Chantal Dupuy-Dunier, C’est où Poezi ? Editions Henry, 2017
Trois voyages, trois rendez-vous avec des pays différents : le Sénégal, Mayotte, le Liban. Chantal Dupuy-Dunier s’est rendue dans ces trois régions dans le cadre de manifestations poétiques. Elle livre, à chaque fois, ses impressions. Ce qui ressort, c’est l’exotisme, évoqué surtout à travers la nourriture, les sensations, le dépaysement, qui contrastent avec une réalité sociale ou politique difficile. Au Sénégal, il y a la chaleur, la pauvreté, les enfants des rues, les camions chargés de poisson séché, / hauts comme des immeubles, les cratères dans l’asphalte. Là-bas, les croissants de lune sont « en berceau », c’est-à-dire horizontaux, au lieu d’être verticaux. Ce pays a gardé des traces de son passé colonial. Mayotte est une île de l’Océan Indien, devenue département français il y a peu. C’est une île de senteurs, de couleurs, une « île-vanille » envoûtante, enivrante, une île de saveurs. Là-bas se trouvent des eaux turquoises jamais vues, d’un bleu inhabituel. Boulevard des crabes, / apparition de tortues brisant le calme de la / mangrove. Mais elle est aussi l’île de la mort, elle est île au double visage. Les chiens errants, lapidés par les hommes, agonisent sur les plages, les flancs lacérés. Les migrants venus des Comores deviennent des cadavres bleus flottant entre deux eaux, dans un gigantesque cimetière marin. Face à tout cela, à cette contradiction, le poète s’interroge : « C’est où Poezi ? ». Le Liban représente l’Orient, et la saveurs des aliments, loukoums, dattes, mezzés, lait anisé de l’arak. Les kakis rutilants, mûrs à point, / le raisin généreux, / la pastèque aux yeux noirs. Il est la terre de tant de poètes, de Stétié à Adonis, en passant par Chédid. Mais, c’est un pays marqué par la guerre, à deux pas, il y a des attentats, la voiture piégée, le sang, les morts.... Là encore, le poète s’interroge : « C’est où Poezi ? ». Le recueil s’interroge sur la place de la poésie dans un monde où la beauté exulte, mais où les tragédies ponctuent le quotidien. Il souligne l’ambivalence du monde dans lequel nous vivons, et sa relativité.
Nous nous abreuvons de la pulpe des pommes-cannelle.
Nous découvrons les petites bananes à la chair sucrée
vendues au coin des rues
par des marchandes au visage fardé de msindzano.
Assis à une terrasse dominant le lagon,
nous mangeons du poisson cru mariné dans le jus des limes,
de l’espadon au lait de coco et à l’ananas,
d’énormes pinces de crabes grillées.
(Mayotte)
Didier Henry, Instantanés. Faï fioc, 2017
Didier Henry est photographe, d’où, peut-être, le titre du livre. Il me semble, de fait, que son recueil est une succession d’instantanés de vie, ou comment les plus modestes manifestations de la vie de tous les jours peuvent être captées et développées pour en faire un tableau, dont les multiples composants forment un ensemble harmonieux.
Il y a un souci du détail, et le sens de l’observation de l’auteur apparaît évident : il aime évoquer les terrasses pleines / de filles, mais aussi s’attarder sur les cabanons populaires à proximité desquels les goélands se marrent les familles / digèrent, ou sur les démolitions et travaux en série qui ont modifié un quartier.
Ces Instantanés sont donc une manière de témoignage : rendre compte du monde qui l’entoure, qu’il soit rural ou urbain, chic ou populaire, apaisé ou bousculé, tel est le pari de l’auteur.
Le monde avec ses hiérarchies de classe, ses cols blancs pressés, ses pauvres et leurs vêtements de sport bon marché.
Il y a quelque chose du portrait social dans ce recueil qui, par moments, ne va pas sans me rappeler les photographies de Raymond Depardon.
Et, ça et là, des touches de bonheur, avec des poèmes évoquant la nature et la présence discrète d’animaux.
merle noir
sur le pavé gras de la cour
fond vert de l’hiver feuilles trempées
vers un coin bleu en haut du ciel
lève la tête en suivant l’oiseau
premiers bourgeons du forsythia
infimement le buisson brille
on n’ose dire printemps cet appel flûté
couleur dorée terre promise
feuilles froissées
le chat tacheté acrobate dans le lilas
manque son coup le buisson trille
en ces temps de disette au moins
une belle chose par jour
Chloé Landriot, Un récit. Polder n°174. Décharge/Gros Textes, 2017
Dans Un récit, nous assistons au début de la vie sur terre. L’eau, l’air, les minéraux, les arbres, les animaux et les êtres humains émergent peu à peu, et se mettent à cheminer ensemble ; l’un après l’autre, ils se répondent et se rejoignent, cherchant compagnie, filtrant avec la lumière, et du rythme vint la vie. Ainsi, au commencement était le mouvement. La genèse de la vie sur terre est, dans Un récit, caractérisée par la beauté et l’harmonie. Il n’y a ni bien, ni mal. Juste le mouvement. Vint la vie végétale / Fragile et têtue / Confiante sans espoir / Sûre / De ses racines / Sans souci du ciel. Les arbres sont des êtres vivants à part entière, ils se déploient, vibrent et pleurent, s’émerveillent aussi. Puis, vint le langage et les mots qui voyagent, et les récits anciens. Vint la parole originelle, celle qui avait pouvoir de création. L’amour était vivant. Chloé Landriot évoque ensuite la prise de pouvoir par les mots, quand certains hommes s’emparèrent de la parole pour dominer, à l’aide des discours. Mais, elle fait revivre le cœur pur des hommes par son récit, qui est un retour à l’harmonie originelle, un chant qui se déploie et célèbre la beauté de toute chose. Un premier recueil, avec une préface de Jean-Pierre Siméon.
Feuilles
Puits de fraîcheur où plonge la lumière
Sève
Sang végétal aux discrètes senteurs
Fruits
Qui jamais d’autre faim que du corps ne nourrissent
Et ne savent rien
Ni du bien ni du mal
Fruits faits pour le régal des oiseaux de passage.
Chloé Landriot, Vingt-sept degrés d’amour. Editions Le Citron Gare, 2017
Après Un récit, Chloé Landriot publie Vingt-sept degrés d’amour aux éditions du Citron Gare. Il semble que ce recueil ait été écrit sur plusieurs années, comme le laisse supposer l’incipit, daté de novembre 2005. Les premiers poèmes sont relatifs à la jeunesse, et se placent sous le signe de l’émerveillement et de l’amour.
Il y a notre amour
Notre amour toi et moi
Et puis notre amour d’hommes
Pour la beauté du monde
Pour le mystère des animaux qui comprennent tout
Et les plantes qui donnent.
Le goût pour la nature est prégnant : c’est le cœur chaud des arbres / Qui s’ouvre et délivre un parfum de terre fraîche.
Mais nous sommes ici dans le réel, le réel de la vie de l’auteur, sublimé par une voix qui convoque l’émerveillement et la beauté. Tout irradie dans ce texte, les poèmes d’amour comme les poèmes de solitude. Le recueil est traversé de faisceaux de lumière qui nous touchent tant ils sont puissants. La vie est solaire. Les amours, l’amitié, la rencontre avec Antoine, le mariage, la maternité... les moments de plénitude se succèdent.
Il y a dans ces textes une fraîcheur et une spontanéité qui ne laissent pas indifférents, une manière d’aborder la vie empreinte de lucidité et de tendresse.
La lumière et le parfum
Les tulipes et les roses
Les délices de la vie
Le sommeil après l’amour
Je mange le pain de vie
Et je bois le vin de vie
Khayam
Je t’entends dire tout bas
Que je n’emporterai rien
Jean-Baptiste Pedini, Le ciel déposé là. L’Arrière-Pays, 2016
Il s’agit d’une poésie visuelle. L’aube naît dès le premier texte, elle libère l’ocre du ciel. Jeu de couleurs. Dans la chambre, restée à distance, il y a l’or de l’éveil. Les rêves s’élèvent, comme des bulles. C’est le matin. Les draps tiédissent. D’un côté, la vie dans la chambre, de l’autre, la vie, immuable, celle des éléments, du cycle du jour et de la nuit, une vie qui est personnifiée. Ainsi, le matin tousse discrètement. Parallèlement, les habitants de la chambre restent à distance, tout juste désignés par on ou quelqu’un. Ce qui prédomine, dans ce recueil, c’est une atmosphère, évoquée au travers de courts textes en prose. Une impression d’apesanteur et de légèreté. Pourtant, il y a des ombres. Personne ne bouge de peur que ça déborde. Malgré le calme apparent, une menace plane, comme un orage qui, finalement, n’éclatera pas. Ici et là, les mots. Ils font venir la lumière. Il faut se remonter les manches et tordre les mots crus et s’armer de mélancolie pour faire barrage à la tempête. Alors, l’éclaircie vient.
La lumière coule à pic. On la sent glisser dans nos gorges. On frissonne, on a froid et pourtant tout est si limpide. Le noir s’étale par à-coups. Sans contours. Sans relief. C’est probablement mieux.
Romain Fustier & Amandine Marembert, brique pilée. La Porte, 2017
C’est la première fois que Romain Fustier et Amandine Marembert écrivent un texte à quatre mains. Leurs écritures respectives sont ici clairement identifiées, de par les caractères en italiques des textes d’Amandine Marembert, mais aussi parce que chacun a un style qui lui est propre. Les textes se répondent, établissent une forme de correspondance à distance. Elle, est partie au bord de la mer du Nord, dans une cité balnéaire de Flandre-Occidentale. Lui, l’imagine au loin, rapporte ses paroles, entendues au téléphone ou lues sur la messagerie. Romain Fustier, à partir des paroles rapportées, tente de se représenter le voyage de sa compagne, le train, puis la mer, les brasseries où elle s’attarde. Amandine Marembert évoque des détails visuels, comme le disque orange du soleil mangé par l’horizon de dix-huit heures / les cargos croisant au loin / leurs lueurs rouges allumées dans la nuit. Elle écrit des textes-cartes postales. Ce petit recueil est touchant, empli de tendresse et d’attention réciproques, de pépites faisant affleurer les souvenirs et les sensations à la manière d’une madeleine de Proust.
son retour de la mer vivifiant dépaysant belle époque elle narre
ce que tu tentes d’imaginer à distance de cette capitale
où elle se réveille à présent peut-être avec la lumière
plein la tête sur les ajoncs de dune qu’elle mentionnait
les couteaux échoués hier cette étoile de mer vivante les cargos
au loin les rouleaux mouettes en groupe sur l’eau mares
sur le sable ai pris des photos pour toi mon amour
Marilyne Bertoncini, Aeonde. La Porte, 2017
La rêverie commence dans un jardin où une grive s’active, frottant de la pointe du bec / les écailles rouillées de la grille fermée. L’image de la rouille convoque celle de la bruine et de l’eau, et, par là, celle du reflet. Le voyage se fait dans le miroir de la mémoire, dans lequel le poète se mire, comme dans le reflet de son propre visage. Le monde spéculaire ouvre sur l’infinie / blancheur / où naissent les étoiles. Surgit alors la figure d’Aeonde, divinité imaginaire née de la contemplation du poète des peintures de Monsû Desiderio. Cette divinité convoque le sombre, l’abolition de la vie, les feuilles mortes, les âmes en exil. Les allées sont jonchées de mains / coupées. Les derniers textes évoquent la débâcle du monde. Peut-être un monde antique qui n’existe plus, et dont il ne reste que les ruines d’une ville. On retrouve bien ici le goût de Marilyne Bertoncini pour les mythes et l’antiquité, ainsi que pour la rêverie et l’imaginaire, déjà présents dans La dernière œuvre de Phidias (Jacques André éditeur, 2017).
Enfin s’éteint
cendre dans le silence
le sibyllin murmure lentement
linceul couvrant la bouche
des ombres endeuillées
Valérie Canat de Chizy