De la terre en mémoire, Christine Girard, Faï fioc, 2014
« y avait de la terre dans mon seau ».
Ce vers est répété plusieurs fois tout au long du recueil, comme l’air d’une petite comptine : l’enfance est la toile de fond de ce très beau texte poétique, le premier publié de Christine Girard (dont on a pu lire des extraits dans la revue N4728). Court, il est composé de plusieurs petits paragraphes séparés par des virgules et des espaces, sans majuscules.
Si le mot terre revient très souvent dans ce récit poétique, il en est de même pour le ciel, la pluie, une flaque. Les éléments sont très présents, proches, tout proches de la narratrice. Ils sont les points d’appui vers le passé, vers cette mémoire qui ne se révèle pas. Pas encore. Car c’est tout l’objet du texte : une sorte de traversée vers la mémoire retrouvée, qui ne se révèle que par petites bribes. Tout tourne autour d’un drame qui s’est joué dans l’enfance, un moment comme le point de rupture. Les passages du présent au passé se font grâce aux éléments, notamment l’eau et l’on comprendra mieux pourquoi au terme de cette quête. La flaque est un de ces éléments importants : elle est comme un miroir, un « écran » comme la poète la nomme, où l’on se réfléchit, où l’on voit le passé. Mais la mémoire résiste, et pour qu’elle advienne, il faut en passer par les mots, courir les mots, remplir les vides d’une mémoire trouée, comme des brèches pour continuer à vivre, des brèches pour inventer, des brèches pour écrire. Si la mémoire a fui, c’était bien pour protéger alors l’enfant du drame, telles des poignées de terre jetées sur cette mémoire. Et puis la traversée se termine, indispensable, je me digère, je digère mon histoire, ma naissance, je deviens flaque et je renais. Une écriture à découvrir que celle de Christine Girard, précise et épurée.
Sophie G. Lucas