« Journal de montagne » n’est pas un vrai journal puisqu’il réunit des textes écrits à différentes époques. Il égrène des randonnées que Jeanine Salesse, grande marcheuse, a effectuées sur une dizaine d’années. « Sensibilisée à la beauté parfois rude » des vallées des Alpes par ses parents, Jeanine nous convie à nous émerveiller avec elle « à la vue d’une gentiane », ou à nous « attendrir » sur un vieux toit de lauzes. Des marches pour oublier « un peu l’ordinaire de la vie : ce tremblement perpétuel que nous donnent les êtres que nous aimons ».
Jeanine Salesse marche, mêlée au monde, chaque cellule de son corps liée aux fleurs, aux rochers, au vent. Ses pas entraînent des réminiscences, des souvenirs parfois mélancoliques. « Le bonheur et la perte dans ce pas qu’on laisse derrière soi pour être dans un nouveau pas, une nouvelle longueur nous envoyant vers l’avant, vers le futur de la rencontre sans y perdre le passé ». Marcher est une leçon de vie, d’écriture. Chaque texte accomplit son questionnement après l’énonciation de ce qui a été vu, ressenti : « Tout en marchant, se mêlaient des queues de pensées toutes faites, on en suit une qui s’emboite dans une autre, s’anéantit, renaît vaguement… » « La marche est un composé qui profite à l’équilibre du corps et de l’esprit ».
Poète discrète et toujours juste, Jeanine Salesse fait résonner une musique toujours attachante dans une langue murmurée, naturelle, en phase avec les éléments de la marche. C’est une vraie sagesse en accord avec la nature (née de celle-ci ?). Il y a sans doute une prédisposition personnelle à cette attention « au saut du rouge-queue », « au vol pansu du pinson », au « violet d’iris »… Malgré la mélancolie, la nostalgie on sent que l’auteur a su trouver une sorte de paix dans ses pas répétés qui la conduisent toujours plus loin, vers elle-même.
La marche est contemplation – méditation – réflexion – sur la vie, le temps qui passe, sa vie, dont elle ne dit rien d’autre que le moment qui l’entraîne vers d’autres randonnées, accompagnée de ceux, présents ou absents, qui ont partagé ses regards, ses émotions. Lorsqu’elle rythme son pas sur celui de son père vieillissant portant ses appareils photos, on est ému par cette tendresse attentive : « Retiens ton pas », « Que l’homme âgé qui t’accompagne ne se sente pas encore plus distancé par les années qui vous séparent ».
La découverte des sabots de Vénus contient toute la joie et la récompense de l’obstination à marcher ; « Un petit placer, une vingtaine de fleurs et le cri de mon père les découvrant, à gauche du chemin, côté cœur : « les sabots de Vénus ». Presque cinquante ans que nous les espérons… nous sommes radieux ! »
A propos de la gentiane bleue : « Ce bleu, c’est le miroir du bleu à l’âme. Je le sais… ce bleu-là sauve du malheur pendant quelques instants. D’année en année on s’est réfugié dans ce bleu. On s’y appuie pour jardiner le bonheur à petites doses ».
On avance dans ces beaux textes (petites nouvelles ? poèmes en prose ?) lentement, à son pas. Tout est dit en quelques phrases du lieu, du temps, de la flore, au gré de sa pensée en mouvement et chaque texte se conclut par une réflexion de sagesse (pas une morale !), que chacun peut s’approprier.
Bien sûr dit Jeanine salesse « on ira moins loin que nos rêves ». « On répandra des mots sans réelle nécessité ». Mais l’essentiel n’est-il pas de marcher, d’avancer, de témoigner ? On suit Jeanine Salesse avec ferveur dans ces moments simples et pleins, on l’accompagne dans sa générosité de femme, de fille, d’amie…
Luce Guilbaud
« Journal de montagne » éditions Tensing. 2014