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Dans la doublure, de Philippe Longchamp, lu par Albane Gellé

jeudi 2 novembre 2023, par Cécile Guivarch

Quelle joie de pouvoir lire de nouveaux livres de Philippe Longchamp ! L’année dernière, il y avait eu Mandragore, aux éditions du Petit Flou, et Nommer néanmoins, aux éditions Milagro, voici aujourd’hui que l’on peut lire des poèmes inédits dans l’anthologie 2024 du Castor Astral et que paraît le magnifique Dans la doublure, chez Cheyne éditeur. Ce livre hors-collection, avec de très belles images, colorées, vives, d’Anne Brugni, est constitué de vingt-deux poèmes en prose, d’une page environ chacun. Poèmes d’abord adressés à des amis au fil des années passées, en guise de vœux pour les années nouvelles. On se délecte de retrouver ici dans ces textes rassemblés la musique de la langue de Philippe Longchamp, si singulière, son rythme lent alternant avec une respiration plus saccadée, ses arrêts brusques, continuités et énumérations, peut-être pour que nos cœurs alarmés redeviennent des cœurs qui dansent, ou pour laisser le violent soleil entrer dans nos chambres vides. On est dans le vif de la cruauté du monde, on déambule parmi des jetés à la Seine dans la nuit, des déplacés d’office, des assignés au fin fond, des disparus, on voudrait décaper les soirs gris, on passe devant une toute seule de la nuit, avec un gobelet en carton posé devant elle sur le trottoir, on pense à ceux-là au plus fou de leur intense vie, assassinés par une poignée d’ignares avec kalach, on marche avec les insomniaques, les fêtards en partance, les épuisés du jour, les « sans-papiers-sans-domicile-sans-un-sou », aussi tous ceux qui rêvent en dehors des clous. On navigue dans les épaisseurs de l’actualité qui recommence, mais pas seulement. On est aussi en même temps au plus près de soi, de ses émois intimes, y compris ceux cachés dans la doublure. Assez vite on patauge. On essaie de colmater, mais on patauge. Le conditionnel tutoie les autres temps de l’indicatif, même quand le temps est arrêté par des infinitifs. Un autre mode, comme pour ouvrir des espaces libres dans un réel cadenassé. Le conditionnel pose des portes et des fenêtres, installe des appuis, propose des échappées. Parfois c’est pour démurer notre immense colère. Le plus souvent c’est pour énoncer un secours possible, une hypothèse de monde habitable, pour permettre un espoir. Faudrait réapprendre contre tant qui cloisonnent et nous cloisonnent. Chercher quel soleil dans les autres yeux, (...), poser des attelles aux libellules accidentées et baiser leurs lèvres avant l’envol. Ce livre est un trésor de poésie, il nous déplie, il nous déploie, il nous réveille, il nous élargit.

Albane Gellé


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