Jean-Claude MARTIN : Ne vous ABC jamais (Gros Textes éd., 2019), 110 pages, 7 euros – Fontfourane 05380 Châteauroux-les-Alpes ou gros.textes@laposte.net
Ils sont de moins en moins nombreux les poètes contemporains qui osent s’aventurer sur les sables mouvants de la poésie dite fantaisiste ou humoristique. Jean-Claude Martin fait partie de ces valeureux Mohicans. Son œuvre importante a touché de nombreux domaines avec autant de réussite avec nouvelles et pièces de théâtre en plus de la poésie, en prose le plus souvent. Il se livre ici à un exercice que n’auraient pas renié Raymond Queneau ou Jean L’Anselme. Au fil d’un alphabet personnel, il a relevé des termes qui lui parlaient pour en détricoter les différents sens et, aussitôt après, en embrouiller les fils au gré de son humeur. Pirouettes et jeux de mots, coq-à-l’âne et calembours : tout y passe ! Chaque « entrée » doit se lire lentement si l’on souhaite vraiment savourer les prouesses de langage car « comme dirait Simone, il ferait beau voir » que vous vous détourniez de ce livre vulnéraire. Alors, ne vous abaissez jamais, restez debout pour goûter ce nectar puisque quand « le vain est tiré, il faut le boire. Jusqu’à l’hallali ».
Spered Gouez N°25 (2019), 150 pages, 16 euros – 7 allée Nathalie-Lemel – 29000 Quimper ou marie-josee.christien@wanadoo.fr
On n’est jamais déçu avec cette revue annuelle que Marie-Josée Christien tient à bout de bras avec ferveur et passion. Le riche contenu donne une belle image de la richesse et de la diversité de la poésie contemporaine. Son ancrage breton sert de fondation au développement d’approches plurielles : poèmes, chroniques, dossiers, vagabondages… Bien difficile alors d’isoler des fragments de ce solide mégalithe poétique. Il nous semble cependant important de signaler un émouvant dossier consacré à ce poète trop discret qu’est Jean-François Mathé et d’évoquer aussi l’ensemble thématique intitulé « La Légende de la Mort du temps présent ». Sans aucune aide institutionnelle, Spered Gouez parvient à faire face aux aléas qui plombent les publications indépendantes en ces temps où le numérique aurait tendance à tout envahir.
Romain FUSTIER : L’eau partout touche l’eau (Encres Vives éd., 2020), non paginé (16 pages au format A4), 6,10 euros – 2 Allée des Allobroges – 31700 Colomiers ou michelcosem@wanadoo.fr
Explorer le plus possible de lieux à travers les paroles des poètes demeure l’un des objectifs de Michel Cosem grâce à l’une de ses collections intitulée justement « Lieux ». Dans cette plaquette, Romain Fustier propose une sorte de carnet de bord poétique composé de 14 poèmes, chacun formé de 14 vers libres. De passage à La Franqui dans l’Aude, dans « cette villa / aux volets bleus défraîchis par le temps », la petite famille de Romain va aller de découverte en découverte à travers des choses simples qui permettent d’amortir la violence du monde et de contribuer à construire des fondations pour une existence : souvenirs, créations, promenades,… Protégé des embruns marins et des modes touristiques, ce lieu où « l’eau partout touche à l’eau » avec les étangs et la mer, La Franqui est un lieu magique où « l’éternité donne parfois l’illusion d’être là ».
Comme en poésie N°81 (2020), 90 pages, 4 euros ou 15 euros les 4 numéros annuels – 730 avenue Brémontier 40150 Hossegor ou j.lesieur@orange.fr
Impossible de caser un poème de plus dans ce généreux numéro 81. Fidèle à ses bonnes habitudes, le capitaine et seul maître à bord de ce navire au long cours n’a pas hésité à rameuter les forces vives d’une poésie libertaire et indépendante. Risquons-nous à citer quelques noms, toutes générations confondues : G. Chaty, F.X. Farine, P. Maltaverne, V. Joyaux, B. Rouchin, E. Charasse, D. Birnbaum, V. Cadet et tant d’autres qu’il aurait fallu citer pour leur contribution au thème dominant du numéro et à la préoccupation actuelle de Jean-Pierre Lesieur, à savoir « la révolte la fronde le ras-le-bol ». Des illustrations vériées aèrent ces pages bien garnies qui se terminent par des notes critiques. Lesieur tient à rappeler que sa revue « ne parvient pas à vivre seulement de ses rentes » ou de subventions puisqu’elle n’en a pas ( !) et que seule la grande famille des auteurs et lecteurs permettra à Comme en poésie de poursuivre sa route.
Jean-Claude TOUZEIL : Léo, arrêts sur images (À l’Index éd., 2020), 46 pages, 12 euros – 11 rue du Stade – 76133 Épouville ou revue.alindex@free.fr
Le titre de ce livre pourrait paraître énigmatique ou référencé ver l’univers cinématographique. Pourquoi pas puisqu’il s’agit de retrouver dans un flash-back les images d’un père, Léopold, que « le reste du monde appelait Léo ». Des images fortes remontent à la surface d’une mémoire fidèle comme celles des épreuves subies par Léo qui n’en a guère parlé consacrant son temps à des activités créatrices. De nombreux poèmes de Touzeil commencent par « en ce temps-là » comme pour mettre à distance une époque révolue avec des disparitions telles que la pêche sauvage en rivière, la diversité biologique des semences de haricots ou la réparation des sommiers. Si certaines images parleront plus particulièrement aux « baby boomers » ruraux, d’autres sont plus intergénérationnelles car elles concernant des secteurs affectifs comme la tendresse, la mélancolie ou le retour à la nature. Ce livre est remarquablement édité et mérite que l’on s’y attarde. Les courts poèmes de l’auteur sont accompagnés par des illustrations colorées d’Agnès Rainjonneau.
Interventions à Haute Voix N°61 (2020), 112 pages, 12 euros – 5 rue de Jouy – 92370 Chaville ou gerard.faucheux@numericable.fr
C’est Basile Rouchin qui a piloté ce numéro thématique consacré à Demain. Prémonition ou coïncidence pour ce sujet compte-tenu des circonstances sanitaires du début de 2020…Toujours est-il qu’une fois de plus, les voix des poètes sont là pour nous faire adhérer au réel et à l’essentiel. C’est une forme ultime de courage que de prendre le contre-pied des modes et des injonctions. En lisant cette suite de textes qui courent sur 80 pages, chacun trouvera un écho à ses propres interrogations. « Demain sera de rêve ou de cauchemar, ou de rêve et de cauchemar » se hasarde Béatrice Gaudy. Et Guy Chaty de répondre : « Demain, je n’y suis jamais allé / je ne connais pas ce pays-là ». De nombreux poèmes mériteraient d’être cités comme ceux d’A. Bouchara, P.Maltaverne, J. Persini, L. Wasselin ou B. Domenech. Ce beau numéro s’achève par une trentaine de pages en notes de lectures et approches critiques.
Daniel BIRNBAUM : Le cercueil à deux places (Gros Textes éd., 2019), 82 pages, 6 euros – Fontfourane 05380 Châteauroux-les-Alpes ou gros.textes@laposte.net
Avec un tel titre-repoussoir, on redouterait que ne s’éloignent les derniers lecteurs de poésie. Au contraire, il sera conseillé de feuilleter ce joli petit livre sous une couverture ornée d’un dessin, portrait d’une vieille dame. Après avoir lu l’exergue et la préface, on devine que les poèmes vont évoquer une grand-mère à forte personnalité. Ces instants volés à l’ordinaire d’un quotidien routinier sont ancrés dans une forte réalité qui va du marché de quartier à la visite au cimetière et de la terrasse des bistrots au bord de la rivière aux souvenirs vivants. Cela correspond « à des étapes de la vie / dont est passée depuis longtemps / la date de péremption », dans cette période trouble où « le futur diminue / le passé grandit ». Il faut attendre la fin du dernier poème pour saisir la portée du titre de ce livre teinté d’une douce mélancolie, élégant hommage à la vieillesse.