Pierre Dhainaut, À portée d’un oui, avec un dessin de Caroline François-Rubino, collection « Cahiers du Loup bleu », éditions Les Lieux-Dits, 2022, 7 €.
Ordinairement, l’expression « à portée de » désigne une distance accessible aux facultés sensorielles conçues comme le moyen d’accomplir une saisie : à portée de main, de voix, de regard... Dans ce titre, au contraire, la portée est liée à « un oui », c’est-à-dire à une ressource spirituelle qui n’apprivoise la distance que pour la convertir en ouverture respectueuse : « bienvenue, / bienvenue, dit aussitôt l’esprit à la brûlure ». Pouvoir dire oui à ce qui se présente n’est pas notre pente spontanée. Nous nous construisons bien plutôt, dès notre plus jeune âge, autour d’un « non ». Mieux que quiconque, Pierre Dhainaut sait combien le poème lui aura appris à se déprendre en disant « oui », laissant monter en lui l’assentiment d’une langue secrète : « si tu suffoques, tu as besoin de la voix / qui se cherche en la tienne, plus profonde, plus / vaste, avec des mots ruisselants ou brûlants ».
Cette langue du oui commence par assouplir la distance temporelle qui nous sépare du lendemain, qui entretient l’illusion d’une échappée possible. En effet, les premiers poèmes commencent par ce vers anaphorique : « Demain, c’est maintenant, et maintenant, »… L’« avenir » n’est plus projection mais accueil « infini ». Le poème s’ouvre à l’incertitude d’un présent sans frontières : « renonce à demander où tu te rends » ; « sans réticence, tu ne t’adresseras / qu’à ce que tu ignores ». Que les circonstances soient ou non favorables, deviendraient-elles insupportables (« les vents sont hostiles »), laisser le oui se dire commence par la reconnaissance du fait que l’on n’a « aucun choix », hormis celui d’accepter ce qui advient à travers « l’art du murmure », cette parole qui ne s’avance que pour se retirer en son acquiescement. Il s’agit de ne plus s’« inquiéter du sort qu’on nous réserve », d’adhérer au « maintenant » au point que « l’angoisse / ou l’allégresse auront la même intensité ».Ce faisant, le poème réduit également la distance spatiale, pour mieux approfondir l’inconnu de l’ici. Ce n’est pas un hasard si l’on retrouve à différentes reprises cet adverbe tant aimé, à la fois ponctuel et spacieux : « […] « ici », / ici dans un avenir infini ». Un lieu sans dimensions se creuse alors dans le poème guidé par « l’art » d’« être au cœur, aux confins » : « tu t’en remets à la parole, le silence / la ravive, qui l’oblige à reprendre essor ». Une telle parole est si accueillante qu’elle transcende les limites des lieux ordinaires : « nous pourrions prêter au silence / une sonorité, nous choisirions ce qui crépite, / qui ne se plaint pas que sa vie soit étroite ». Le poème est ce « pays » où les « vents » se libèrent, où le « ressac » entraîne à « tressaillir, accomplir, recommencer / avec l’accord des vocables, de l’écho ». Quelles que soient les épreuves traversées, les éléments qui le visitent nous raniment, nous aident à respirer, à nous laisser porter par le flux d’un cosmos habitable : l’air, le feu, la mer, la neige, les arbres, les fleurs, leurs couleurs, leur parfum… Qu’ils désignent les « flammes » recueillies par les deux mains ouvertes ou la « Glycine avec aura perpétuelle », « les noms se dilatent » toujours. Chaque fragment du monde se déploie dans des mots qui le nomment sans contrainte, lui restituent une mémoire « ancienne » et le nimbent de « gloire » : « […] Couleur est vie / voulant plus que la vue »…
Ce rayonnement fluide prend sa source dans trois mouvements conjoints : l’enjambement, la répétition (celle du mot ou du son) et le paradoxe. En témoignent ces vers, choisis parmi tant d’autres : « beauté, l’épanouissement, beauté, / la perte […] » ; « Une fois, une fois pour toutes, l’éclat / ajoute une perspective à la perspective, / n’en choisissons aucune, acquiesçons / sans réserve à la flamme fugace / comme à la foudre » ; « Gratitude, gratitude à ce qui se retire »… Graduellement, ces variations mélodieuses dissolvent les séparations et relient les contraires, « matin ou soir, soir ou matin ». Fût-elle au bord d’une défaillance (« à-coups, arrêts, cassures, / défaut de vigilance »), la langue poétique épouse la croissance en spirale des choses et des êtres, selon un rythme intarissable : « la ligne au-delà de la ligne / se réengendre et se retrouve ici, / ici, la porte, la plénitude, la porte ».
Si la musique prête son nom à la seconde section (« MUSIQUE, L’ORIGINE »), plus encore elle émane de ce « oui » perpétué au long du livre, comme l’indiquent les vers qui concluent la partie précédente : « la syllabe enchantée de trois voyelles, / la clé de voûte, la clé de résonance ». Ne pourrait-on risquer une interprétation musicale du terme « portée », dans le titre d’ensemble ? On notera que dans ses dédicaces Pierre Dhainaut prend soin de rendre hommage « au jeune joueur de flûte de la rue Louis Dautrey à Dunkerque, ici ». De fait, l’architecture du poème relève du chant et de l’accord : « Foyer de mots, foyer de notes / ne nous expliquant pas d’où ils procèdent / ni de quelle façon ils nous soulèvent / jamais pour eux nous n’allons assez loin » ; « la syllabe sous-entendue / qui fait tenir debout un poème ». La mélodie en est la source et l’embouchure, prenant appui, par exemple, sur un son pour qu’un autre le prolonge : « Des chants de grive autour de la glycine » ; « […] une grappe, tant de grappes, / la gloire […] ». Elle ne se limite pas à la musique proprement dite, elle intègre toutes les sonorités : « nous recevons les bruits distants ou proches, / aigus ou graves, égaux : ne pas fixer, ne pas / interpréter, ne pas défigurer l’indécis, / l’infaillible. […] » La parole poétique est inséparable de l’ouïe, de l’entente du monde, « selon des mesures / dont le secret, parce qu’il nous échappe, / s’enivre, se régénère ».Qu’ici nous frôlions l’essentiel, la suite nous le confirme puisque l’ultime section, qui regroupe des haïkus, s’intitule « DICTÉ PAR L’ÉCOUTE » : « Poèmes lus à voix haute, / le plus désolé nous apprendre à tendre / l’oreille, à l’affermir. » Issu d’un murmure originel - ce « oui » entièrement vocalique que le silence fait vibrer dans le souffle vital -, le poème retourne au silence pour s’y régénérer, écouter d’autres voix se lever : « « Silence », dit le poème : / après l’ultime écho / il dira « visage ». » Comment écrire sans s’effacer pour faire retentir ? Pourquoi écrire sinon pour lire à d’autres ce qu’ils pourront redire, accédant à leur tour à l’élan, à la vie poétiques ? Miroir pour les visages, oreille pour les voix, portée fidèle du rythme universel, le poème frémit tout entier en ce oui musical, cette disponibilité absolue que Pierre Dhainaut nous invite à incarner :
« Donner, donner sans crainte,
le don n’a pas de fin,
l’œuvre ou la vie changée en source. »
Florence Saint-Roch, Persévérance des brumes, illustrations de Vincent Rougier, Rougier V éditeur, 2022, 29 pages, 13 €.
Une grande minutie caractérise l’écriture de Florence Saint-Roch, où tournures orales et soutenues se mêlent et se complètent : « Vraiment je me demande / Ce qui se fabrique là-dessous / En d’invisibles poussées une très lente orogenèse ». Ce travail langagier correspond à une quête vitale (j’en sens l’urgence en la lisant).
Dans ce nouveau recueil, chacun des poèmes numérotés nous fait plonger dans les brumes d’un paysage de montagne, un climat ouateux et confus, où se hasarde un « je » inhabituel (lui est souvent préféré le « on » indéfini). Certes, ce « je » était déjà présent dans Essayer le bleu (éditions du Frau), un autre petit ouvrage dédié à la montagne. Celle-ci offrirait-elle à la poète l’assurance nécessaire – les assises, le repos – pour se risquer dans le paysage en assumant toute la singularité de sa personne ? Rien n’est moins sûr : en effet, la montagne s’effiloche tout au long de ce livre : « La montagne se déprend » ; « La montagne défait ses contours » ; « La montagne se volatilise » ; « La montagne se tient hors d’elle-même »… Elle acquiert jusqu’à la mouvance de la mer, empruntant aux brumes leur fluidité constante : « Marée haute ou marée basse / Retrait ou débordement / Comment savoir ? »
De fait, pour s’aventurer parmi ces brumes persistantes, toute boussole est inutile et le je se laisse vaciller : « La brume me fait perdre mes repères » ; « Je m’embrouille peine à rassembler les fils » ; « Même la trace du chemin a disparu » ; « Mes seules attaches sont l’herbe rase / Les éboulis que je sens sous mes pieds » ; « Mes pas tâtonnent ». Sans doute le mouvement lui-même est-il le repère par excellence, paradoxal mais bien réel dans la mesure où il garantit la persévérance, non seulement des brumes, mais du je en chemin : « Depuis quand la confusion / Empêcherait-elle d’avancer ? » Question profonde s’il en est, enjeu majeur ! Qu’est-ce qui nous fait nous mouvoir, sinon le mouvement vital lui-même, auquel presque personne ne sait s’abandonner ? Non pas le but – même si l’élan est celui d’une ascension -, ni l’évitement des obstacles, mais l’allant pur, nourri par cette incertitude qui fait le sel de l’existence. La préférence pour « l’ubac », cette zone d’ombre du relief, nous le confirme : « Tandis que les points cardinaux vacillent / Mon incertitude mûrit ».
En somme, la confusion est ici pleinement réhabilitée, à travers ce terme de « persévérance » qui dissout implicitement une expression familière : dissipation des brumes. Dans ce livre, nous quittons l’angoisse qui prévalait dans Au bout du fil (Musimot, 2022, avec Maud Thiria) face aux imbroglios de la mémoire. Comme dans Bouger les lignes (L’Ail des ours, 2021), tout varie tellement que les perspectives ne cessent de s’ouvrir : « La brume ouvre des possibles » ; « Grâce à elle les lignes s’effacent / Cessent de coïncider ». On peut y lire une manière de se relier autrement au réel, qui passe par l’interrogation féconde : « Comment savoir si je dois à la terre ou au ciel / Ces moments ouatés ? » Si la poète entreprend une démarche de connaissance (« je me demande » ; « comment savoir » ; « La montagne prépare des réponses » ; « Je tends l’oreille pour mieux voir », « je voudrais comprendre »…), il ne s’agit pas d’une compréhension intellectuelle mais intuitive et sensorielle, totalement incarnée : « Je veux pouvoir demander / A la laîche et à l’ancolie / La raison des équilibres / Goûter l’opportunité de les chahuter ». Et cela passe par un dessaisissement complet, jusque dans le langage : « Désapprendre mon ancienne langue / Pour mieux retenir la nouvelle ». L’opération est de nature alchimique, au sens spirituel du terme : « Dans ce passage au blanc / Les vieux mots se désarriment / Ma voix gagne des couleurs ». L’œuvre au blanc désigne bien le nettoyage, la purification, la suppression des habitudes et des formules où le moi durcissait. Dans l’état ondoyant que les brumes nous offrent, tout s’allège, devient propice : « Sapins et épicéas n’ont plus la charge / De la densité ».
À travers ce plein accueil des brumes qui enveloppent et cheminent comme des « oiseaux de haut vol », c’est le je lui-même qui se redéfinit, en dehors de ses contours ordinaires : « je dois lever les adhérences / Laisser flotter les rubans » ; « Moi aussi je dois me redessiner / Éviter de m’aplanir dans ce qui est » ; « Au plus profond du brouillard / Je sors des apparences […] ». Il se laisse ouvrir en grand, presque décapiter : « La blancheur se plaît au bout de toutes choses / On dirait / Cimes faîtes têtes / Elle épouse tellement qu’elle fait oublier ». C’est en cela que ce livre me semble précieux. Tant que les brumes persévèrent, le je aveugle se meut dans une durée neuve, ressent vraiment ce qui l’anime, le rend vivant. Il y a du lâcher prise dans ce recueil, du désir de se trouver en se perdant, par la grâce même de cette perte. S’il est demandé aux embûches de fondre, c’est qu’elles sont des repères fallacieux : « Les calcaires tels des doutes à dissiper ». Se trouver n’est pas atteindre le sommet qu’on s’est fixé – « Les cimes en méditation » se dérobent –, c’est plutôt se relier à plus grand que soi (« Un temps immense où je ne suis pas »), s’entraîner à « pressentir », en devenant poreux et vaporeux : « Persévérance des brumes / Leur enviable pénétration / Leur sens de l’à-propos ». Le je s’affirme comme pure fluidité lorsque son être et sa parole consentent à se déprendre, à se laisser contaminer, tout comme la montagne – par exemple à travers les assonances en « ou » : « brouillard », « pelouse », « éboulis », « lourds », « désavouer », « couleurs », « mousses », « flou », « rouge », « brouille », « doutes »… –, par la blancheur de l’indécis : « Les choses seraient tellement plus légères / Si l’on pouvait parfois / Se retirer / Justement décréter les brumes / Ne pas forcer le trait ».
Les dessins de l’éditeur-illustrateur sont à l’image de ce dessaisissement fécond. Sobres, ils accompagnent chaque poème par des lignes qui se cherchent derrière les nuages - sauf le dixième où la brume se change en un tracé qui épouse les contours du paysage. Une ligne bleue au sein du gris, en écho à cette blancheur immaculée qui imprègne les vers comme un éblouissement toujours promis, toujours possible, dans la vivacité d’une découverte perpétuelle : « Autour cesse de se ressembler »
Raymond Farina, Un Printemps sans fenêtre, suivi de Réminiscences, N&B Poésie, 2022.
Après un silence d’une dizaine d’années – respecté à l’image d’un « rite de stérilité » (Notes pour un fantôme, N&B Poésie, 2020) –, Raymond Farina avait renoué avec l’écriture au printemps 2015, sans chercher d’éditeur, comme s’il lui importait surtout d’alléger ses empreintes : « L’écriture est une trace dont le risque est d’en alourdir d’autres, laissées par l’existence. » (S. Dewulf dans Raymond Farina - L’oiseleur des signes, éditions des Vanneaux 2019, p. 117). Est-ce un hasard si l’œuvre entière du poète, par delà les formes de son écriture, se place sous les auspices de l’oiseau, dont l’avancée ne laisse pas de traces ?
Ce nouveau livre (le troisième depuis 2020) ne fait pas exception à la règle en s’ouvrant sur « l’évangile des mésanges » et se refermant sur « Ces fascinants passants de l’air »… Loin des mythologies et de la symbolique ancienne, l’oiseau de Raymond Farina traverse sans peser. Il est le signe aérien d’un rythme musical – l’octosyllabe en est le maître – et d’une ouverture intime : « je vais chercher dans ma mémoire / quelques pollens d’une sagesse / que sagement j’ai recueillis / en observant l’arbre et l’oiseau, / en rêvant leur vie invisible / loin sous la terre, haut dans le ciel : / car tous les deux ont un empire / ou, mieux peut-être, un Infini. » Une ouverture que rien ni personne ne réduira : de page en page, l’espace se déploie, allège chaque ligne. C’est « avec le vol d’une hirondelle » que le poète entend s’« offrir une buissonnière » entre les quatre murs du confinement, théâtre de la première série de poèmes : Un Printemps sans fenêtre.
Légèreté en liberté : d’emblée, l’humour entraîne le poète dans le néologisme (« Que je lysse en toute innocence, virgilement amarylisse »), la généreuse redondance (« sagesse » / « sagement », « premier » / « printemps ») et les rimes imaginaires, dans la lumière des langues de l’enfance : « sassafras avec pernambouc »… Sa poésie quête une délivrance dans les sons qui percent les sanglots, les vers d’autres poètes (Verlaine, Pouchkine…), les mots ouverts au « souffle du printemps ». Tout y danse et s’y transforme, même les pierres patientes, témoins d’une vie jaillissante : « N’impose pas un nom aux pierres / ni quelque parenté stellaire. / Ne cherche pas un sens en elle, / une langue d’avant Sumer »… Ces pierres dont les « secrets » sont « murmures et lueurs possibles, / fines rafales cristallines, / éclairs dans leurs lointains intimes ». Le poème transmue jusqu’à l’adjectif « confinés », joliment dissous dans les « confins du monde ». Tout ici se sait fragile et menacé (« car le mot qui était d’amour / peut aujourd’hui être de mort ») ; et pourtant, tout aspire à goûter, à sentir : « je te dis, que je veux, / approuvé par mon corps, / seulement vivre / chaque seconde / que mon temps semble / au Temps voler. » Dans cette époque insensée et l’âge qui s’avance, le poète-fantôme (« Chargé de [s]es quatre-vingts ans ») se change en funambule sur le fil « de secondes » qui sont autant d’« abîmes, / à cause d’un maudit virus ». La « distance » imposée par les circonstances devient alors celle des arbres, des papillons, des volatiles.
On se tromperait en y voyant un simple rêve ou un déni, un dos tourné aux souffrances du monde. Du reste, le désespoir, l’amertume et la colère ne peuvent disparaître. « À l’heure où [s]on carnet d’adresses / n’est plus qu’un vaste cimetière / où s’égare [s]on propre nom », le poète invite même le fameux « virus » à épargner les innocents pour s’occuper plutôt des « tristes sires » qui sont les « marionnettes de la Terreur ». Néanmoins, à quoi bon s’y complaire ? Raymond Farina revient plutôt à l’essentiel en ravivant notre lucidité, afin que l’homme cesse de se croire « le maître et possesseur / d’une nature qui, en fait, excelle dans la fantaisie »… Ainsi est rappelé l’ordre profond des choses : « Si je meurs, ce sera d’abord / de tout ce qu’a vécu mon corps, / de ce que mon âme a souffert / depuis l’instant de ma naissance / et, peut-être, avant que je naisse. » De la chute d’Icare aux enfers de Dante, toute mythologie s’efface sous une « Littérature » vivante où Raymond Farina puise « l’élément vital, essentiel » grâce auquel il peut « survivre » en y lisant, « entre les lignes du silence, / sur une voix vraiment humaine », une « innocente vérité ». Et dans le poème qui clôt cette première section, « La porte rouge », je lis une invitation à sortir du conte ou du sommeil, pour entrer dans le vif du sujet : puissions-nous pressentir la portée de ce « point » métaphysique qui essaime sous la forme de « trois points de suspension », les « lettres » mêmes « du silence »…
Dans ces retrouvailles avec la poésie pure, les Réminiscences sont de retour, traces discrètes, flottant dans l’Histoire cosmique. S’il sème encore quelques moqueries (il raille ainsi cette tendance contemporaine à compliquer ce qui se nomme si aisément, des crayons aux « outils scripteurs »), le poète, en cette deuxième section, convoque l’enfance, avant tout. Celle des « gosses d’antan », de toutes conditions (« du péché », « de l’amour », « de la guerre »), et de celui qu’il fut lui-même, « à jamais consanguin / de la mésange et du jasmin », dans la fraîcheur de ses langues natales, le maltais, le sabir, parmi tant de questions sans réponses, autour du nom du père, notamment… L’enfance comme un langage d’ailes, de déserts, de blancheur, comme la « première neige » où le monde « s’élève », qui du monde « nous enlève ». Ces échos d’un passé peuplé d’anges et de démons forment le refuge immaculé qui préserve des saccages du monde. Ils nourrissent une « patience » de galet, cette « pierre » dont le centre est un « soleil » irradiant « ce qu’elle a pris au jour / pour l’offrir à la nuit »…
Que fait ici le poète, sinon célébrer son immense « étonnement d’être en vie » ? Sinon nous aider à creuser dans nos murs de langage, « à cet instant où l’aube / vient soudain effacer / ton dernier cauchemar / ta dernière insomnie », la fenêtre secrète, le printemps sans mesure où nos ailes grandissent ?
Sabine Dewulf