Jean-Marc FLAHAUT : Je n’aime pas les ateliers d’écriture (La Passe du vent éd., 2020), 78 pages, 10 euros – 8 place de la Paix – 69200 Vénissieux ou editions@lapasseduvent.com
C’est par une antiphrase un brin provocatrice que Jean-Marc Flahaut a choisi ce titre. Cet auteur est un spécialiste aguerri des ateliers d’écriture qu’il anime en divers lieux. « Je joue à celui qui sait », écrit-il tout en reconnaissant vite qu’il n’en sait guère plus sur l’art d’écrire, et sur les procédures littéraires. Raconter des histoires, se mettre à nu sur un écran ou sur du papier voilà qui pourrait sembler banal et convenu si derrière ce fragile brouillard il n’y avait des sensibilités d’écorchés-vifs et des personnalités aux parcours perturbés. Que ce soit dans les prisons ou dans les universités, « les ateliers d’écriture / ne fabriquent de l’écriture d’atelier » certes mais permettent à des centaines de personnes de s’ouvrir à un mode d’expression gratifiant. Quelques portraits vifs et réalistes illustrent le propos de Jean-Marc Flahaut à travers de courts poèmes qui sont autant de témoignages crus et sincères de la part de ceux qui « ont mis des mots sur les maux ». Flahaut appelle Pérec à la rescousse quand ce dernier affirmait que « le jeu consiste à tenter de faire coïncider au plus près ce travail (écrire) et cette liberté (écrire) ». Oui, « il y a encore des gens qui lisent des livres » et nombreux sont de celles et de ceux qui rêvent d’en publier. Comme il est d’usage dans cette collection, le recueil s’achève par « un moment privilégié » qui est une éclairante conversation entre l’auteur et son éditeur Thierry Renard.
Salvatore SANFILIPPO : 54 activités amusantes pour un confinement réussi (Gros Textes éd., 2020), 102 pages, 8 euros – Fontfourane – 05380 Châteauroux-les-Alpes ou gros.textes@laposte.net
Face aux situations extrêmes comme la crise sanitaire de 2020, la réactivité des poètes a été efficace. On en a pu en mesurer l’étendue avec la circulation des écrits sur internet. Cette réponse prend toute son importance avec des poètes comme Salvatore Sanfilippo, fin limier de l’humour et subtil fleurettiste du verbe. Son 8° livre s’inscrit dans la ligne des précédents avec ici la parodie d’un livre de recettes pratiques. Comment réussir son confinement à partir de toutes petites choses ? Comment dépasser la sidération ? Grâce à un arsenal de petits jeux que l’on découvre avec délectation en souriant. Difficile de détacher des extraits puisque chaque poème ou conseil forme un tout. On retrouve dans ce livre le goût prononcé de l’auteur pour les pirouettes et pour l’autodérision. Ah ! ces attestations de déplacement dérogatoires piratées ou les séances champêtres comme la lecture de poèmes aux vaches du voisinage ( à moins d’un kilomètre de chez soi !) ou la pratique du taïchi dans le champ de son voisin…Un dernier conseil : conservez précieusement cette plaquette car elle pourra vous être utile dans les années à venir afin de faire face par exemple à la 23° vague de la pandémie en 2030…
Jean-Michel MARCHETTI et Jean-Claude TARDIF : Je vous regarde (Éditinter éd. 2020), 76 pages, 15 euros – BP 156 – 91450 Soisy-sur-Seine
Sur la couverture de ce livre, une fenêtre s’ouvre sur neuf visages, énigmatiques photos en noir et blanc. En lisant ce livre, on apprend que ce sont les visages d’exilés, de déracinés et de marginaux, toutes ces personnes au parcours mystérieux et au destin ravagé. « Photographies et Textes courts » est le sous-titre retenu par les deux complices à l’origine de ce livre. La complémentarité joue à plein car ni les images ni les mots ne cherchent à prendre le dessus. La présence obsédante des regards ferait que l’on en oublierait presque l’histoire de ces personnes qui affirment que « sans cesse nous sommes entre ombre et lumière ». Aveux, confessions, constats : la réalité la plus brute est livrée par les mots du poète qui tente de deviner ces parcours non-balisés. La pauvreté et la noblesse dont il est question dans la citation d’André Suarès en exergue du livre se retrouvent dans ces échanges permanents des regards : « Je suis ce que vous ne voyez pas, ne voulez pas voir. Une part de vous-même » ou pire encore dans le déni ou le refus du réel : « Alors pourquoi détournez-vous la tête ? ». Les trois points de suspension qui suivent les trois mots du titre sont le signe évident et tragique d’une suite infinie, d’une sorte de clin d’œil de Caïn qui comme un rappel à l’ordre.
Salah AL HAMDANI : Ce qu’il reste de lumière suivi de Au large de Douleur (Les Éditions Sauvages éd., 2020), 148 pages, 13 euros – Ti ar Vro, Place des Droits de l’Homme – 29270 Carhaix ou editionssauvages@orange.fr
Ce livre est une nouvelle édition de deux recueils écrits en français, parus en 1999 et 2000. Après 20 ans de maturation, rien ou si peu de choses ont changé dans l’univers violent où avait vécu l’auteur avant son exil. « Ton adieu / mon Irak / a fait de moi un songe » mais avec encore tant et tant de cauchemars qui brouillent le sommeil. La rupture et la perte sont présentes dans presque tous les poèmes. Cette traque permanente et tragique se dresse comme un barrage contre l’oubli. Salah Al Hamdani l’affirme : cela lui sert à se « délivrer des rêves barbelés / où naît l’exil » et à « s’éloigner dans le mirage de l’écriture / à la recherche d’une autre lumière ». Ces poèmes prennent une envergure plus grande encore en lecture à haute voix comme on a pu le découvrir à Sète lors des Voix Vives de la Méditerranée en juillet dernier. La voix de ce grand poète résonne comme un avertissement pour les personnes qui penseraient que tout est résolu. Quand le poète affirme qu’il « traque le mensonge de cette vie insupportable », ce n’est pas pour se perdre en vaines plaintes. Entre souvenirs de plus en plus lointains et souffles de plus en plus difficiles, il tente d’avancer sur des « chemins aux espoirs barbelés », là où « des exils à perte de vue / chantent la désolation ».
Christophe JUBIEN : Ce n’est que moi (Gros Textes éd., 2020), 94 pages, 7 euros – Fontfourane – 05380 Châteauroux-les-Alpes ou gros.textes@laposte.net
« Ce n’est que moi » dit humblement celui qui déclare « bricoler des émissions dans une petite radio d’intérêt local ». Ce n’est que moi, c’est aussi le titre du dernier poème de ce livre qui confirme l’évidente modestie de ce poète. Ici, les sens sont en éveil permanent et permettent de transformer la banalité d’une rude réalité en petits miracles quotidiens. Grâce à de petits tableaux à la Jean Follain, Jubien développe des instantanés photographiques où la détresse et la merveille de l’existence sont à l’œuvre. Ici, pas de jérémiades dans une existence pourtant encombrée de difficultés de toutes sortes. La prodigieuse faculté d’observation de l’auteur lui fait rejeter ce qui est clinquant et tapageur au profit de choses inaperçues : une orchidée dans un vase au long cou, un ivrogne à sa fenêtre, un pigeon tombé d’un toit, un couple de vieillards que la cloche du soir rappelle à l’heure du souper,…En point d’orgue, et vraiment à part des autres poèmes, on lira avec attention le long texte en 8 parties intitulé Mort d’homme sur le suicide de son père, ou comment dire beaucoup en peu de mots. Ave ce nouveau livre, Christophe Jubien poursuit sa randonnée poétique tout en restant fidèle à lui-même et à ses valeurs humanistes.
Marie GUERRINI : Le soleil se faufile dans nos nuits (Unicité éd., 2020), 120 pages, 14 euros, avec des photos de Lucien Arnauld – 3, sente des Vignes – 91530 Saint-Chéron ou contact2013@editions-unicite.fr
Ce n’est pas souvent que l’on reçoit de plein fouet un premier recueil plein de promesses. C’est le cas avec cet ensemble de poèmes d’un réalisme dérangeant. Les inévitables scories dues à ce type d’écriture n’entachent pas un ensemble cohérent traversé par des fulgurances comme ce poème de la page 13 où une funambule perchée à 38 mètres au-dessus du vide pourrait être la métaphore du poète. Elle « s’est arrêtée au milieu » du trajet aérien et elle « a levé ses deux mains au ciel, tendues ». C’est un être à part, capable « d’accepter son déséquilibre », rançon de sa marginalité. Tous ces poèmes, datés et localisés, traduisent une errance assumée et une frugalité acceptée. L’amour des proches compense les moments de révolte et d’abattement dans un monde « de plus en plus terrifiant pour les rêveurs, / les doux / et les poètes ». À travers diverses expériences quotidiennes, on croise ici des êtres abandonnés par un système impitoyable dont rend compte cette écriture à l’encre empathique. Témoigner, partager, dénoncer : tous ces furieux objectifs de la jeunesse se poursuivent, « en attendant que l’âge / Éteigne en moi les feux incandescents ». Souhaitons que Marie Guerrini n’éteigne aucun de ses feux qui illuminent son premier livre.
Georges Cathalo – décembre 2020