Lame de fond, Marlène Tissot, éditions La boucherie littéraire.
Marlène Tissot ne cherche pas l’effet. Elle écrit comme elle est. Alors quand elle perd un proche, elle écrit la dernière visite, les souvenirs d’enfance, le retour dans la maison quelques temps après. Simplement. Elle n’en fait pas des tonnes, elle nous laisse la place, nous fait même cadeau de ces mots que chacun peut faire sien. Ce n’est pas facile d’être aussi simple et généreuse, surtout pour dire la mort et ses parages. On retrouve dans ce livre la grâce particulière de l’auteure, sensible dans ses romans comme dans ses poèmes, augmentée cette fois d’un dévoilement sur les origines de cette grâce. Le pouvoir d’enchanter le monde qu’on lui connaît serait né avec ce monsieur au Petrol Hahn qui lui criait « Cours ma belle ! Nage dans le ciel ! ». Pas seulement un livre de deuil donc, aussi un livre sur écrire, « comme on souffle sur les braises ». Ecrire les souvenirs, en italique souvent, des petites touches à la Perec - et tant pis si c’est pas vrai : « j’invente des bonheurs à remâcher pour quand les jours ont mauvaise haleine » - et tant pis s’ils ne sont pas parfaits : « c’est ainsi que je veux me rappeler de toi. Avec chacun des fils dont ta peau d’homme était tissée, les rêches comme les soyeux ». Les souvenirs pour conserver l’essentiel, « même les plus grands tiennent facilement dans les poches du cœur ». Regarder en arrière pour mieux avancer : « je marche à reculons, à rebrousse-temps et j’ai enfin l’impression d’avancer dans la bonne direction ». Ecrire aussi l’après, les jours seule dans les lieux qu’il hantait. Sa présence dans le vent, dans le sourire de l’ami, « là quelque part ». Sa présence dans ce livre, sans grand discours sur les pouvoirs du langage. Une expérience : sentir le souffle d’un mort à travers les mots d’une autre. L’air de rien, Lame de fond nous soulève et rend grâce au pouvoir magique de lire-écrire.