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Hep ! Lectures fraîches ! Par Cécile Guivarch (juillet 2023)

jeudi 6 juillet 2023, par Cécile Guivarch

La maison de Mues, Catherine Serre, l’Arbre à paroles

Depuis 2012 Catherine Serre est active en poésie mais La maison de Mues est son premier recueil. Plaisir de découvrir ce texte où de page en page, un chant s’élève dans lequel il est question d’une histoire dérangeante. Une histoire qui vient toucher le lecteur jusque dans son corps. La maison de Mues est une histoire composée et dérangeante. Elle débute au tout début du corps. Le corps est en appui, en équilibre. Une histoire du corps qu’on voudrait effacer. Le corps présent dans cette prose, chaud et vivant, cherche sa destinée. A l’intérieur du corps, se trouve une vérité. Sans cesse en opposition passé / présent – ce passé qu’on efface pour que l’histoire s’envole fragile et dérangeante. Leitmotiv et chant à la fois. L’histoire est dérangeante.

Catherine Serre part de Théophile Gelée, d’un livre d’anatomie et du mot placenta pour déployer sa langue. Cela prend l’allure d’un conte, d’une histoire oubliée retrouvée. Placenta pour origine. Placenta comme liens maternels et menant vers une histoire dérangeante. A l’origine, la placenta est une galette avant d’être assignée dans un traité d’anatomie. Placenta passée du genre féminin au masculin. Le genre modifié par « langue médecine » mais qui dans La maison de Mues retrouve sa vérité. Un livre pour chanter la chair jumelle retrouvée, le placenta redevenu la placenta. Une chair au féminin chante le genre retrouvé. Chant pour ce elle qui était là mais se tenait immobile, cachée dans le corps connu, dans cette chair jumelle, dans ce corps où possiblement deux êtres jumeaux cohabitaient. Chant pour cette jumelle naissante. Effacer l’histoire qui ira à l’oubli. Acceptation de cette vérité retrouvée et chantée pour une nouvelle naissance – celle d’une fleur – la première, des origines. Chanter cette jumelle, reconnue vivante et bientôt, nous irons comme seule. Placenta, au-delà de cette affaire de genre renvoie à la mère et sa métamorphose, au lien mère/enfant, à la naissance, à la vie. Au commencement. A la transition. « Le chant se fait va-et-vient quand nos corps se mettent au monde. » Ce livre me touche beaucoup. De très près. Catherine Serre évoque une histoire dérangeante avec beaucoup de beauté.

entends le chant

et chante-le,

chante l’histoire inversée, chante la recette des femmes antiques, chante les recettes des femmes d’aujourd’hui, chante les révélations du rêve, l’histoire charnelle et l’histoire dérangeante, chante la chaire jumelle retrouvée dans le genre, chante la placenta

Errer pauvre, Eliane Vernay, L’herbe qui tremble

Lire Eliane Vernay, c’est lire une langue. Singulière, elle fouille quelque chose dont le lecteur au départ ne sait presque rien. Elle dit et ne dit pas. Puis, sans utiliser beaucoup de mots elle agrandit, ouvre quelque chose en soi., parle d’une source d’apaisement. Elle coule sans bouger. Langue d’une présence. Langue présente, elle vient creuser l’émotion, le corps, le mystère ou simplement l’effleurer. Elle libère la peur, l’élève plus haut, laisse l’air circuler. Parfois juste une phrase sur une page. D’autres fois, c’est plus long. Cela dit, affirme ou pose des questions. Chercher réponse ? La trouver ? Les mots (…) disent en s’effaçant, mais que devraient-ils dire ? Des visages anciens remontent et un jour nous ne serons plus. Alors demeure ce qui reste, ce qui n’est pas compris. Demeure le temps et ce qui recommence. La langue d’Eliane Vernay est une recherche de silence. Le silence de qui ne se connaît pas. D’une douleur qui a été tue. Jusqu’à la marche, le cri n’est pas venu, la plaie ancienne qui se découvre au fil des pages. Se dévoile l’exil sous la langue. S’interroge cette question de naître, de partout ici / et pas ici // Ailleurs / et tout près. Peut-être recommencer pour libérer les mots. Se libérer relie et le chant s’élève car immense est la mer.

Mais rien jamais n’arrête le vacarme du temps. La déroute des chairs, on l’a effacée rouge.
Même si

rien ne cesse
jamais -

même si tout recommence à l’identique :
pour retrouver les couleurs,
inciser encore

puis recoudre.

Ça veut dire quoi partir, François Coudray, Editions Alcyone

« Dessiner l’absence de son corps », écrire l’absence d’un petit frère, la déchirure provoquée par ce manque. L’écriture passe par le corps car le deuil ébranle le corps. Ecrire c’est aussi se souvenir - « c’est lumière encore ». Une absence et pourtant une grande présence, le petit frère a choisi de partir mais il est là, dans le corps et dans jusque dans la voix. L’absence agit comme une « mémoire au travers (du) corps ». Rester avec cela et essayer de comprendre et d’apprivoiser la douleur. Ecriture de sensations, corps proches de la terre, corps vivants – même dans l’absence – tout est vivant, demeure en soi et continue de respirer. Une façon d’accepter de respirer sa mort. De laisser l’absence vibrer très fort tout au bout du chemin dans la lumière.

L’écriture est sensible, les mots sont pudiques et profonds. Ce livre est très émouvant, plusieurs fois les larmes me sont montées aux yeux.

ta voix soudain dans ma voix

au détour d’un cri
d’un appel

présence sidérante

on voudrait croire
qu’un souvenir prend ainsi la parole
et résiste à mourir
que nos deux corps encore s’appellent

mais rien n’est que ce cri
et ta voix
dans ma voix
qui déjà s’efface

Ô Châteaux, Denise Le Dantec, Les éditions SANS ESCALE

Rendre compte de l’instant présent, du soi – fleur parmi les fleurs – présence au monde et dans la lumière. Denise La Dantec questionne la difficulté à rendre avec exactitude ce qui est vu et/ou vécu. « Crois-tu que la parole et les choses parlent la même langue, ». Alors écrire avec ce que l’on a sous les yeux – une lune, des corbeaux, une rivière, des fleurs, le ciel - écrire l’instant, la nature mêlée aux gestes et aux objets du quotidien avec toujours en mire de fond cette interrogation : « Penses-tu que les mots soient les choses qu’ils désignent ? » Pour dire une chose, pour dire une autre, selon le mot utilisé, la signification pourrait changer. A observer, à s’inscrire dans le monde, est-ce qu’au fond « rien n’est vraiment réel » ? Ou au contraire cela rend une plus grande présence au monde ? Ce que j’aime dans la poésie de Denise Le Dantec c’est cette impression d’être dans quelque chose d’immédiat et en même temps dans quelque chose d’intemporel. Elle donne l’impression que c’est posé, puis un mot, un vers, vient tout bouleverser et questionner. J’aime aussi cette grande présence de la nature et du soi fondu à la nature : « Nous sommes des champs de coquelicots ». Ce nous exposé à la lumière et dans le tumulte du monde. Et dans tout cela, le soi, dans ses besoins les plus élémentaires exprime le fait de se sentir vivant : « je vis dans mon corps / j’ai faim ». Avec cette conscience que demain on meurt. Alors juste profiter du jour, de l’aujourd’hui où le soleil s’est posé.

/ nous désherbons
10 000 mots par jour
jusqu’à la touche finale/

/nous sommes des champs de coquelicots
avec, souvenez-vous en,
des marques de beauté noires/

des roses florissantes
à travers les lits

rien au-delà

pas une averse

trouvez la source

Et qu’est-ce que je fais
Parmi les herbes de cuisine
& les demi-lunes empilées
sous l’averse ?

Le mélange de l’eau, Ariel Spiegler, Revue Achille | Editions de Corlevour

« Fallait-il donner un nom / A cette vie si mélangée ? »
(…)
« J’ai besoin d’un rien : que l’on existe »

Poèmes fleuves, comme l’eau qui s’écoule et se mélange à d’autres eaux. L’eau de la naissance et qui se confond à la vie. L’eau parfois juste effleurée, mais présente à travers la pluie ou quelques vagues. Ariel Spiegler a l’art de conter. Ces poèmes racontent une histoire : celle de l’eau, du voyage, celle de l’existence, juste calme dans un verre ou prise entre les vagues. L’eau est prétexte pour évoquer nos existences. De l’enfant qui cherche la main de sa mère, aux amoureux ou à l’artisan fatigué. On retient des scènes de vie, des portraits, des gens qui évoluent et vivent – à travers les gouttes de pluie.

Amont

Tout commence avant le réveil
Avant ce qui est bleu le soleil
Bien longtemps suspendu

Quel pays déjà
Protège un grand secret

Loin d’elle aussi
De son balancement
Plus tard on cherche encore
Le bercement de son pas sur la mer
Avant ce qui est bleu

Saline, Maelan Le Bourdonnec, Poétisthme

Un tout petit livre composé de textes courts, deux ou trois vers, quatre ou cinq par page tout au plus. Concentré de poésie. Des fissures, des condensés d’émotions pour évoquer le désir, les corps, les nudités… Quelque chose est raconté, entre les mots et le blanc sur chaque page – ces blancs entre les courts poèmes, racontent un amour, une rencontre : « Tu m’as tout de suite plu / comme une pluie du passé ». Maelan le Bourdonnec témoigne que la poésie n’a pas toujours besoin de beaucoup de mots pour affirmer sa présence. Juste quelques brèches, quelques images et des émotions effleurées suffisent. Le peu de mots pour une certaine pudeur ou plus donner une force au poème.

tu marches toujours avec le bruit de la mer derrière toi
sans savoir
ce qu’est la mer

(…)

chaque fois que tu pars
une falaise
en moi s’effondre

Boîtes noires, Estelle Fenzy, Le chat polaire

Imaginez que vous êtes dans un avion. Il entre en zone de turbulences. Que se passe-t-il dans votre tête ? Et dans celle des autres passagers ? Toute la vie défile – toutes ces vies défilent, quand s’annonce l’imminence de la fin / le temps réel de la mort collective. Chaque poème porte le nom d’un siège : A 1 – B 1 – C 19 – F 21 – etc. Imaginez ce que tous ces gens vivent. Ce qui leur revient, ce que dévoile l’espace de ces quelques minutes. C’est le projet de ce livre. Estelle Fenzy dresse le portrait imaginaire des passagers de cet avion. Tout est bien sûr inventé. Mais elle parvient à parler de tous : des amoureux, de la mère et l’enfant, des gens qui brillent dans la société, de ceux qui passent inaperçus. Elle parle de ces vivants qui seront bientôt invisibles du monde. Des gens qui dans le drame s’accrochent les uns aux autres et pensent une dernière fois à leurs proches ou à ceux qu’ils ne connaîtront pas, ou qui pensent à la peine qu’ils n’affligeront pas (« Heureusement /maman / est morte ») . Les souvenirs surgissent. Ultimes. Mais aussi les regrets. Ce que nous avons été, ce que nous aurions pu être. Ceux qu’on a quittés avant de partir. En dernière page, un dernier siège, le D 29. La page est vierge. C’est le siège du lecteur. A vous ! Petit livre vraiment original !

E 27

Lui raconter
Maman est au ciel
ce n’est pas mentir

Je préfère
Maman est ailleurs
pas partie
mais ailleurs

Ça veut dire
voyage

ça veut dire là
encore

Les mots sont une foudre lente, Serge Núñez Tolin, Rougerie

Les mots… Ceux qui ont été dits. Ceux restés non-dits. Ceux entendus. Ceux demeurés dans la mémoire. Cela paraît d’une extrême banalité les mots, ils sont prononcés au quotidien et pourtant sont témoins du temps qui passe. Quoi d’extraordinaire dans un « Ne prends pas froid » ? Et pourtant il s’agit de la question du vivre, depuis la naissance, vivre dans la lumière du matin, vivre dans un rêve en étant conscient du monde. Serge Núñez Tolin évoque cette question du vivre en évoquant la possibilité de revenir à quelque chose de simple, de revenir à notre place en goutant les petites choses de la nature. Il nous invite à la simplicité, à vivre.
« Si nous pouvions être comme les plantes, une promesse au soleil ! »
« La vie revenue parmi les heures simples ».

Nous sommes faits de gestes simples dans notre quotidien, à éplucher les pommes de terre, changer le linge, passer la serpillère. Mais nous avons les mots. Et ils ont du poids. Le silence aussi. Pour cela se servir des mots pour exprimer le silence. Ces mots qui font monter quelque chose dans le corps, qui expriment l’émerveillement, l’immensité restée en nous. Alors, se contenter de que nous avons de plus simple, de la profondeur des joies enfantines, de ce que l’on reçoit les uns des autres par les mots, par le corps. Un livre pour se sentir bien. En vie. En paix.

L’air du matin à la fenêtre, l’envie de revenir à la respiration. Le regard passe sur le jardin silencieux de ce qu’il y a dehors.

Quel est ce tremblement dans l’air que l’on vient prendre à la fenêtre ?

*

La vie revenue parmi les heures simples.
J’aime l’efficacité des gestes domestiques, leur banalité, la simplicité dans laquelle ils nous entraînent, le calme dont ils sont la figure. Comme si les tâches domestiques étaient les dernières images qu’il me restait

Quand je ne dis rien je pense encore, Camille Readman Prud’homme, L’Oie de Cravan

L’auteure est de Montréal et réédite ici un premier recueil illustré par elle-même.
« quand vous n’êtes qu’avec vous-même […] vous gardez le silence mais vous pensez toujours […] »

Le recueil en débutant de la sorte valide le titre et se poursuit en faisant le tour de la question. Tout ce que à quoi nous pensons, nos souvenirs, nos traces, nos regrets, tout ce que nous gardons en nous. Chacun pense mais ne le laisse pas paraître, et le visage est parfois le reflet de nos pensées, de tout ce que nous avons emmagasiné. De nos souvenirs mais aussi de tout ce qui s’oublie, de ce qui se lie puis se délie. Au-delà de la pensée, c’est un livre sur le corps. Celui-ci même qui enveloppe la pensée ou la laisse déborder. Un livre sur le visage, représenté comme une façade, un masque et qui ne permet pas toujours de se laisser cerner par les autres. Un livre sur la façon dont nous sommes avec les autres, souvent dans le paraître pour répondre à la norme.

Camille Readman Prud’homme écrit avec une belle langue, de cette voix qui parle à chacun de nous. On y trouve une certaine fraîcheur, quelque chose qui demeure de l’enfance, une capacité à s’étonner de chaque chose et cette impression de tout découvrir pour la première fois. Camille Readman Prud’homme parle de nous. De nos façons de fonctionner, de vivre, d’interagir avec ce qui nous entoure. D’être parmi les autres est une manière de perdre de sa singularité, par exemple, « quand tu marches dans la ville / tu deviens un corps ». C’est une écriture qui peut faire aimer la poésie à ceux qui jusqu’ici en étaient réfractaires, elle pose des questions que nous nous posons tous. Un livre remarquable, déjà remarqué, à remarquer.

un jour j’ai pu visiter un bâtiment que je ne connaissais qu’en façade, un jour la langue espagnole s’est dépliée, dans les sons il y avait des mots, chaque fois que j’écoute un disque pour la première fois il déborde de l’image de sa pochette, et de temps à autre je réalise que c’est au moment où on aperçoit du dedans que les animaux semblent devenir de la viande. Longtemps l’électricité m’est apparue comme un mystère et bien souvent, avant de les lire, les livres m’apparaissent eux aussi comme enclos dans leurs titres.

*

j’ai connu des gens qui ne voyaient que les surfaces. l’irritation dans la voix (mais pas dans la phrase), la déception cachée derrière le visage (mais restée dans les yeux), ils ne les ont pas vues ; les demandes qu’on n’osait pas faire mais qui changeaient pourtant le ton des conversations, la rugosité des rapports qui s’installait bien avant que n’arrivent les cassures, tout cela n’aura jamais existé, car pour être reconnues par eux les choses devaient être évidentes comme un trait de crayon feutre.

Thermos fêlé, Claude Favre, L’herbe qui tremble

Journal ouvert sur le monde et ses oubliés. Journal pour « ne rien oublier des histoires de ceux qui meurent dans le froid et jusqu’aux fosses communes ». Une écriture singulière, celle de Claude Favre. Elliptique, elle mange les mots pour les rendre plus bruts. Journal dans Caravane, avec ce C majuscule, Caravane a une âme, comme une personne. Journal pour parler de la déshumanisation en donnant des chiffres, des citations. Journal au cœur du Charlie Hebdo, parle de ceux-là qui sont morts pour nous, pour avoir su oser dire.

Cœur a mal, revient et revient dans le livre, un peu comme s’il était une personne et que c’était son prénom. Cœur a mal de tout ce à quoi on assiste, impuissant. Ces génocides. Le sang qui coule. Ici et ailleurs. Cœur a mal des coups de fouets reçus en public. Pourtant avec tout ce qui se passe dans le monde, ici « à Ploucville on espère il n’y aura pas de vent ». Nous nous pensons toujours quelque part loin du monde mais les images, la radio nous rappellent que nous sommes à proximité de ce qui se passe ailleurs. Alors nous gagne l’incompréhension… malgré les guerres qui ont déjà eu lieu, cela continue.

Ecriture engagée qui dit pour tenter de vaincre une forme d’impuissance. C’est l’union de toutes les écritures engagées qui permettrait peut-être de faire prendre conscience que nous avons un rôle à jouer pour faire cesser toutes les horreurs. Un livre qui parle de l’oubli de la dignité de la « personne humaine ». Tout simplement sincère, c’est vrai, ça ne ferme pas les yeux mais les tient bien ouverts.

jeudi 15 janvier, qui parle d’amalgames pour en faire, quoi atteint un seul en ces jours noirs tous nous atteint, ce qui il faudrait faire joie des mots, troubler mieux le langage pour décoller l’œil guidon, agrandir l’horizon pour, contre chacun sur son quant-à-soi, et la guerre
la haine contre la présence, l’irresponsabilité dit-on, françaises on brûle des effigies du président de la France au Pakistan et c’est Sarkozy, c’est dire notre différente temporalité à Grozny éclatent des manifestations obligées téléguidées au Niger il y a 45 églises brûlées, et dedans, des morts à Ploucville on espère il n(y aura pas de vent

Rituels, Dominique Maurizi, Fai fioc

Être là. Aller. Ce qui prend, saisit, fait place nette au poème. Être là quand nous ne sommes rien de plus que nuages dans le ciel (…)
Rituels est un voyage intérieur. Des fleurs à la fenêtre ravivent le lien mère/fille et font revenir la mère. L’écriture à ce pouvoir : permettre de toucher quelqu’un qui n’est plus là.

Rituels est une méditation avec le souffle, la respiration, le corps. Ecrire en médium. Ecrire et dialoguer avec celui qui n’est pas là. Des souvenirs d’enfance reviennent également par la figure paternelle. Ecrire pour poser les questions. Demander les pourquoi. Parler avec ceux avec qui on n’a pas pu. Rituels pour appeler, convoquer et questionner les morts mais aussi pour pardonner. « En moi errent les morts ».

L’idée de n’être personne, nobody. Apprendre autre chose, le silence, la nuit, le voyage – accompagner l’autre dans ce voyage. Errer parmi les souvenirs, parmi les morts, errer dans son propre corps pour tenter de se rencontrer soi à travers ces disparus qui ont pris trop de place. Rituels, pour ces dernières raisons, continuer et peut-être à un moment rencontrer sa vraie nature - soi.

Il y a des fleurs à ma fenêtre. Il y a jasmin, laurier blanc et les deux autres qui sans que je sache leur nom s’ouvrent là avec nous. Sans que ma main, quand je touche ta bouche, puisse dire laquelle d’entre elles fleurira la première.
Premièrement, ma mère disait qu’il ne fallait pas toucher les fleurs, moi j’aimais le contraire. Deuxièmement, j’ai senti tout de suite que seul écrire ferait surgir les roses. Troisièmement, maman voulait qu’elles soient blanches, têtes tirées vers le haut, grandes, pour oublier la honte dessous. Je dors blanche, moi aussi. Et j’écris un poème pour te voir revenir. J’écris noir, et les deux fleurs dont je ne sais pas le nom poussent tout près de ma maison. Quand ma main touche ta bouche, je ne sais pas laquelle d’entre elles fleurit la première.

Contre-Feux, Subrebost, maelstrÖm reEvolution

Subrebost nous livre dans Contre-Feux une épopée, celle de la transition dans ce livre où se mêlent tous les genres : roman, poésie, bande dessinée, graphisme… Ce livre est celui du courage, de la liberté d’être celui-celle que nous sommes au plus profond de soi. Ce courage face à une société régie par les normes, cette société qui nous impose de vivre avec des codes, qui nous oblige à porter des pantalons si nous sommes assignés garçon à la naissance, à se comporter comme il a été décidé qu’un être né garçon devait le faire, à taire la part du féminin en soi. Subrebost ose. Passe la frontière. Ose être qui elle est dans ce corps d’homme. Ose aller au-delà des normes, de ce qui lui a été imposé dès la naissance pour se libérer, devenir pleinement ce Elle qui vivait en elle.

Je suis un homme
Je suis une femme
Je suis les deux
Je suis qui je suis et ne le sais pas
Impossible de me maîtriser
Impossible de me maîtriser.

Ce livre est nécessaire pour comprendre cette question qui depuis quelques temps fait débat dans la société, ce thème de la transidentité. Cet étrange paradoxe de ne pas se sentir dans le bon corps et d’en souffrir au quotidien. Longtemps sous silence, les personnes transgenres aujourd’hui osent vivre leur différence, faisant fi de l’agressivité de la société à leur égard. Mais au-delà de ce thème ce livre est étonnant par son mélange des genres, véritable prouesse littéraire et artistique de la part de Carole-Anne Subrebost.

  • Ceci n’est pas une fin, c’est un commencement

Je suis malade car je suis disloqué
Deux

Nous sommes libres
Nous sommes qui nous sommes

….

Naître, renaître en chaque instant et retrouver la source

« Lorsque vous ferez du masculin et du féminin un
Unique, afin que le masculin ne soit pas un mâle
Et que le féminin ne soit pas une femelle »
Evangile selon St Thomas.

La langue des Oiseaux, Valérie Canat de Chizy, Editions Henry

Emouvant petit livre dans lequel Valérie Canat de Chizy revient sur son enfance et son entrée dans la surdité à l’âge de quatre ans, ses efforts pour conserver le langage. Une surdité qui lui a permis de se créer une autre langue, celle de l’arbre, des fleurs, de l’abricot, la coccinelle,… celle des oiseaux. Petite fille au contact de la nature, elle grandit avec cette nature en elle, cette nature qui lui permet d’entendre la vie résonner, de voir le monde au travers de ses silences, de les faire parler puissamment. Ce petit livre écrit sous la forme d’un récit poétique, nous entraîne dans l’univers de l’auteure, cette poésie, cette manière de retrouver la petite fille en elle. La surdité vécue comme une mise à distance du monde et permet à Valérie Canat de Chizy de s’approcher des petites choses, de s’approcher au plus près d’elle-même et d’enfin juste apprécier la vie qui bat en elle.

Aujourd’hui, il me semble avoir retrouvé cette petite fille qui frappait de ses sabots les marches de l’hôpital pour entendre résonner ses pas. Sa robe bleue à franges. La part de ciel qui l’habitait et sa spontanéité, qui la poussait à aller de l’avant, allègrement. Dès le début, apprendre à lire sur les lèvres, travailler son élocution avec l’orthophoniste, comme un jeu. Faire des dessins que l’orthophoniste a tous gardés, quarante ans après. Aujourd’hui, je marche comme je marchais enfant, tapant des pieds sur le marbre de l’escalier. Ce n’est pas que je veux m’entendre, c’est que je veux entendre la vie résonner en moi.

Cécile Guivarch


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