Eté 2017,
dans la Creuse au phare du cousseix
photographie de Chantal Tanet
(avec l’autorisation de Tristan Hordé)
Julien Bosc est né en 1964 à Boulogne-Billancourt.
Il s’est d’abord intéressé au théâtre et à la mise en scène. En 1989, il quitte Paris pour s’installer dans la Creuse et se consacrer à l’écriture. Il publie son premier livre, l’Oculus, en 1992.
Il écrit également des scénarios pour des documentaires. C’est ainsi qu’en 1994 de jeunes réalisateurs l’invitent à les accompagner au Burkina Faso pour un reportage sur la musique des Lobi. Il se passionne alors pour l’ethnographie et pour les Lobi. En 1995, il reprend des études à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales où il obtient un DEA d’anthropologie sociale consacré à la sculpture lobi.Puis il prépare une thèse de doctorat. Reconnu comme spécialiste de l’art lobi du Burkina Faso, il est chargé par le Musée du Quai Branly d’organiser l’espace consacré à cet art.
En 2013 il fonde sa maison d’édition : « le phare du cousseix ».Il publie des plaquettes de poésie imprimées sur vergé par les presses typographiques du Moulin du Got (Saint-Léonard de Noblat). Il aura ainsi édité des poèmes d’Antoine Emaz, Edith de la Héronnière, Ludovic Degroote, Jacques Lèbre, Jacques Josse, Fabienne Courtade, Louis Dubost…
Il continue lui-même à écrire et publie des recueils de poésie chez divers éditeurs.
Julien Bosc est mort en septembre 2018.
À propos du livre Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa :
Pour nous raconter l’histoire sans fin d’un amour, Julien Bosc choisit la forme du poème : clôture et la suspension des vers. Tout sera esquissé dans l’amorce entière de promesse d’une histoire, tout sera espéré. Cela importe, si le vers se brise ou ne se résout pas, l’imaginaire (notre ferveur) poursuivra le chemin narratif et secret d’un mythe créé en le lisant.
L’origine est cousue de fil d’or : c’est l’amour et le mimosa qui sur le sein nu peut éclore :
« D’où venez-vous ?
D’un amour fou »
C’est le début du livre, le chant s’élève d’une mortelle apparence pour absoudre la mort, « survivant », il le peut, la voix célèbre « les mots du corps » déroulés d’une bobine dont le fil déroulé ne sera pas coupé puisque l’écrire l’a sauvé.
Il ne sera pas dit que s’achève : une scène (inscrite dans le titre) sera reproduite, motif ajournant la fin, conjurant le temps passé par la force d’une projection éternelle et consciente, « un long temps », « des siècles ». La peinture de couverture de Cécile Holdban ne reproduit pas cette scène, le poète a choisi l’espace ouvert brun et bleu d’un relief adouci qui confond le ciel et la terre. Miracle du livre, nous retrouvons Julien Bosc, phare disparu en mer, en lisant ses poèmes. Nous pouvons croire.Isabelle Lévesque
Extraits de Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa, Julien Bosc, Éd. La tête à l’envers, 2019
Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa
Et
Sur les lèvres
Des mots de non-silence venus de là où loin le large de la mer
Entre bleu et vert
**
Un long temps passa
Des siècles qui sait
Que ses yeux s’ouvrissent
Là où partout dans la nuit
Entre gris et noir
**
À la croisée des quatre couleurs :
D’où venez-vous ?
D’un amour fou
D’une racine vivace survivant à chacune des saisons et dont le dernier mot est l’écho silencé du premier
**
(Or
Un matin d’hier
À l’angle de deux rues
La mort)
**
Ainsi du semblant du récit ne resta-t-il plus qu’une ombre imparfaite et mouvante
Agitée par des courants violents et contraires
**
Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa
Où les lèvres
Le gercé rouge d’une cerise et
Sur le dessus des mains
Les lacis de la mélancolie
**
Et seule et brune et nue
Avec sa peine
Son amour suffoqué en plein vol
L’insensé du trépas
Le chancèlement du corps
Le vertige
L’envie de dire
Mais
**
Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa
Le toucha pour s’en assurer
S’apaisa le temps d’un matin
Longea l’arc dessiné par les côtes
Fila vers le large
Noya la terre enfin
(Où la dalle blanche
Au milieu de l’allée bordée d’automne)
**
D’abord un long silence
Puis
La nuit en moi m’épousa en amant du dedans
Les membres négligemment entravés
Les yeux bandés pour m’abandonner mieux
Mon corps soumis (c’était délicieux)
Mon corps soumis s’ouvrit
Fut pris par un souffle
Une voix
Des mots dans la voix et
Dans le sang d’un baiser
Tout fut dit dans la tempête les flammes les craquements les déchirures du feu
Le vent tomba
La lune devint blanche
La marée étouffa braises et silences
confondit par après avec le bleu du jour et
J’eus beau mon amour t’étreindre contre mon cœur
Promettre à nouveau de relater notre traversée
Tu semblas ne plus pouvoir rien entendre ni dire mais me confia
Dans un ultime effort
Le mot-clé des mots conjuguant fleurs et couleurs
**
Alors
Elle hissa les voiles
Tira la lune rousse à bord
Largua les amarres
Lesta son rêve de tous les galets de la grève
Et
Au sortir du chenal qui la livrait au large de la grande nuit
La vigie du poème lui lança à travers vents ses premiers mots
:
Vous avez sur le sein des fleurs de mimosas
Petites rondes douces jaunes volatiles et fragiles mais
Allez sans crainte
Tant les mots les porteront
Ni vent ni marée ni rien ne vous les raviront
**
Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa
La mer
:
Un banc de corail rose sur son fond
La proue
:
Une femme en deuil sur sa figure
Le phare
:
Une phrase réfractée sur ses lentilles de verre
Le môle
:
Des algues brun-rouge sur son musoir
Le bollard
:
Une mouette au guet sur sa tête
Et
Les lèvres exsangues
:
Des mots mots du corps sur leurs bords
**
Ceint d’un muret de pierres blanches
Courant d’un palier l’autre tout autour d’un château d’antan édifié
à flanc de falaise face aux vestiges d’une identique première construction
Il était de l’Est au Sud et l’Ouest livré à la mer ses brisants ou ses vents et
Parmi lavandes glycines bleue-rose lilas de trois couleurs
Saules pins parasols oliviers figuiers ou cerisiers
Elle fit silence
Oublia
Voulait oublier
Cousit ses lèvres
Oublia
Se souvint
Et
Dans un silence de mort
(Ô mon amour)
Trouva quelques restants de voix
Extraits de La demeure et le lieu, Julien Bosc, éd. Faï fioc, à paraître au printemps 2019 – merci à Jean-Marc Bourg de nous autoriser à publier ces extraits inédits
une fenêtre ouverte sur le sud
la seconde sur l’ouest
l’huis vers l’est — le jardin le sous-bois la mer éperdueun fauteuil recouvert de velours vert
un garde-manger rouge à deux portes
surmonté d’un évier en grès blancun poêle où charme hêtre chêne se consument à la verticale
et
moitié contre le mur moitié face au midi par la fenêtre
une table de désordre dévouée au silence et à la lampe
— phare qui tant et tant tente d’éviter le feu du naufrage**
écrire
avant se taire
rallumer son feu dès l’aube
peler l’orange
raccommoder sa langue et sa peau
compter les gouttes de pluies glissées sous le rameau nu du pommier
laisser venir
offrir un toit au vent et
si du dedans le papillon frappe au carreau de la fenêtre ou de la porte
lui parler peu sans surtout forcer la voix
le prendre dans le creux d’une main
entrebâiller la fenêtre ou la porte et ouvrir après la mainainsi
des ocelles rouge et jaune à ras des crêtes et
dans de la nuit bleue
l’éventualité d’un poème**
se défaire du parfum mêlé des muguets et lilas
du chat près du feu dans son fauteuil
des fatigues et désillusions
se dévêtir de tout comme de soi
souffler la bougie
et
si les vents tombent
le ciel s’éclaircit
forcer les ferrures de la langue
ouvrir grand la porte
entrer dans le temps du poème
accueillir les sèmes à la volée
ne négliger ni les fanaux ni les amers
écrire à l’estime et
quand plus rien
s’en tenir au pinceau du phare
— où les rêves occiset des bleuets pour étoiles
**
ce soir
après la pluie
sur la petite route
— sous des nuages morcelés
du ciel rose bleu ou gris souris —
quelques rencontres de saisons :
deux limaces en couple peut-être
une chenille poétesse certainement
un bébé lézard jaune presque translucide orphelin sûrement
puis
de retour à la maison
frère et sœur d’une même portée
les deux chatons
lui blanc et noir
elle toute noire
m’attendent impatients car c’est largement l’heure des croquettesde quoi
en somme
passer de la morosité à la légèreté
du désœuvrement à ceci et
du jour à la nuit en attendant demain matin
de parcourir les bois en allant aux girolles**
en regardant les pierres et les joints du vieux mur
à quatre ou cinq mètres de distance
d’étranges révélations
une marguerite surdimensionnée
un hamster
le profil d’un jeune chien peu farouche
ceux d’un singe et d’un agneau
la face d’un gisant bouche bée
et
le portrait d’un homme
dont le regard et le long trait des lèvres expriment une immense tristesseainsi
les mystérieux quartz de l’ombre
figures métamorphosées des angles et des prismes**
ce matin vers sept heures
quelle tête avais-je pour
qu’à mon passage
les seize génisses du voisin s’avancent
se rassemblent
me fixent par-dessus le barbelé de la clôtureet elles
qu’avaient-elles
pour que je les regarde à mon tour
(une robe rousse parfaitement ajustée
de la finesse
de l’allure
les charmes de la jeunesse
et
m’a-t-il semblé
un regard plein de douceur et d’attention)**
emprunter deux échelles au voisin paysan
(une double et une de toit)
incliner la première sur le chéneau
monter et poser la seconde sur le versant exposé aux gèles et vents du nord
et
là-haut
vigie sans proue ni mer — mais saisie du vertige —
repasser ce rampant dont quelque cinquante tuiles s’étaient désagrégées tels s’effeuillent
les schistes des falaises
Bibliographie de Julien Bosc :
- L’Oculus, Éditions L’Éther Vague/Patrice Thierry, 1992.
- Préludes, Éditions L’Éther Vague/Patrice Thierry, 1995.
- Distraction, Éditions Détroit, 1999.
- Pas, Éditions Unes, 1999.
- Magie Lobi (textes de Julien Bosc et Max Itzikovitz, photographies de Thierry Malty, illustrations de Xavier Mérigot, préface de Roland Flak), Galerie Flak, 2005
- Je n’ai pas le droit d’en parler, Atelier la Feugraie, 2008.
- Tyohèpté Palé, les œuvres d’un homme, Floros Katsouros éditeur, Hanovre, 2009.
- Dans le pinceau du phare (in Géotopoét(h)ique du territoire de la Creuse), Jean-Paul Ruiz, 2011.
- Maman est morte, Rehauts, 2012.
- Tout est tombé dans la mer, Approches, 2014.
- De la poussière sur vos cils, la tête à l’envers, 2015.
- Le Corps de la langue, préface de Bernard Noël, Quidam, 2016.
- La Coupée, Potentille, 2017.
- Le verso des miroirs, Atelier de Villemorge, 2018.
- C’était, Atelier de Groutel, 2018.
- Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa, la tête à l’envers, 2019.
« Le phare du cousseix ne s’éteint pas. Un petit groupe de personnes veillent à sa lumière. »
Il est toujours possible de se procurer les livres du phare du cousseix. Le site de la maison d’édition reste actif :
http://lephareducousseix.ek.la/accueil-p836764Pour commander les livres, il faut passer par le site de l’éditeur Potentille qui se charge désormais de la diffusion des productions du phare du cousseix :
https://potentille.jimdo.com/
Isabelle Lévesque