’une autre langue, qui le sauveront : une troisième langue après la sienne et le silence. Et comme dans la boucle d’une vie, les pommes de pin de son enfance reviennent :
les pommes de pin je les cache ...c’est fou ce qu’elles peuvent faire …
elles peuvent être
une sœur un frère
mon père ou ma mèreet maintenant
ainsi s’ouvrent les mots
ainsi s’ouvrent les langues
ainsi s’ouvrent les pommes de pinje suis la mère pomme de pin
je suis le père pomme de pinje peux tout faire
je peux tout êtreUn texte sur les mots, le silence ne les éteint pas !
Un ensemble magnifique, mais je doute que ce mot ait plu à Endre, alors un poème magnifique comme une pomme de pin ! Oui !
Clara Regy