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Lus et approuvés (octobre 2015)

mercredi 30 septembre 2015, par Valérie Canat de Chizy

Habiba Djahnine, Fragments de la maison. Éditions Bruno Doucey, 2015

Habiba Djahnine nous parle de là où elle est, là où elle vit : l’Algérie. Un pays qui a connu les guerres civiles. Fragments de la maison parle d’une terre en reconstruction, d’une vie tournée vers l’avenir, dans le temps de l’après-guerre. La renaissance passe ici par la beauté et l’amour. Dans la lenteur, les sens sont en expansion, le temps s’étire. À chaque pas, le chemin s’allonge, ce chemin de la tendresse en devenir. La maison, en construction, symbolise la sécurité retrouvée, et la poésie, ce foyer auprès duquel on vient se ressourcer : Je construirai les fragments de la maison / Pour étaler des feuilles de poésie.

Face aux doutes, face aux questionnements et aux incertitudes, la poésie est le seul port possible. Car, même si la guerre est terminée, il faut se réhabituer à vivre. Peut-on effacer le passé ?

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Que signifie l’oubli, la mémoire, l’amnésie, le souvenir
quand la guerre vient effacer la moindre trace,
le moindre pas, le moindre recommencement ?

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La guerre a laissé son empreinte dans les corps et dans les âmes. Ainsi la poésie est-elle cette oasis où il est possible de s’abreuver. Habiba Djahnine se laisse toucher par certains êtres croisés sur son chemin. Tel cet anachorète au visage parsemé de rides, autant de sillons de son âme, qui lui inspire cette réflexion :

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Les plus belles histoires
Sont celles où les êtres s’aiment dans le dénuement
Et les plus cruelles
Sont celles où les êtres se font la guerre dans l’opulence
.

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Rodrigue Lavallé, Quelqu’un peut-être. Éditions Créatures, 2015

De ce recueil, j’ai retenue une voix, revenue de loin. Une voix qui dit sans dire, qui cherche à défricher, enlever les gravats, pour dégager les contours de la figure d’une absente si peu connue, dont on comprend qu’il s’agit de la mère de l’auteur. Absente à elle-même, puisque

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un jour une faille un trottoir
c’était devant un magasin de chaussures
non loin de la place et du boulanger
du bazar et de la maison
non loin de tout

elle eut la passion d’y tomber
dans ce trou

comme si d’y tomber

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De ce gouffre dans laquelle « Elle » est tombée, Rodrigue Lavallé tente de saisir les aspérités, comme s’il y était lui-même tombé, elle l’entraînant dans sa chute, et qu’il tentait d’en sortir, trouvant une prise pour s’accrocher, se hissant à la lumière du jour. « Elle », cette absente sans aspérités, Rodrigue Lavallé voudrait se convaincre qu’elle fut Quelqu’un peut-être. La revoir en pensée, revenir à des bribes d’enfance, mais cela n’est-il pas s’aventurer toujours plus en avant vers le vide ?

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des courants d’air entre les membres
alors

on se réchauffe avec
ce qui reste
la nuit

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Vide d’elle à lui, vide de l’enfant livré à lui-même, est-ce dénouer l’absence que de l’écrire ? Ce livre est une tentative pour donner forme, vie, au visage de celle qui, sa vie durant, demeura à la marge du monde tangible.

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Nicole Laurent-Catrice, Corps perdu. L’Arbre à paroles, 2014

Ce sont des variations autour du corps. Des textes forts explorent les tréfonds de la chair et de l’âme, de la solitude, du désir et de la folie. L’entrée en matière se fait par un long poème sur la passion. nos corps cousus aux ourlets du plaisir. S’ensuit une dislocation, avec une projection sur l’être désiré, le prince aux gestes de cannelle. Toute une partie du recueil aborde des portraits intimes de femmes vouées à la solitude, au désir, à la peur. Le corps porte les bleus laissés par la vie. Elle disait : Mon corps / tombe en lambeaux. Expériences intérieures qu’il faut avoir vécues pour être capable de les retranscrire. Une longue partie aborde la mort, figurée par une véritable danse macabre d’os. Les os sont ce qui reste lorsque la chair s’est décomposée. Il y a les os des ancêtres, métaphores du poids de la mémoire. Les os des hommes et femmes préhistoriques, traces de leur passage sur terre, éléments de connaissance du passé. L’os au confluent / du vivant / et de la pierre. Ne pas oublier que ces squelettes que nous pouvons voir dans les musées archéologiques portaient la vie autrefois. Ils eurent la douceur d’une chair, ils ont tremblé de désir / dansé au soleil. Pourtant, aujourd’hui, tout cela est dénigré.

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Ils viennent te voir au musée
ils regardent ton sourire atroce
et ils passent.
Ils lisent une étiquette,
un nom de lieu, une date
et ils passent.
Sans savoir que tes os
Eurent la douceur d’une chair
que tu as tremblé de désir
dansé le soleil.
Maintenant ils viennent te voir
comme un objet
de plastique.

Valérie Canat de Chizy


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