Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

Accueil > Bonnes feuilles > Billet de Christophe Stolowicki (juillet 20)

Billet de Christophe Stolowicki (juillet 20)

mercredi 15 juillet 2020, par Cécile Guivarch

Gombrowicz, une exception

Désinvolte et profond, et charmant, et odieux, et complexe, d’une complexité qui ne se dément pas, il lâche quelques pointes simples et sensibles et vite referme en la faisant claquer sa gueule de requin des lettres sur toute intelligence rivale. Affleure aux chutes de l’intellect une paradoxale poésie.

Mais poète avéré en quelques vers de capricante prose il ne devient que vers la fin de son Journal, quand auteur reconnu il n’a plus besoin de se prévaloir de sa qualité d’artiste créateur de formes et qu’il lui reste peu d’années à vivre.

Une grande part de l’œuvre majeure est consacrée à sa défense d’écrivain exilé en Argentine, face à la critique polonaise aux ordres du régime communiste et qui ne le ménage pas. En contrepartie, il a pu devenir la figure emblématique d’une résistance ouverte alors que la poète Ewa Lipska, par exemple, vivant en Pologne, doit coder l’ours soviétique en Romains. Il est un symbole vivant pour les Polonais comme Joyce aux Irlandais. Mais son Journal trop tissé d’intellect pur, d’amour-propre à vif, d’un qui plutôt que de développer ses méandres discute, prend l’imbécile ou le demi-habile au collet, raisonne au détriment de l’Art qu’il prétend incarner et délaisse pour ses coulisses.

Cela dit. « Que votre plume soit celle d’un artiste et non celle d’un pseudo-scientifique. La critique doit être aussi tendue et aussi vibrante que ce qu’elle touche – sinon elle se réduit à vider le ballon de gaz, à casser les oreilles comme une scie, n’est que décomposition, dissection, tombeau. » Ma plume critique applaudit.

Introduction : « Ce Journal est un train d’écriture assez confus, mené de mois en mois – souvent je me répète, me contredis. Ordonner cela ? L’épurer ? Je préfère que ce ne soit pas trop ulizane lissé » – textuellement « léché ». La chance la malchance que le polonais soit ma langue natale me donne accès à l’intraduisible de Gombrowicz, son cœur de glotte. Ici, alternant avec une intellectualité souvent de parade et quelques échappées de mise en regard poétique, tout est rude, rugueux, abrupt comme le français ne sait pas l’être. Nous possédons depuis Villon la plus glorieuse littérature du monde (Jean Dutourd) sinon la grecque, alors que Gombrowicz est le seul grand écrivain polonais à ce jour – n’a pas d’ascendant littéraire. Sa langue étant ce qui le constitue et le distingue, cet hobereau en exil argentin, de petite famille terrienne, pris en tenaille entre un polonais courant, tout en tournures d’une excessive politesse, et l’une des langues les plus pornographiques du monde (93 acceptions du mot dupa cul, qui quand la conversation se lâche revient comme une antienne) a dû inventer son slave au plus idiomatique goûteux.

« Lundi / MOI. // Mardi / MOI. // Mercredi / MOI. // Jeudi / MOI. // Vendredi » débute le Journal après ces quatre temps déchirant le rideau, frappés comme l’ouverture des Confessions de Jean-Jacques. Mais Gombrowicz connaît son cœur mieux que Rousseau et ne méconnaît pas les hommes.

Antisémitisme. Nul n’en peut l’en taxer, qui fait exception dans sa nation, affligée d’un antisémitisme désormais sans juifs ou presque, la plupart demi-juifs se camouflant, telle la poète Ewa Lipska. Il prend la question par les cheveux, qui peut se résumer comme il l’écrit si bien en la différence entre parch poux, par trois traducteurs de concert rendu par galeux, et l’adjectif parszywy dérivé de cette vermine, sur lequel se construit le substantif parszywiec , rendus par miteux. Gombrowicz soutient que ce dernier n’est pas antisémite, et ne cache pas qu’il l’emploie quand des juifs lui chauffent les oreilles. Certes. L’injure traditionnelle parch żyd, pou, Juif, dont la violence se nourrit de l’accolement de deux éructations monosyllabiques, se délaye si on l’adjective et la délasse en substantif dessubstantié. Mais c’est beaucoup jouer sur des mots qui blessent. Comme si schweinehund, cochon-chien, qui fleurissait à la bouche des nazis, se dégonflait s’ils l’avaient retourné, aux dépens du rythme allemand déjà concassé par leur volksdeutsche, en chien-cochon. Gombrowicz, quand il se laisse aller, se considère par son ascendance aristocratique comme supérieur à un écrivain juif polonais incapable d’incarner comme lui ształt la forme, soit l’essence de l’art.

Przeciw poetom Contre les poètes. Sur le réquisitoire au vitriol, daté de 1956, contre la poésie, surtout la versifiée, et les poètes en général mais notamment les polonais, leur culte religieux de l’idole, concentré de trois Muses, leur entre soi nombriliste au mépris de toute réalité et au détriment d’un authentique style – dans la suite du Journal il reviendra in petto puis ouvertement, ne cachant plus son amitié avec Milosz, autre opposant au régime communiste et versificateur notoire, révélant sur le tard (« Quand je lis / Quand j’écris / Quand je participe / Quand je fonctionne / Toujours et partout je rencontre la loi : / Plus c’est savant / Plus c’est bête », 1966) un humour en vers prosaïques, comme il est présentement de mode, de poète antipoète. Avec le recul ce mouvement d’humeur, que nul chez nous n’eût osé dans sa violence, prend une couleur prophétique à l’aune de la désaffection contemporaine des lecteurs pour la poésie, et l’afflux de poètes ne lisant que soi. On en relativise la portée quand on découvre, à l’arrivée de l’exilé à Paris, la France choisie comme pays d’accueil, son culte pour Jean-Paul Sartre, écrivain philosophe à toute main sinon la poétique, encore que les ressources de son style, pas toujours à l’estomac, ne l’excluent pas tout à fait. Moins bon lecteur qu’écrivain, leurré par la renommée du plus répandu auteur français de l’époque, Gombrowicz ne réalise pas combien la morale de bourgeois antibourgeois de Sartre va à l’encontre de son propre élitisme.

Poésie et psychanalyse

Poésie contemporaine et psychanalyse, nées avec Freud et le surréalisme d’un même déchirement du voile ; avec Lacan qui contre toute évidence sut s’associer au déclinant groupe surréaliste, sombrées dans un grand écart ; l’imposteur disparu, qui toutefois desserra les arcanes aux non-médecins – retrouvent leur affinité.

Poésie, analyse autodidactique.

La grossièreté de Lacan, que dis-je, sa vulgarité stagne jusque dans sa phrase la plus expédiente (« la femme n’a pas de sexe, elle est le sexe ») qui déboulonne l’indéracinable projection d’hommes doués de peu de femina.

Ce qui radicalement fait défaut à la psychanalyse d’origine, enfant juive, enfant des villes, est un sens de la nature – en sa double acception : poétique désuète mais riche de ce que dans le cours des âges les métaphores animales ont accumulé ; réduisant, élargissant sa base de tout ce que l’éthologie, se développant dans les années trente sous la houlette de Konrad Lorenz dans un contexte nazi (déblayé par Robert Ardrey, Boris Cyrulnik) rapportera du large de galets, de verroterie multicolore et de cailloux joujoux et que déjà Sandor Ferenczi, le disciple freudien prodigue, pressentait ; un poète, un seul, ayant lancé sa sonde en éclaireur au cinquième chant de Maldoror (« Les bandes d’étourneaux ont une manière de voler qui leur est propre […] leur instinct les porte à se rapprocher toujours du centre du peloton, tandis que la rapidité de leur vol les emporte sans cesse au-delà ») avant, par la puissance de la poésie redevenu Ducasse, de retourner en élongation comme un gant de fumée nos aphorismes classiques.

Avec son organisation pyramidale semée d’analyses didactiques sans fin, de contrôleurs à force d’impitoyable silence ayant pris sans urbanité de l’urbain galon, l’Urbs méconnue comme arène de parade dont les prix de l’immobilier, plutôt que des combats fratricides, contiennent la population au nombre rituel, ancestral renouvelé, de coqs de bruyère s’en partageant le territoire, Lacan aggravera ce déficit.

Depuis quelques années je vois de plus en plus de poètes, majoritairement, non exclusivement des femmes – Jacqueline Persini, Pierre Le Pillouër, Séverine Daucourt, Isabelle Alentour, Luminitza Tigirlas – des responsabilités en hôpital tenant parfois lieu de psychanalyse au sens strict – prendre le relais.

À étiage de prosaïsme

Son maître Flaubert est chéri des poètes contemporains pour son grand prosaïsme, sa littérature à force de travail épurée de toute tentation prosodique, de la moindre allitération ou rime. Maupassant a retenu la leçon, ne lâchant en pochade que des vers de mirliton ou pornographiques. Mais sa rigoureuse prose en verve se soutient d’un tout autre tempérament.

Car le prosaïsme de Flaubert est appuyé. Homais, Bouvard, Pécuchet sont des inventions impayables, quand Mademoiselle Fifi, Boule de suif, Bel-Ami restent des sobriquets. Tout élan de la phrase est rabattu par Maupassant au plus juste, toute métaphore essorée, une profusion tenue de langue retournant la prose vers son objet. Le mot poésie, qui revient souvent (« les deux fiancés […] tout mêlés à la poésie visible qui s’exhalait de la terre », « la lune se leva dans une de ces nuits tièdes et claires qui troublent, attendrissent, semblent éveiller toutes les poésies secrètes de l’âme », « Ce soir, vous serez ma femme […] elle ne songeait encore qu’à la poésie de l’amour, et fut surprise. Sa femme, ne l’était-elle pas déjà ? » (ils sortent de la cérémonie) – employé ad nauseam dans Une vie à démonétiser, à ruiner les prestiges d’un sentiment dont le romancier se garde mieux que du tréponème pâle. Le prosaïsme émane naturellement de son fonds propre, cultivé à dessein.

Il n’est pas simplement un auteur, tels Stendhal, Sartre ou Gary, ou Colette, que l’aile de la poésie n’a pas effleuré, le rejet demeure inséparable de sa puissance, de son authenticité d’écrivain. Imaginez un faune, un athlète, un taureau, mais bien élevé, jaloux de son indépendance et de sa solitude (« J’aime immodérément être seul ») comme trop peu de soi-disant poètes, que ronge une syphilis contractée dès sa prime jeunesse. Enviez le succès acquis dès son coup d’envoi, la nouvelle Boule de suif qui dans un recueil, un manifeste à cinq, le situe d’emblée au-dessus de Zola. Voyez-le menant grand train sexuel, séducteur émérite de l’Aphrodite Pandémienne sinon d’aristocratiques beautés, couvert d’admiratrices jeunes et lettrées comme n’ont pu l’être ni Johnny Halliday ni Jean d’Ormesson, nos parangons de popularité populaire ou bourgeoise – en rébellion ouverte contre les valeurs bourgeoises dont les premières sont l’argent thésaurisé et l’amour, évidemment conjugal. Lisez sa correspondance avec des lectrices choisies entre cent, Gisèle d’Estoc (un pseudo) et Marie Bashkirtseff, ses professions de peu de foi en cet amour, synonyme à ses yeux, et communément en son temps, de poésie : « Je n’ai pas pour un sou de poésie », « Je trouve décidément bien monotones les organes à plaisir, ces trous malpropres […] Je suis stupéfait en voyant des gens prendre des airs exaltés parce qu’ils se passent un peu de crachat, d’une bouche dans l’autre », « J’ai horreur de la musique ! [dont la Muse Euterpe s’abouche en général avec les quatre de la poésie] / Je préfère en réalité une jolie femme à tous les arts – Je mets un bon dîner, un vrai dîner – le dîner rare presque sur le même rang qu’une jolie femme. »

Retrouvez encore ces associations sourdement railleuses du sentiment sublime et de l’art majeur, tête de gondole de la beauté sur terre : « Il semblait à Jeanne que son cœur s’élargissait […] Une affinité l’unissait à cette poésie vivante [le spectacle de la nature] / Et elle se mit à rêver d’amour » ; « elle entendit marcher dans la nuit. Et dans un élan de son âme affolée, dans un transport de foi à l’impossible, aux hasards providentiels et aux pressentiments divins, aux romanesques combinaisons du sort, elle pensa : “Si c’était lui ?” […] elle pleura délicieusement ». Mais rapprochez-les de détails de description, « une de ces vastes demeures normandes bâties en pierres blanches devenues grises et spacieuses à loger une race », en chute une métonymie double comme une double volée d’escalier ; de « elle cribla de baisers ardents les joues peintes et la filasse frisée du joujou », de « les trois vieux chantres [d’église], crasseux dans leur blanche vêture, le menton poileux, l’air grave, l’œil sur le livre de plain-chant, détonnaient à pleine gueule dans la claire matinée », délicatesses d’allitération venue en chute, comme un faux ami : la poésie tenue à distance à bout de bras sourd et suinte de son rejet même. « Le ciel bas et chargé d’eau semblait crevé, se vidait sur la terre, la délayant en bouillie » : Ponge ne dirait pas mieux.

Il est considéré comme un écrivain facile mais dont on ne se lasse pas. La note finale d’Une vie, « La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit », phrase prononcée par la bonne inculte de Jeanne, résonne en moi d’un vécu si intense et pensé qu’elle rejoint Héraclite (si tous leurs désirs étaient satisfaits, les hommes ne seraient pas plus heureux), mais d’un savoir jeune quand celui du poète grec était chargé d’ans.

Villon, Rimbaud

Au faîte de mon panthéon, au fond de mon pandémonium.

« Hé ! Dieu, se j’eusse estudié / Ou temps de ma jeunesse folle/ Et à bonnes mœurs dédié, / J’eusse maison et couche molle », plutôt que triste fin parmi les Coquillards, celle de la célèbre et peut-être prophétique épitaphe Villon (« Frères humains qui après nous vivez, / N’ayez les cœurs contre nous endurcis […] Vous nous voyez ci attachés cinq, six // [qui] fûmes occis / par justice »), dont il sait aussi plaisanter : « Je suis François, dont il me poise, / Né de Paris emprès Pontoise, / Et de la corde d’une toise / Saura mon col que mon cul poise. »

On le suppose. On ne sait rien. (Rimbaud, on sait : un cancer. Mais déjà mort depuis lurette).

« Mais quoi ? je fuyoië l’école, / Comme fait le mauvais enfant. / En escrivant cette parole, / A peu que le cœur ne me fend ». Mais plus moi. De tout ce qu’il n’a pas acquis Villon a composé, a infusé en gravité une langue qui avec lui marque le coup d’envoi de la plus glorieuse littérature du monde (Jean Dutourd).

Sinon la grecque. Avant la juive.

Ne nous lâchent pas ses deux pensées rengaines lancinantes, l’une jetant à Héraclite un pont suspendu sur les millénaires, l’autre corrigeant l’oracle de Delphes.

« Tant crie l’on Noël qu’il vient. » Si tu n’espères pas, tu ne rencontreras pas l’inespéré, dit le poète grec.

« Je connois tout, fors que moi mêmes », en chute refrain d’une ballade des menus propos, que développera, dans la ballade du concours de Blois, « Je meurs de seuf auprès de la fontaine / [...] En mon pays suis en terre lointaine […] // Rien ne m’est sûr que la chose incertaine » – de grande sagesse de la folie déniant au connais-toi toi-même son emprise sur les philosophes, préfigurant Oscar Wilde, raillant Freud.

Inscrite dans notre fibre sa Ballade des dames du temps jadis, dont on demeure plus amoureux que de la Sanseverina ou de Mme de Warens.

Cela scandé par le dérisoire appel à pitié d’un clerc déchu qui « crie à toutes gens mercis » en quête de chevance.

De même dénuement, Rimbaud. Très jeune poète précocement doué, Mes petites amoureuses, Le bateau ivre, mais trop de mots rares, de points d’exclamation. Et soudain, en 1872, à dix-sept ans, la métamorphose à force de travail (ce travail sous-jacent au jaillissement, comme l’a mieux compris que pratiqué Nietzsche, son contemporain), sous l’influence de Verlaine mais tôt larguée l’amarre : les découvertes prosodiques de Comédie de la soif mariant les vers pairs et impairs avec une libre rigueur que perdra le vers libre ; celles de Bonne pensée du matin, d’une musicalité de décrochement (9.8.8.6, 9.8.10.4, 9.10.8.6, 8.8.8.6, 6.8.8.12), à fond d’âme de sonnet, aux harmoniques heurtées dignes de Schumann ; et aussitôt « Elle est retrouvée. / Quoi ? – L’Éternité. / C’est la mer allée / Avec le soleil » (qui fait sourire des déclarations d’amour à l’éternité de Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra mais non de son couchant illuminant la barque du plus pauvre pêcheur) ; et bientôt les Fêtes de la faim : « Si j’ai du goût, ce n’est guère / Que pour la terre et les pierres. »

Moins encore que Les Fleurs du mal ou Le Spleen de Paris, on ne relit d’affilée Une Saison en enfer ni Les Illuminations, dont les bribes qui nous constituent remontent en fulgurance. Ce brûlot, cette féerie ne répondent pas en notre lieu et place comme les auteurs latins qui tapissent son âme à Michel Eyquem avant qu’il ne soit devenu Montaigne. Non, ils répondent de nous.

Par son héroïsme (plus authentique que la philosophie héroïque dont se glorifie Nietzsche), Rimbaud nous communique l’obligation de nous retirer du jeu (littéraire) avant l’âge d’homme – implacable en ce qui le concerne, son orbe de météore ne pouvant être aplatie. Mais en nous qui ne sommes pas Rimbaud – ni Ducasse, ni Jarry, ni aucun des jeunes gens en colère, surréalistes historiques, dont nous sépare une crise de la néoténie qui renforce, aggrave la juvénilité constitutive de l’homme – favorisant plutôt une dérobade devant les raisins verts.

« Je suis réellement d’outre-tombe, et pas de commissions », à entendre aussi évasivement – cet évasif tragique – qu’afin […] que mon nom disparaisse de dessus la surface de la terre, comme je me flatte que ma mémoire s’effacera de l’esprit des hommes signé Sade, plutôt que comme une surenchère à Châteaubriand.

Quelques années lumière (quelques semaines) après qu’ « Un lièvre [se fut arrêté] dans les sainfoins et les clochettes mouvantes et [eut] dit sa prière à l’arc-en-ciel à travers la toile de l’araignée » au tout début des Illuminations (je suis l’ordre établi par Henry de Bouillane de Lacoste),

Les prophétiques adieux de Dévotion : « À ma sœur Louise Vanaen de Voringhem : – Sa cornette bleue tournée à la mer du Nord. – Pour les naufragés. / À ma sœur Léonie Aubois d’Ashby. Baou [...] / À Lulu, – démon […] / À l’adolescent que je fus. À ce saint vieillard […] / À l’esprit des pauvres [...] / Ce soir à Circeto des hautes glaces, grasse comme le poisson […] À tout prix et avec tous les airs. – Mais plus alors » ;

Le cyniquement prophétique Démocratie : « Le drapeau va au paysage immonde, et notre patois étouffe le tambour. / […] Aux pays poivrés et détrempés [ou arides à nourrir un cancer] […] / nous aurons la philosophie féroce » et niaise de ceux (dans Une saison en enfer) qui ont « toujours été race inférieure » ;

À tout jamais (Génie), « Il est l’affection et le présent puisqu’il a fait la maison ouverte à l’hiver écumeux et à la rumeur de l’été, lui qui a purifié les boissons et les aliments […] / Il est l’amour, mesure parfaite et réinventée […] / Et nous nous le rappelons et il voyage […] Il nous a connus tous et nous a tous aimés ».

Au plus féminin fermant le ban qu’avait ouvert Villon, de masculinité hérissée taillée en pièces.

À la supposée histoire de la philosophie – en y réintégrant les présocratiques – Nietzsche avait en sa personne apposé un point final. À celle de la poésie – malgré quelques prouesses « en retard » comme l’œuvre génialement bon enfant du bon Guillaume, la sérénité crispée de Char, les hoquets de grand jazz de Ghérasim Luca – succède l’ère du sans genre, notre gageure contemporaine.

La poésie, dans sa désuétude aimantée emportant le roman, sinon celui de poète, du temps perdu.

Christophe Stolowicki


Bookmark and Share


Réagir | Commenter

spip 3 inside | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 Terre à ciel 2005-2013 | Textes & photos © Tous droits réservés