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Hommage à Julien Bosc, par Isabelle Lévesque

vendredi 12 avril 2019, par Cécile Guivarch

Eté 2017,

dans la Creuse au phare du cousseix

photographie de Chantal Tanet

(avec l’autorisation de Tristan Hordé)

Julien Bosc est né en 1964 à Boulogne-Billancourt.
Il s’est d’abord intéressé au théâtre et à la mise en scène. En 1989, il quitte Paris pour s’installer dans la Creuse et se consacrer à l’écriture. Il publie son premier livre, l’Oculus, en 1992.
Il écrit également des scénarios pour des documentaires. C’est ainsi qu’en 1994 de jeunes réalisateurs l’invitent à les accompagner au Burkina Faso pour un reportage sur la musique des Lobi. Il se passionne alors pour l’ethnographie et pour les Lobi. En 1995, il reprend des études à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales où il obtient un DEA d’anthropologie sociale consacré à la sculpture lobi.Puis il prépare une thèse de doctorat. Reconnu comme spécialiste de l’art lobi du Burkina Faso, il est chargé par le Musée du Quai Branly d’organiser l’espace consacré à cet art.
En 2013 il fonde sa maison d’édition : « le phare du cousseix ».Il publie des plaquettes de poésie imprimées sur vergé par les presses typographiques du Moulin du Got (Saint-Léonard de Noblat). Il aura ainsi édité des poèmes d’Antoine Emaz, Edith de la Héronnière, Ludovic Degroote, Jacques Lèbre, Jacques Josse, Fabienne Courtade, Louis Dubost…
Il continue lui-même à écrire et publie des recueils de poésie chez divers éditeurs.
Julien Bosc est mort en septembre 2018.

À propos du livre Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa :

Pour nous raconter l’histoire sans fin d’un amour, Julien Bosc choisit la forme du poème : clôture et la suspension des vers. Tout sera esquissé dans l’amorce entière de promesse d’une histoire, tout sera espéré. Cela importe, si le vers se brise ou ne se résout pas, l’imaginaire (notre ferveur) poursuivra le chemin narratif et secret d’un mythe créé en le lisant.
L’origine est cousue de fil d’or : c’est l’amour et le mimosa qui sur le sein nu peut éclore :
                « D’où venez-vous ?
                D’un amour fou »

C’est le début du livre, le chant s’élève d’une mortelle apparence pour absoudre la mort, « survivant », il le peut, la voix célèbre « les mots du corps » déroulés d’une bobine dont le fil déroulé ne sera pas coupé puisque l’écrire l’a sauvé.
Il ne sera pas dit que s’achève : une scène (inscrite dans le titre) sera reproduite, motif ajournant la fin, conjurant le temps passé par la force d’une projection éternelle et consciente, « un long temps », « des siècles ». La peinture de couverture de Cécile Holdban ne reproduit pas cette scène, le poète a choisi l’espace ouvert brun et bleu d’un relief adouci qui confond le ciel et la terre. Miracle du livre, nous retrouvons Julien Bosc, phare disparu en mer, en lisant ses poèmes. Nous pouvons croire.

Isabelle Lévesque

Extraits de Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa, Julien Bosc, Éd. La tête à l’envers, 2019

Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa

Et

Sur les lèvres

Des mots de non-silence venus de là où loin le large de la mer

Entre bleu et vert

**

Un long temps passa

Des siècles qui sait

Que ses yeux s’ouvrissent

Là où partout dans la nuit

Entre gris et noir

**

À la croisée des quatre couleurs :

D’où venez-vous ?

D’un amour fou

D’une racine vivace survivant à chacune des saisons et dont le dernier mot est l’écho silencé du premier

**

(Or

Un matin d’hier

À l’angle de deux rues

La mort)

**

Ainsi du semblant du récit ne resta-t-il plus qu’une ombre imparfaite et mouvante

Agitée par des courants violents et contraires

**

Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa

Où les lèvres

Le gercé rouge d’une cerise et

Sur le dessus des mains

Les lacis de la mélancolie

**

Et seule et brune et nue

Avec sa peine

Son amour suffoqué en plein vol

L’insensé du trépas

Le chancèlement du corps

Le vertige

L’envie de dire

Mais

**

Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa

Le toucha pour s’en assurer

S’apaisa le temps d’un matin

Longea l’arc dessiné par les côtes

Fila vers le large

Noya la terre enfin

(Où la dalle blanche

Au milieu de l’allée bordée d’automne)

**

D’abord un long silence

Puis

La nuit en moi m’épousa en amant du dedans

Les membres négligemment entravés

Les yeux bandés pour m’abandonner mieux

Mon corps soumis (c’était délicieux)

Mon corps soumis s’ouvrit

Fut pris par un souffle

Une voix

Des mots dans la voix et

Dans le sang d’un baiser

Tout fut dit dans la tempête les flammes les craquements les déchirures du feu

Le vent tomba

La lune devint blanche

La marée étouffa braises et silences

confondit par après avec le bleu du jour et

J’eus beau mon amour t’étreindre contre mon cœur

Promettre à nouveau de relater notre traversée

Tu semblas ne plus pouvoir rien entendre ni dire mais me confia

Dans un ultime effort

Le mot-clé des mots conjuguant fleurs et couleurs

**

Alors

Elle hissa les voiles

Tira la lune rousse à bord

Largua les amarres

Lesta son rêve de tous les galets de la grève

Et

Au sortir du chenal qui la livrait au large de la grande nuit

La vigie du poème lui lança à travers vents ses premiers mots
 :

Vous avez sur le sein des fleurs de mimosas

Petites rondes douces jaunes volatiles et fragiles mais

Allez sans crainte

Tant les mots les porteront

Ni vent ni marée ni rien ne vous les raviront

**

Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa

La mer

 :

Un banc de corail rose sur son fond

La proue

 :

Une femme en deuil sur sa figure

Le phare

 :

Une phrase réfractée sur ses lentilles de verre

Le môle

 :

Des algues brun-rouge sur son musoir

Le bollard

 :

Une mouette au guet sur sa tête

Et

Les lèvres exsangues

 :

Des mots mots du corps sur leurs bords

**

Ceint d’un muret de pierres blanches

Courant d’un palier l’autre tout autour d’un château d’antan édifié

à flanc de falaise face aux vestiges d’une identique première construction

Il était de l’Est au Sud et l’Ouest livré à la mer ses brisants ou ses vents et

Parmi lavandes glycines bleue-rose lilas de trois couleurs

Saules pins parasols oliviers figuiers ou cerisiers

Elle fit silence

Oublia

Voulait oublier

Cousit ses lèvres

Oublia

Se souvint

Et

Dans un silence de mort

(Ô mon amour)

Trouva quelques restants de voix

Extraits de La demeure et le lieu, Julien Bosc, éd. Faï fioc, à paraître au printemps 2019 – merci à Jean-Marc Bourg de nous autoriser à publier ces extraits inédits

une fenêtre ouverte sur le sud
la seconde sur l’ouest
l’huis vers l’est — le jardin le sous-bois la mer éperdue

un fauteuil recouvert de velours vert

un garde-manger rouge à deux portes
surmonté d’un évier en grès blanc

un poêle où charme hêtre chêne se consument à la verticale

et
moitié contre le mur moitié face au midi par la fenêtre
une table de désordre dévouée au silence et à la lampe
— phare qui tant et tant tente d’éviter le feu du naufrage

**

écrire
avant se taire
rallumer son feu dès l’aube
peler l’orange
raccommoder sa langue et sa peau
compter les gouttes de pluies glissées sous le rameau nu du pommier
laisser venir
offrir un toit au vent et
si du dedans le papillon frappe au carreau de la fenêtre ou de la porte
lui parler peu sans surtout forcer la voix
le prendre dans le creux d’une main
entrebâiller la fenêtre ou la porte et ouvrir après la main

ainsi
des ocelles rouge et jaune à ras des crêtes et
dans de la nuit bleue
l’éventualité d’un poème

**

se défaire du parfum mêlé des muguets et lilas
du chat près du feu dans son fauteuil
des fatigues et désillusions
se dévêtir de tout comme de soi
souffler la bougie
et
si les vents tombent
le ciel s’éclaircit
forcer les ferrures de la langue
ouvrir grand la porte
entrer dans le temps du poème
accueillir les sèmes à la volée
ne négliger ni les fanaux ni les amers
écrire à l’estime et
quand plus rien
s’en tenir au pinceau du phare
— où les rêves occis

et des bleuets pour étoiles

**

ce soir
après la pluie
sur la petite route
— sous des nuages morcelés
du ciel rose bleu ou gris souris —
quelques rencontres de saisons :
deux limaces en couple peut-être
une chenille poétesse certainement
un bébé lézard jaune presque translucide orphelin sûrement
puis
de retour à la maison
frère et sœur d’une même portée
les deux chatons
lui blanc et noir
elle toute noire
m’attendent impatients car c’est largement l’heure des croquettes

de quoi
en somme
passer de la morosité à la légèreté
du désœuvrement à ceci et
du jour à la nuit en attendant demain matin
de parcourir les bois en allant aux girolles

**

en regardant les pierres et les joints du vieux mur
à quatre ou cinq mètres de distance
d’étranges révélations
une marguerite surdimensionnée
un hamster
le profil d’un jeune chien peu farouche
ceux d’un singe et d’un agneau
la face d’un gisant bouche bée
et
le portrait d’un homme
dont le regard et le long trait des lèvres expriment une immense tristesse

ainsi
les mystérieux quartz de l’ombre
figures métamorphosées des angles et des prismes

**

ce matin vers sept heures
quelle tête avais-je pour
qu’à mon passage
les seize génisses du voisin s’avancent
se rassemblent
me fixent par-dessus le barbelé de la clôture

et elles
qu’avaient-elles
pour que je les regarde à mon tour
                            (une robe rousse parfaitement ajustée
                       de la finesse
                       de l’allure
                       les charmes de la jeunesse
                       et
                       m’a-t-il semblé
                       un regard plein de douceur et d’attention)

**

emprunter deux échelles au voisin paysan
(une double et une de toit)
incliner la première sur le chéneau
monter et poser la seconde sur le versant     exposé aux gèles et vents du nord
et
là-haut
vigie sans proue ni mer — mais saisie du vertige —
repasser ce rampant dont quelque cinquante tuiles s’étaient désagrégées tels s’effeuillent
les schistes des falaises

Bibliographie de Julien Bosc :

  • L’Oculus, Éditions L’Éther Vague/Patrice Thierry, 1992.
  • Préludes, Éditions L’Éther Vague/Patrice Thierry, 1995.
  • Distraction, Éditions Détroit, 1999.
  • Pas, Éditions Unes, 1999.
  • Magie Lobi (textes de Julien Bosc et Max Itzikovitz, photographies de Thierry Malty, illustrations de Xavier Mérigot, préface de Roland Flak), Galerie Flak, 2005
  • Je n’ai pas le droit d’en parler, Atelier la Feugraie, 2008.
  • Tyohèpté Palé, les œuvres d’un homme, Floros Katsouros éditeur, Hanovre, 2009.
  • Dans le pinceau du phare (in Géotopoét(h)ique du territoire de la Creuse), Jean-Paul Ruiz, 2011.
  • Maman est morte, Rehauts, 2012.
  • Tout est tombé dans la mer, Approches, 2014.
  • De la poussière sur vos cils, la tête à l’envers, 2015.
  • Le Corps de la langue, préface de Bernard Noël, Quidam, 2016.
  • La Coupée, Potentille, 2017.
  • Le verso des miroirs, Atelier de Villemorge, 2018.
  • C’était, Atelier de Groutel, 2018.
  • Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa, la tête à l’envers, 2019.

« Le phare du cousseix ne s’éteint pas. Un petit groupe de personnes veillent à sa lumière. »
Il est toujours possible de se procurer les livres du phare du cousseix. Le site de la maison d’édition reste actif :
http://lephareducousseix.ek.la/accueil-p836764

Pour commander les livres, il faut passer par le site de l’éditeur Potentille qui se charge désormais de la diffusion des productions du phare du cousseix :
https://potentille.jimdo.com/

Isabelle Lévesque


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