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Hep ! Lectures fraîches ! (novembre 2020)

samedi 31 octobre 2020, par Cécile Guivarch

barque pierre, Frédérique de Carvalho, éditions isabelle sauvage

En résidence à l’ancienne poste de Plounéour-Ménez, Frédérique de Carvalho marche-écrit dans les monts d’Arrée et laisse « la langue déporte(r) le sujet ». Elle écrit la nature qui l’entoure et celle qui (re)surgit, par le mythe d’Orphée et Eurydice, par le corps, par le désir de pénétrer toujours un peu plus le paysage, de cheminer aux côtés des bêtes. Petit à petit se dessine une autre possibilité : convoquer et faire jaillir la part d’ombre restée enserrée en soi. Les monts d’Arrée, où « l’océan c’est / la lande », est le cadre pour écrire la mémoire, celle-ci devenant corps dans le paysage, en présence des bêtes comme peuple intérieur.

le corps à corps / ne sait d’où ni quoi // un signe quelque fois / le signe chaque fois / rappelle / le / paysage

Les vieilles pierres de granit ouvrent le livre suggérant la pierre tombale, mais aussi la maladie, « le lit du corps ». Invitent à épouser les formes du paysage, comme s’il s’agissait d’écrire en traversée avec le corps - avec le paysage pour corps. Parvenir / revenir sur ces chemins de mémoire, se dénuder à la manière de la lande (« on la dit / dénudée »). Le paysage personnifié. Le mythe d’Eurydice et Orphée en toile de fond.

S’interroger sur la force d’un paysage advenu et/ou qui pourrait advenir « ici comme / ailleurs ». Le ciel est partout le même, et pourtant... Même si le corps se souvient venir d’une terre, « la terre de personne », « le corps / multiplié jusqu’à / l’exil », il est possible de se trouver ici et ailleurs. Le dehors, le dedans, sont sans cesse évoqués conjointement à la notion du temps : « futur antérieur », « présent de l’indicatif ». Dans un « mélange de temps dans l’espace », les peurs de l’enfance restent à vaincre. « La voix nouée en fond de gorge ». Peut-être s’agit-il d’une « histoire parmi les / histoires celle-là comme / une autre », avec pour contenant un sentiment qui s’approche de la honte et pourrait déplacer le ciel et même le déchirer. Toujours est-il que quelque chose est à dénouer en faisant fi « du trou dans la mémoire ». Tout ce qui se passe dans le corps sans que l’on sache exactement de quoi il peut s’agir. La marche, ouvrir le temps, l’espace, le désir. « Refaire le monde », « remonter la mère », écrire que « le désir n’est nulle part sous l’œil nu ».

elle dit si maintenant la mère se détache / alors quoi / le désir

Les peurs transmises par la mère, difficiles à délier. La mère à aimer autant qu’à haïr, le mystère autant que la mythologie. Lorsque les nœuds se défont, cela est invisible en apparence mais déborde, rend le corps au paysage, le paysage au corps. Il est alors possible de regarder devant.

Le pouvoir de l’écriture de Frédérique de Carvalho se joue à partir de ce qui se dénoue et chemine vers la joie dans une traversée de la nature, la lande et la proximité des bêtes. « Elle dit » revient en leitmotiv, comme une voix s’imposant, dans un hommage à la langue, le mot, la poésie. L’écriture foisonne. Fuse. Par petits blocs et se répand sur cette terre d’écriture qui est celle de Frédérique de Carvalho. Et s’il fallait choisir dans barque pierre une citation pour résumer ce recueil essentiel et profond, je crois que ce serait celle-ci :
L’écriture l’espace le désir // elle dit l’écriture où vivre.


didascalie         la silhouette du désir apparaît en contre-jour

                            la silhouette du désir cherche à
                            toucher
                            la peau
                            c’est un toucher sensible qu’on ne sait quand
                            le ciel
                            se dénoue quand le temps et
                            l’espace sont convoqués dans l’instant
                            ici même
                            (toute peur déportée)
                            toute crue
                            le désir
                            le fleuve se noie dans
                            la mer tout oubli le désir
                            la silhouette obscène quitte
                            le lit
                            l’enfance se déshabille
                            la peau remplace la peur Eurydice toujours
                            morte et le regard se
                            perd

quelque chose qui illumine, Georges Chich, jacques andré éditeur

Georges Chich observe chaque détail sur les visages, les mains, les corps. Il s’en saisit et traduit le moindre mouvement par de la poésie. Un sourire, un cri, un souffle, ce qui se perçoit et ne se perçoit pas, sont passés en revue comme une lecture des corps.

Je guette la prochaine rupture / Et si c’était un sourire qui ouvrait / silencieusement le jour
La peau / Mais est-ce une peau ? / Une absence de quelque chose m’émeut

Dans l’observation, « l’habituation » d’un visage devient familier, comme l’écriture de Georges Chich que je découvre et à laquelle je m’habitue au bout de quelques poèmes. Le poète est en quête de l’imperceptible, bien souvent dans « un tout petit mouvement / Indécelable ». Mais aussi du rien, de ce qui est en apparence immobile et dans lequel on sait « qu’il y a eu quelque chose », une émotion. L’écriture est sensuelle, chemine du regard à la bouche, des mains au corps. Georges Chich est dans l’élan d’écrire ce qui circule dans les corps, la mémoire, les sensations qui s’impriment, les vibrations qui les animent. Les mains sont « le passage et le chemin ». Le nez est la « voie interne vers la matière essentielle / et la vie ». « L’imperceptible est près des lèvres ». Tout cela se présente comme une quête de la joie. Le visage occupe une place importante dans le recueil, partie de nous sur lequel rencontrer le plus souvent « quelque chose qui illumine », ce qui relie au reste du corps. Quelque chose qui illumine est un livre sur l’étonnement de voir se dégager tant d’émotions en chaque partie du corps. C’est un recueil qui évoque émerveillement et allégresse.

 

Ce que la main cherche
Le visage le cherche aussi
Et les yeux tendus dans le regard concentré
Et la pensée entièrement mobilisée
Et le corps particulièrement tenu dans toute sa musculature
Et au-delà la volonté
Le désir peut-être
Quelque chose qui fait que la main va trouver

Femme broussaille, la très vivante, Mélissa Fries / Patricia Cottron-Daubigné, 2Rives, Les lieux dits Editions

Les lieux dits Editions avec sa collection 2Rives proposent de véritables collaborations entre artistes et poètes. Femme broussaille, la très vivante rassemble un superbe duo féminin, un livre éclatant. Les dessins-collages de Mélissa Fries sont incroyables. Ils sont inspirés aussi bien de gravures du XVème que du surréalisme et de la culture populaire, mais aussi d’autres horizons, notamment certains dessins me rappellent les couleurs de l’Afrique. Ces dessins dégagent une certaine lumière, comme une série de vitraux, parfois dentelles, parfois lune ou oiseaux masqués. Le corps, la femme y occupent une place centrale. Beaucoup d’audace et de féminité se dégage de ces dessins. L’idée de l’éditeur de placer les œuvres avant le texte, et non pas en regard est excellente. Cela permet d’y entrer par les œuvres picturales pour découvrir ensuite le texte, rapprocher la langue du dessin.

Si on en vient au texte de Patricia Cottron-Daubigné. Le titre. Femme broussaille, la très vivante - qui a peut-être été choisi d’un commun accord par l’artiste et la poète - réveille la part de femme que je suis. Mais réveille aussi toutes les femmes, la Femme depuis l’Origine : « nous / mères et filles / génitrices d’oiseaux ». Vous l’aurez deviné, ce livre rend hommage aux femmes, à ce qu’elles endurent, ont dû endurer - discriminations, douleurs, enfantement - en silence - et fortes face aux hommes. « Trou de sang pour le cri / silencieux / les cieux ont coupé / ma tête / les hommes l’enfouissent l’écrasent ». Ces femmes parfois prises pour des sorcières, des ensorceleuses, ont dû avancer dans un élan de solidarité entre elles, tissant ces liens qui les unissent. Finalement, est-ce qu’il ne faudrait pas casser le mythe de la femme enserrée, qu’elle se libère jusqu’à manger avec les doigts, jusqu’à ce qu’elle ait dans la bouche un sexe d’homme découpé.

S’engage une danse - « notre danse » - « notre nom ». S’engage l’écriture des femmes, leurs seins, ces « femmes plus vastes gorgées de ciel », ces Venus. S’engage le chant - « ô belle fente étirée / des corps aimés des femmes / une en toutes ». Revenir à une sorte d’Eden, à la femme originelle. Patricia Cottron-Daubigné écrit le coffret secret de la femme. Celle qui pousse petits cris si doigts s’y posent comme archet / accords pincés. Ainsi « princesse de la nudité du désir », écriture toute en sensualité, en éros. Ouvrir et fermer le coffret secret pour écrire le désir et le plaisir. Ces « éclats de sexe / qui ouvrent la lumière » pour sauver de « l’envahissement d’avant / siècles sur siècles / hommes sur hommes / familles sur familles / ô le petit étouffoir / et le silence comme règle / avec le sang ». Il a fallu pendant des siècles se taire, rester dans l’ombre, étouffer sang et cris, il semble maintenant temps de se libérer, de remercier l’horizon de couler en soi, de « découp(er) les dentelles / pour aérer le jour ». Patricia Cottron-Daubigné et Mélissa Fries nous invitent à cela : ouvrir les corps. Décider le plaisir.

 

Je suis du temps nocturne
déversé dans le jour
et des lunes rousses
je gratte la terre avec mes mains
elle ensemence mes bras
mes seins mon ventre
et je nais feuillage
arbre enraciné dans les torrents
sauvages chants d’oiseaux
et fouillis de fruits rouges
je délaisse le ciel
des dieux je délaisse
la fabrique
des hommes

 

 

fendue
du haut des cuisses
jusqu’aux yeux
fendue en votre entier
la faille
ah ! chère
à forger le désir

Variations-prairie suivi de Mille Etangs / Lettre à Adèle / Colomban, Françoise Ascal, peintures de Pascal Geyre, éditions TIPAZA

Le regard s’ouvrira sur le vaste vert et ses déclinaisons sans vouloir les fixer
Une fête de l’être qui n’a d’égal que l’oubli de soi

Feuilleter le dernier livre de Françoise Ascal et y lire ces invitations dès les premières pages de la première partie « Variations-prairie ». Suivre pas à pas cet émerveillement face à la nature. L’observer, se fondre en elle jusque dans ses balancements, ses frémissements. Etre au plus proche d’elle, de l’être. Se laisser prendre par les sensations trouvées dans la nature, comme fermer les yeux pour écouter bruire le sapin. L’écriture s’installe et appelle la méditation. Le lecteur se laisse faire par la magie de ce texte qui éveille les sens.

« Les pensées vont et viennent »
« Je ne suis pas celle que je parais »
« J’ignore le nom de cette matière nouvelle, mais je sais que les digitales y fleurissent en liberté »
« Une naissance se prépare »
« Ecouter comme prier / sans adresse sans demande sans attente »
« Je suis pleinement vivante »

Ces fragments piochés au fil de la lecture, ouvrent sur une quête, une communion avec la nature. La peau est proche de fusionner avec l’herbe, la prairie ouvre sur un espace intime. Et parfois « un souvenir de vie antérieure affleure », la poète n’ignore pas que les hommes se déchirent, font couler le sang, mais s’interroge. Faut-il en être coupable ou bien se considérer justement comme une « jardinière / d’un carré de paix ». Ecrire avec la prairie est également écrire sur le temps et les saisons ? Avec l’automne, la prairie semble s’éloigner même si elle demeure - ailleurs. Françoise Ascal évoque le fait que l’homme se laisse trop aller aux tourments, au désespoir mais qu’il devrait au contraire apprendre son travail d’homme, à l’instar de la prairie.

Cette communion avec la nature se poursuit dans la deuxième partie du livre « Mille Etangs » qui évoque l’enfant qui pour oublier les angoisses, « le fracas de combats anciens », a gardé des sensations comme « le mot source ». Ce mot qui ramène aux origines, à la matière archaïque. Dans cette deuxième partie, l’écriture se déploie en prose. On y trouve de l’intime, des hommes, des femmes, de la vie. On y trouve la transformation - le Tao : « face à l’invisible changé en visible » [...] « tu ne sais rien du Tao » [...] « le vieux rose est entré dans tes yeux » [...] « Personne ne peut poser des mots définitifs sur ce qui change d’une heure à l’autre, d’une lumière à l’autre, d’un œil à l’autre ».

Pour poursuivre, Françoise Ascal, dans la troisième partie « Lettre à Adèle », évoque une figure de son enfance qui continue de la hanter : « Tu surgis du fond de l’enfance et plus encore du pays / de l’avant-naître ». Travail de forage, autant que de généalogie et géologie, Françoise Ascal en médium entend encore le bourdonnement qui a accompagné la vie d’Adèle - « ma douce empoisonneuse ». Une personne qu’elle a connue vieille femme déjà sourde et muette dans son fauteuil - en attente de mourir. La poète s’adresse à elle par le tutoiement : « Je ne sais pas qui tu es. Mais j’existe à tes côtés. / Là plus qu’ailleurs ». Quelque chose est puisant dans la poésie de Françoise Ascal, comme aimanté à la vie des ancêtres qui reviennent de livres en livres, comme une capacité de pouvoir dialoguer avec eux, de les faire renaître et de ne pas oublier d’où nous venons.

Pour clore l’ouvrage, après la nature, le Tao et la renaissance de l’ancêtre, vient le lieu mais aussi la mémoire d’un grand prieur voyageur. « Colomban ». Une chapelle ayant abrité Saint Colomban. Une chapelle où trouver « le silence et l’apaisement ». Saint Colomban était attaché à l’écriture et à la poésie autant qu’à la prière. Colomban était marcheur nous conte Françoise Ascal. Après avoir beaucoup voyagé, il a choisi de s’installer à cet endroit, proche des racines de la poète, Mille Etangs. Pourquoi dans ce lieu plus que dans un autre ? Parce que « l’air vibre différemment, l’énergie circule et mon corps se fait poreux ». Ce lieu, s’y rendre pour y trouver encore planant l’esprit de Colomban qui pourrait peut-être « m’aider à comprendre de quoi est faite cette terre qui me constitue » , écrit Françoise Ascal.

Ces quatre parties indépendantes les unes des autres, se relient par ce qui fonde l’écriture puissamment intime de Françoise Ascal. Aussi bien quête de l’origine, de cette matière archaïque qui nous constitue que de l’ouverture du soi au monde. Livre qui me touche en bien des points. Livre qui j’espère saura vous rencontrer également.

 

On peut se languir d’une prairie comme de la mer
manquer de sève d’iode ou d’embruns
avoir le souffle court
à l’étroit sous les côtes
appeler les graminées à l’aide
embarquer sur leurs ondulations
désirer le vent convoquer les buses les geais
les hoche-queues.
On peut entrer dans les eaux vertes
percevoir l’infini grésillement des insectes
le roulis de la rivière
le ciel d’un bleu laiteux.
Dans la lumière se défaire des loques du jour
aborder la splendeur du simple.
Couteau luisant
entre les herbes et l’oubli.

 

 

Mémoire ! Un mot inconnu, un mot adulte, vide de sens pour une petite fille accroupie au bord d’un étang, talons plantés dans le dernier cercle avant l’oubli, face à l’autre rive désirable, face au miroitement infatigable des choses sans nom.
L’enfant ouvre ses mains, caresse la surface de l’eau, elle est encore vierge du temps, de son passage, de ses traces, ses pieds ignorent qu’ils foulent un sous-sol d’archives vivantes qui racontent l’histoire de la terre. Histoire qui n’en finit pas, avec ses grains de pollen qui ont chu ici même, il y a dix mille ans, et reposent intacts dix mille ans plus tard, endormis dans les couches de marne comme ces fourmis fossilisées dans la transparence d’une goutte d’ambre, avec ses sphaignes flottantes qui se renouvellent par le sommet tandis que leurs racines fanent et se décomposent en produisant une tourbe noire, cive, affairée à ensevelir les couches plus anciennes - celles qui, lentement au cours des siècles, ont fini par devenir blondes.
Bientôt elle devinera que son âme est pareille. Noire et blonde. Corps esprit temps matière espace confondus, retenant dans leurs mailles des îlots de mémoire antérieure.

Ô toi qui le savais, Jean-Claude Martin, préface James Sacré, Le Merle moqueur

Nourri de nos pères, Nerval, Ronsard, Lamartine ou encore Baudelaire (qui figure en exergue), Jean-Claude Martin « reprend dans son livre le motif de l’amour ou du désir impossible » (comme l’écrit James Sacré dans la préface). Ce thème de l’amour remis à la sauce poésie contemporaine est finalement indémodable, c’est du moins ce que démontre Jean-Claude Martin dans cette série de poèmes en prose. Petits textes sur le désir mêlés de la « mélancolie des souvenirs enfouis ». Désir à la vue de filles sur les plages, leur jolie silhouette, leurs cuisses dans l’herbe ou dans les automobiles. Tout est désir et rêve - encore faudrait-il y toucher à ces filles ! Chacune vient à sa manière nourrir l’imaginaire et quelques lignes, car « seuls les rêves (ou les souvenirs) sont sans fin ». Jean-Claude Martin sensible au temps qui passe évoque par exemple « la grosse femme [qui] a eu vingt ans il y a longtemps ». Mais également ses souvenirs de jeunesse avec : « les fesses de madame T. m’encombraient l’esprit plus que de raison ». Ce texte convoque le pouvoir de la description et de l’image : « on eût dit les deux moitiés d’une pomme de Paradis ». Au delà des corps rassemblés ici en série de petits portraits, au delà du désir que chacun suscite, on sent dans ces textes la vie : ses petits et gros soucis, les solitudes, les bonheurs, les ruptures.

Le livre est composé de plusieurs parties où les titres sont des mots commençant par les mêmes lettres : « passantes », « passages », « passions ». Succèdent aux femmes qui n’ont fait que passer, l’amour pour une femme puis la religion et la poésie. Une définition du dormir ensemble : « Dormir ensemble. Pas seulement mélanger nos corps en un lit. Mais partir ensemble dans un même rêve ». Ne faudrait-il pas par ailleurs s’adresser au Seigneur avec humour, lui adresser par exemple un coup de téléphone, une lettre, un email. Lui demander si cela ne fait pas mal d’avoir des clous dans les mains et les pieds. Lui poser des questions, s’interroger sur la valeur d’un tel sacrifice. Toujours est-il que d’aller à l’église permet d’y rencontrer de belles filles - si vous n’aviez pas encore compris la raison de la présence de la religion dans un livre qui avait débuté en reluquant de belles minettes. Finalement, la poésie n’est-elle pas une belle fille et pourquoi pas pour Jean-Claude Martin, « la plus belle, dénudée, et la seule que j’ai aimée ».

 

Il y a de jolies cuisses dans les automobiles aujourd’hui. C’est une façon partielle de voir le monde. Je ne sais ce que ces jambes-là ont dans l’esprit. Mais la beauté est toujours rassurante à regarder. Bref, une belle journée. Charmantes dames qui s’arrêtent, s’éloignent. J’aime la mode des cabriolets. Ils en dévoilent davantage. Vont vers l’été. Tant de tentations entr’aperçues laissent une étrange amertume au crépuscule. Le monde fut poussière entre vos doigts. Si vous ne roulez pas vous-même vers l’horizon, le destin vous l’aurez vu passer !

 

Près de la goutte d’eau sous une pluie drue, Serge Núñez Tolin, Rougerie

Enthousiasme et lumière se dégagent de ce livre. Une lecture qui me rencontre profondément. La marche et l’étonnement d’être là, l’émerveillement face à la nature. Cet étonnement qui est « une joie sans mot ». Celle qui fait « sentir que je suis », en joie de vivre simplement chaque jour, d’être au monde et de respirer naturellement. Quand de la marche on n’ attend rien, et que tout nous est donné alors. Le bonheur d’un instant qui passe. Et les mots, leur possibilité d’être nus, au plus près du réel. Nous sommes vivants et ce texte nous le rappelle.

On pourrait croire à la « banalité » d’un paysage, tout autant à celle de certains gestes du quotidien, tels le tiroir passant dans ses glissières, les doigts posés sur une épaule. « Poser les mots » permet de se rapprocher des choses, de se mettre en marche, de retrouver le monde dans son corps.

« En moi l’incendie du sens »,
« la fenêtre je l’ouvre dans ma respiration »,
« tirer sa vertu d’un caillou, du paysage, devenir les pas qui le parcourent »,
« cela m’empoigne de nulle part ».

Autant de petites pépites qui seraient comme des évidences, à condition de bien vouloir leur apporter une attention particulière. Au dehors, rencontrer cette force qui nous accompagne, nous invite à percevoir le mystère de se sentir en vie, en joie. Les cloches résonnent comme un gong invitant à se tenir dans « le balancement du son ». Tant de fois les pas empruntent le même chemin pour un « paysage recommencé où l’on revient ». Comme le coquelicot, sa fragilité et sa force, le paysage « soutient le marcheur ». Au fil de la marche, le temps passe et aussi les saisons. « Les mots rejoignent ce qu’ils désignent », ils donnent la possibilité d’être nus au plus près du réel, d’une vérité au plus pur. Et peut-être pourrions nous garder seulement cette idée en tête, que « nous portons le jour comme il nous illumine ». Il s’agit de saisir « le bonheur à l’instant qu’il passe ». Nous passons, nous laissons une trace, notre présence, nos respirations sont à saisir comme cette lumière, le mystère, le bonheur d’être là. Livre à lire de toute urgence. Vous vous sentirez bien.

 

Il n’y a pas de point fixe dans l’universel écoulement.
Nous sommes pris dans cette pulsation,
nous battons avec. Nous en sommes.

Et rien que nous ne sommes pas tout le jour.
Nous portons le jour comme il nous illumine.
Un ciel où il y a des déchirures. Un ciel où tout recommence.

Ni insignifiants ni importants. C’est une légèreté
que je cherche ; elle serait dans l’air, entre les
deux, où je viendrais à la fenêtre.

 

 

Le jour se lève, la nuit à peine retirée. Il reste
d’elle une profondeur que la lumière ne
parviendra pas à combler, une profondeur
de la nuit qui durera tout le jour. Elle veille à
son retour, au soir propice.

Cette lenteur des choses à ne pas se retirer.

Le retrait jamais complet vers le vide, la marée
basse qui se découvre jusqu’au point de la
remontée des eaux.

Mais ce point de la remontée des choses est le
moment d’une fragilité intense, presque une
disparition.

Cécile Guivarch


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