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Instantanés Clara Regy, Juillet 2021

vendredi 2 juillet 2021, par Cécile Guivarch

Guillaume Decourt, A 80 km de Monterey, Éditions Aethalidès, Collection FREAKS, (2021).

J’avais déjà écrit quelques mots sur un ouvrage de Guillaume Decourt, paru aux Éditions Lanskine en 2015 : Les heures grecques , j’en avais alors, souligné la « grâce », je m’autorise à l’évoquer encore !
Une grâce parfois surannée dans l’expression, le premier quatrain commence ainsi, par une jolie forme impersonnelle :

1 .LÉGÈREMENT
Il me souvient ce matin du casino
de Deauville j’y perdis
tout mon salaire en une nuit
à la roulette anglaise

Une forme impersonnelle qui renvoie à un événement peu flatteur pour le narrateur : « j’y perdis tout mon salaire », cette alliance entre une narration vive, imagée, imaginée et cette écriture au cordeau nous ramènera subtilement à la poésie tout au long du recueil.
On notera aussi une petite pincée d’humour, d’autodérision offrant alors à ce ensemble de 44 textes (de 4 quatrains chacun ) un goût particulier dont la nostalgie n’est cependant pas absente …Nostalgie cachée dans la répétition peut-être lassitude ou ennui ?
On pourrait plus justement parler d’une poésie « douce-amère ».

21 .HISTOIRE
De quelle couleur
était la couleur de sa robe ?
orange était la couleur de sa robe
la couleur de sa robe était orange

Deux strophes enfermées entre ce quatrain et son jumeau, comptine pour rire ou étouffement ? Difficile de poser des interprétations sans appel, c’est un peu cela aussi la poésie, non ?

12 .DE COULEUR SOMBRE
L’heure du départ approche
je suis mauvais amant qui ne fais
pas l’amour quand il est triste
mais je ne suis pas souvent triste

Nous voici rassurés ! Nous sourions nous laissant glisser dans ce voyage, lieux, mots événements, nous transportent, on ne sait pas toujours sur quel rafiot, paquebot, yacht nous nous sommes embarqués, il y a des gens avec des noms qui sonnent, l’aventure, la liberté et parfois aussi peut-être sur un rivage, la famille et beaucoup de … femmes.

34 .STEPPE
Je parle mais ce n’est pas ma voix que j’entends
c’est celle de ma mère de mon père
de ma sœur d’une que j’aimais
et que je trompais avec toutes les autres

Je reviens à la grâce qui sauve des images plus sombres.
Je souligne le rythme qui ne fait pas chavirer les embarcations parfois périlleuses.
Je reviens d’un voyage mais n’oublie pas le dernier vers :
« j’apprenais que tous les faussaires sont sincères »
et pour cette remarque, ce jeu de mots (juego de palabras), je vous ferai « grâce » du précis de versification, vous dirai alors qu’il m’enchante et surtout, surtout, je ne vois pas de point final !

Germain ROEZ, DANS LA PAROI DE VERRE, Éditions Les Lieux-Dits collection les parallèles croisées, (2021).

Certains titres, peuvent se montrer, comment dire, « transparents », je sais que l’on me pardonnera ce trait d’humour, certains rapprochements par analogies sonores égaient ce texte à maintes reprises...

Ce passage m’a particulièrement touchée, non que je fasse une véritable projection, mais la mise à l’épreuve du temps est révélée en des termes puissants :

Sidération
J’attends que mon bras me revienne
que j’en ai l’usage
Cette sensation inquiétante de ce bras qui s’absente
J’attends
qu’il me redonne le tracé souple ou chaotique ou tremblant

des lignes en fuite

J’attends

Le bras est le réel sidéré

Le texte s’ouvre sur l’abandon du corps, sa désobéissance, et toute la lucidité qui perdure, nous rendant témoin « Immobile », -titre du premier « mouvement » de ce recueil- !

Mais le poète va plus loin que la simple désespérance de se sentir vieillir, il y entraîne le monde qu’il voit se faire, ou plutôt se défaire. On fera bien évidemment le lien avec nos récentes épreuves de confinement, mais il n’aura que le simple rôle de révélateur (camera oscura) et permettra dans cet extrait de découvrir aussi les affinités de l’auteur avec ce qui fut nommé « analogies sonores » !

Ment sortir
Barrière virtuelle
Kilométrique
Barrière de l’âge
Barrière de l’étant
de l’étant de l’être
de l’étant donné […]
combiner liaison distance réinventer morse
morsure virtuelle
morts sûres
non ma chérie tu ne grifferas pas cette fois-ci…

Ce catalogue des interdits non dénué d’humour se multiplie dans l’écriture de cet opus.
Y chercher la couleur ? Elle est peut-être ici :

Avant déjà toujours
L’enfant et sa rage
craquent les écorces
fort
pour tonitruer la forêt
pour défaire
ces adultes qui ne comprennent
rien […]
Plus tard ces mots
rageurs aussi
pour une poésie qui martèle la langue...

Elle est sans doute ici...

Promenade éditée par Label Rives Collection créée par Dominique Masse et Gaël Mevel (2021).
www.labelrives.com

Une belle nouveauté, vous irez voir sur le site noté ci-dessus : des mots, du son et une image !
Le numéro 1 rassemble 5 artistes : François Salès, hautboïste, Bernard Ascal, poète, Gisèle Bienne, auteure et les 2 créateurs de cet ouvrage si particulier, le premier nommé est plasticien et le second, violoncelliste !

Le fil conducteur de ce livret : un son (bruit, musique…) s’est inscrit dans la tête (ou le cœur) des auteurs, un musicien improvise sur ce texte et un plasticien crée une œuvre originale !

Ce très joli recueil s’ouvre sur un texte de François Salès musicien qui a plus d’une corde à son arc, sa mémoire le renverra ici, vers un simple « Poc » :
« Un son terriblement banal...
Comme lorsqu’on marche sur un bois sec... »

« Poc » dont je ne dévoilerai pas le secret.

Pour Bernard Ascal, un extrait du recueil Le Cadre et le Clou, Éditions, rhubarbe, 2011
« Les roulements doivent évacuer sans faiblesse le silence, mais aussi pourchasser toute concurrence, y compris le bruissement du vent dans les brins d’herbe ».
Je vous en fais découvrir un petit passage …

Gisèle Bienne in La musique des langues  : « C’est parti, les voix, la circulation des voix,la ronde des voix, leur toboggan, voix fortes, douces, timides »... Des voix bien particulières dont je vous laisserai deviner la provenance...

Une belle improvisation au violoncelle de Gaël Mevel (gravée sur un CD, accompagnée d’un Q R code), une œuvre de Dominique Masse. Tout cela dans une grande délicatesse.

Bon vent à cette superbe collection Promenade, dont le numéro 2 est prévu pour Octobre !

Claudine Bohi, Un père, Éditions Les Lieux-Dits, Collection Cahier du Loup bleu, dessin de Sima Jahangirian

« Un père » sans entrer dans des considérations grammaticales un peu banales, je soulignerai tout simplement que ce titre s’ouvre sur un déterminant indéfini...
Je note cependant que je me suis engouffrée dans cette remarque essentielle.
Indéfini ce père ? Qui est ce père ?

« Il fut cet homme aux yeux si clairs
et si lointain qu’il s’effaçait lui-même »

« il tremblait dans sa vie
il avait peur dedans »

Immense questionnement d’une fille face à son père, questionnement sans réponse.
Ce texte possède une musicalité toute particulière, un peu comme une mélopée enchâssée d’un refrain possédant deux tonalités. Mélopée que l’on lit (écoute) d’une seule traite et que l’on relit...

L’adresse directe au père attend le texte 7, et ne réapparaîtra que très épisodiquement. Ce choix cache t-il la timidité (ou la peur) de l’enfant ou la pudeur de cette enfant devenue femme ?

« ta main est restée loin
ta main est restée vide

tu ne le voulais pas
tu ne le pouvais pas

mêler tes doigts aux miens
était trop difficiles »

« tu fus mon père là-pas-là
mon père présent absent

tu fus mon père
plein du vide de père

tu fus mon père

je me souviens que je te cherche »

Cette quête signe son intemporalité dans ce que je nomme refrain « je me souviens que je te cherche » et cette approche par le tutoiement fragile, seulement 2 fois...

« je m’embourbe sans traces
qu’est-ce qu’un père au juste

je me souviens que je le cherche ».

Je m’efface ici, lisez ce très beau texte émouvant, juste et sobre !
Je n’en dirai pas davantage...

Anthologie : Chant must go on, poèmes farandoles, Mots Nomades, éditions, (2021)

Une très jolie mise en page, choix des textes d’Angélique CONDOMINAS
Dessins et couverture d’Anne RIZZOLO
Maquettage de Dorine JOUBERT
www.motsnomades.fr/édition par ici pour re-découvrir le site...

Une anthologie née du désir de ne pas se perdre tout à fait, durant le confinement du 23 mars au 11 mai 2020 ! Il ne s’agit pas d’un recueil de textes mornes et désespérés, il s’agit d’un échange vivant, une proposition à l’image de l’Association Mots Nomades et Poids Plume dont vous avez pu découvrir le dynamisme dans le dernier Terre à Ciel !

Je ne sais quels textes choisir, c’est bien délicat dans une anthologie alors voici quelques titres de chapitres pour vous donner une « petite idée » de l’ensemble :
-C’est ici que commence le règne des objets
-Sel, piment et autres épices, plaisirs minuscules
-Le lune et la soleil !

Une anthologie pleine de vie(s) !

Estelle FENZY, Eldorado Lampedusa,
traductions Rahiba ALNASHI (arabe), Angèle PAOLI-Anna TAUZZI (italien),
photographies Patrick ZACHMANN, éditions pourquoi viens-tu si tard ?
Les droits seront reversés à la Cimade.

Eldorado Lampedusa, est arrivé très récemment dans ma boite aux lettres, je vous fais part de son existence, je tenais à saluer cet ouvrage à 8 mains et aussi son initiative louable ; ses droits sont reversés à la Cimade).
En voici un petit extrait : chapitre « Mères »

Et la souffrance                    E la sofferenza
de la perte                    della perdita

à présent                    ora
qu’elles sont loin                    che sono lontane

Je ne peux malheureusement pas relever un passage de la traduction de Rabiha ALNASHI.

Ce projet vous l’aurez compris est né de ce terrible naufrage du 3 octobre 2013,
les voix en diverses langues associées au poème d’Estelle Fenzy, les photographies, ce projet collectif donc, se montre généreux, ce qui est pour le moins « épatant « -terme un peu désuet-, mais c’est bien celui qui me semble convenir !

Clara Regy


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