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L’espère-lurette, chronique po&ique, par Jean Palomba (février 2022)

samedi 5 février 2022, par Roselyne Sibille

Catherine Bédarida : Les en-allées  ; préface d’Edith Azam (Editions les 17 muscles de la langue, 2021)

Une voix conte le périple des « en-allées » suivant les flèches et les courbes d’un poème d’une trentaine de pages. Elle pousse, propulse, module un chant multiplié en 12 séquences de vers libres commençant chacune par une majuscule en caractère onctueux. Ces en-allées sont une figure sauvage et féminine d’apparitions dans la voix charnelle qu’on lit et entend et qui touche. Depuis leur native léthargie jusqu’à leur renaissance, « les en-allées » ont une vertu cathartique et produisent des actions libératrices pour elles-mêmes et autrui. Elles progressent en prodiguant de par les pages et les contrées le soin par l’action poétique.
Un indice de cette prodigalité du poème-livre de Catherine Bédarida est à découvrir d’emblée dans la préface d’Edith Azam : une invite au voyage de ces en-allées – une lecture à venir comme une promesse qui rend joyeux et toute gorgée d’utopies bienfaisantes.
En compagnie de ces échappées belles, ces « en-allées », donc, on se plaît à imaginer d’autres apparitions et poussés par l’énergie de ce verbe haut et frémissant de Catherine Bédarida, arriveraient, dans l’esprit fait corps, « avançant en rang compact, un incendie dans chaque main, poitrine criblée d’éclats de soleil et torse constellé d’étoiles » les Pieds Nickelés de Louis Forton dans la voix d’Arthur H. Amants légers et figures suggestives de l’iconoclasme allègre et de l’espiègle contestation de l’ordre social au début du siècle 20.
Ces « en-allées » aux sillages si fertiles qu’ils pourraient aussi bien entrer en résonance avec les cordes vocales de l’amant passionnément balbutiant, celui « né de la né de la néga ga de la néga, de la négation passion gra cra, crachez cra crachez sur vos nations cra, de la neige il est il est né, passionné né il est né, à la nage à la rage il, est né à la né à la nécronage cra rage il, il est né de la né de la néga, néga ga cra crachez de la né, de la ga pas néga négation passion, passionné nez pasionném je, je t’ai je t’aime je » (...)
Car, oui, c’est un « je t’aime » à la Gherasim Luca qu’elles inventent et sèment, amour en mouvement né de la neige tombée sur des terres assombries, amour reprenant souffle, renaissant du feu et du vent. Une aventure surfant sur les quatre éléments et conjuguée aux imparfait, passé composé, conditionnel, futur, futur antérieur, temps et modes bouleversés au sein d’un poème luminescent, toujours au profit d’un présent renouvelé.
A pourtant pré-exister aux enjambées de cette féminine expédition des « en-allées », à leur géante équipée, un poème faussement triste, vital appel d’air à la solidarité humaine : la voix de Paul Celan, pétrie d’un fragile espoir qui, semble-t-il, a nourri par ricochets et répons le texte de Catherine Bédarida :
Les larmes.
Les larmes dans l’œil frère.
L’une d’elles est restée suspendue, a grossi.
Nous habitons dedans.
Respire, pour
qu’elle se détache.

A la lueur de ce poème-source, l’on jurerait que « les en-allées », sortant de cette larme détachée, sont une tentative de rassasier notre « besoin de consolation ». Mais une consolation de « candeur ardente » et qui voudrait durer bien plus que « le temps d’un souffle de vent dans la cime d’un arbre ». Car « l’humanité a besoin d’une consolation qui illumine » (Stig Dagerman).

Enfin, il est aisé de voir paraître une affinité élective entre les « en-allées » de Catherine Bédarida et le « Rouge peau rouge » de Florence Saint-Roch (Castor Astral, 2021). Deux textes où une pensée trouve sa force vive, un creuset où vivre en pleine santé là où ça nage dans le flûté lancinant des rivières, les herbes et les bruissements. Deux voix de femmes loin des meurtres, debout sur les tertres, poussées, en allées vers une terre enciellée de langues neuves. Où lancer une action conquérante et joyeuse - expression d’un désir puissant d’affranchissement par le verbe - est une réponse de fraternité compassionnelle à toutes les femmes - oiselles migratrices et les hommes-oiseaux migrateurs que tous nous sommes, avons été ou serons, tous mis en danger par la peste brune et tous ces nationalismes capitalistiques exacerbés à la surface du globe et même au ciel. Amen.

Extraits

Feu lave pierres
avec ses incandescences
le volcan a soufflé les jeunes filles
les a portées loin

elles
s’en sont allées
guidées par la pierre violette
nouvelles terres
nouvelles aires

les en-allées marchent pieds nus
vont ensemble
points cardinaux dessinés dans la main
pôles magnétiques vibrant sous la peau

(...)

paysage avalé par la haie des jambes collées pressées
passées sans laisser trace sur le sol

(…)

nulle guide ni cheffe à suivre
un chant naît dans des bouches
se propage
se transforme
des mots naissent dans des langues
se partagent
se transposent
des rythmes intérieurs se composent
en polyphonies qui tintent ensemble

constellation mouvante de joues pourpres
et d’étreintes violettes
elles marchent
derrière elles
elles laissent
leurs langues animées
leurs paroles délivrances
suspendues au ciel
lisibles dans l’air

elles ne se retournent pas.

(Page réalisée grâce à la complicité de Roselyne Sibille)


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