Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite. Les Carnets du Dessert de Lune, 2017
Cécile Guivarch nous offre un nouveau livre sur ses racines et la mémoire familiale. Dans ce recueil s’entremêlent deux histoires : des poèmes épurés pour évoquer son grand-père maternel parti à Cuba, et qu’elle n’a pas connu, et des proses simples pour parler de ses souvenirs d’enfance, quand sa mère lui racontait l’histoire de sa famille espagnole. Dans les poèmes, Cécile tente d’imaginer son grand-père lorsqu’il quitte femme et enfant pour s’exiler. Elle essaie de comprendre. Elle compare son grand-père à un oiseau.
Tu es un oiseau sur une île.
Les vagues s’écrasent sur les rochers.
Au loin tout s’est éloigné.
Ton île est-elle un ciel bleu
ou juste plus de pierres
un peu plus de murs ?
Sans nulle part d’où venir.
Mais, dans l’Espagne qu’a quittée le jeune homme, c’est la guerre, le sang coule. Au village, les mères attendant leurs fils disparus. L’homme qui est parti semble avoir abandonné les siens, avoir fui pour trouver une vie meilleure.
Avec les textes en prose, Cécile se souvient des petits-déjeuners de son enfance, quand elle mangeait des tartines de confiture et que sa mère lui racontait les jours d’avant. Elle parle de ses origines espagnoles, de l’accent de sa mère, venue vivre en France. Elle parle des langues qui se mélangent, la paternelle et la maternelle. Elle s’interroge sur la langue espagnole, qui est celle de ses ancêtres, mais à laquelle elle se sent étrangère ; sur les frontières qui séparent, alors que ses cousins et elle sont d’une même lignée. Elle est la petite fille aux questions. Elle pense à son grand-père inconnu. Celui qu’elle connaît, n’est pas son vrai grand-père. C’est comme si quelqu’un manquait à son arbre généalogique. Elle ne parvient pas à l’oublier. Elle voudrait lui pardonner. Quand le même sang coule dans les veines, cela tisse des liens, par-delà les frontières.
On me dit de te taire.
Comment puis-je te faire cesser de me parler,
tu me montes sur la langue et y viens en entier.
Te taire pour m’éloigner de toi.
Qu’en savons-nous du silence quand tout nous relie ?
Je suis issue de toi et je te poursuis.
Tu me coulais dans le corps avant même ma naissance.
Mélanie Leblanc, Des falaises. Cheyne éditeur, 2016
Des falaises, publié chez Cheyne éditeur, nous met au contact avec les sensations. Le sujet s’efface pour laisser place à la perception. L’espace, le vent, l’infiniment grand et l’infiniment petit... L’écriture, dépouillée, va au plus simple, elle est tout en ellipses, ce qui accroît encore sa force de suggestion. être haut et voir loin // dans le libre / ouvert. L’ouvert est en effet prédominant, le cœur est grand, le corps s’ouvre aux éléments, à soi à l’autre / au monde // pleinement.
bouche ouverte
en plein vent
manger la mer
l’air
la lumière
Depuis la falaise, l’être est dans une présence accrue, démultipliée. À tel point que le monde, les éléments, deviennent cosmiques. Le corps n’est plus séparé, il est en osmose, ouvert, il reçoit. Il devient alors à la mesure de l’univers. Puis, Mélanie Leblanc s’attache à la falaise elle-même, à la fois horizontale et verticale. La falaise comporte des lignes, des strates, couches de temps, mémoire aussi. déchiffrer / les portées du silex. La falaise devient la métaphore de la dialectique plein/vide, noir/blanc. Le noir, que nous portons en nous, alors la lumière, comme un espoir. La falaise est intemporelle, mais pas invulnérable. Face à la peur, elle nous donne de sa force. Car la falaise, c’est aussi la peur, le vertige, l’endroit d’où l’on peut tomber. La tendresse, la douceur, pourtant prédominent, car du pointu coupant tranchant / peut devenir du doux / chantant, car il est beau de mourir tous les jours un peu, car nos falaises n’en finissent pas de tomber. ça croule puis ça roule / s’en va trouver / la douceur du galet. La vie est faite de petites morts et de résurrections, cela incite à être humble, et léger.
accueillir
ce qui falaise en nous
les fissures
le fragile
et cet élan vers le ciel
Cécile A. Holdban, L’été. Al Manar, 2017
L’été de Cécile A. Holdban n’est pas le livre d’une saison. Il est une invitation à l’harmonie, une harmonie trouvée au contact de la nature. Celle-ci englobe tant le végétal que le minéral et l’animal ; elle est proche de l’homme, va au plus simple, ainsi les fleurs de pissenlit, les abeilles à la ruche, les truites à la source. Ainsi les pâquerettes de l’illustration de couverture, signée bobi + bobi.
L’été, c’est cela, un univers préservé dans un écrin de nature, la beauté, la pureté, qui forment un halo protecteur.
Les roses suspendent un drap bleu aux fenêtres
je reste derrière
ce monde soluble dans la lumière
où les pierres brûlent et renaissent sans qu’on les voie.
Il n’y a pas de séparation avec le végétal, les pommes rouges sont de petites joues à la peau ridée, il n’y a pas de séparation entre soi et le monde.
on sent l’eau du dedans et le sucre à la bouche
mais seul le rouge reste.
L’été, ce sont aussi les souvenirs de l’enfance. La fillette à la robe de coton dans les senteurs des pins coupés de la veille, dans le parfum de mûres, de résine, de sarriette. Le recueil contient tous les souvenirs des senteurs du végétal, venus de l’enfance.
La nature de Cécile A. Holdban est une forêt de symboles où se nichent des présences invisibles. En elle se trouvent des esprits, comme ce grand orme rouge abattu par l’orage, qui se fond avec le visage d’une personne chère. La poète convoque le spirituel, le divin. Les oracles, les dieux, ne sont pas loin.
L’été est la part lumineuse du monde, et la poète voudrait l’étendre le plus possible en célébrant la vie, une vie vibrante et solaire, même si celle-ci coexiste avec l’autre versant du monde, celui de la mort et du sang. Quand la mort rode, la beauté, l’harmonie disparaissent : les régions de nos morts son privées de signes.
Charles Desailly, On dirait que le temps tourne en rond. Éditions Henry, 2017
Le recueil de Charles Desailly a reçu le prix des Trouvères 2017. J’ai beaucoup aimé les souvenirs d’enfance de la première partie. L’enfance semble avoir été vécue par l’auteur comme une parenthèse enchantée. L’été dure longtemps et les draps ont l’odeur du jardin. C’est les années 60. Il n’y a pas encore d’écrans et les gens prennent le temps de se regarder. C’est l’époque des plaisirs simples, avec les jeux de boules plastiques, les albums de Tintin, les livres de la bibliothèque verte, les personnages de série B. Les miettes de vie se ramassent avec les doigts mouillés de larmes de bonheur. Charles Desailly semble avoir vécu son enfance des étoiles plein les yeux, des rêves plein la tête. Je peux courir dans la neige et tomber sur le dos pour boire le ciel comme un bol de lait. Puis, un jour, le désir prend toute la place. C’est l’épreuve du désir et la fin de l’enfance. À l’âge de la jeunesse, vient le sentiment de solitude. La souffrance suinte d’une blessure neuve. La puissance des affections use, c’est la violence des perditions sexuelles. Le noir recouvre la couche des jours. Éclaboussés par une nuit soudaine on s’accroche au souvenir du corps de l’amour. Enfin, la troisième partie aborde l’âge de la maturité : la conscience s’aiguise, le besoin de calme et de rêverie s’installe. La vitesse du réel s’affaiblit. Besoin de cueillir les fruits du jardin, d’en faire des confitures. Le plaisir de respirer est infini. Bien sûr, la mort frôle parfois, mais elle ne s’arrête pas. Les moments d’innocence reviennent, tout comme les souvenirs d’enfance. Charles Desailly nous parle des âges de la vie. Il nous touche avec une écriture sensible qui sait dire le passage de l’enfance à l’âge adulte, le moment de la jeunesse où l’on perd le sens de la beauté car l’on est attiré par les sensations fortes, et le moment de la maturité où l’on est, de nouveau, attiré par les choses simples.
Marie-Anne Bruch, Haïkus des quatre saisons. Encres vives, 2017
Dans la quatrième de couverture, Denis Hamel décrit le recueil de haïkus de Marie-Anne Bruch comme composé de bulles de sensations vécues dans et au contact du monde. Cette image des bulles me plaît bien, car elle renvoie aux reflets du réel, à la légèreté, mais aussi à la fragilité, celles-ci pouvant éclater à tout moment. Ce sont des impressions, des perceptions, des sensations qui se succèdent au fil des saisons. Instants fugaces saisis sur le vif, comme le chat qui baille dehors et fait de la fumée. Marie-Anne Bruch semble capter des parcelles du réel, fines et légères, pétillantes aussi. Les perceptions sont habitées, avec le jeu de la personnalisation, qui nous fait ressentir le monde extérieur.
Pour la Saint-Sylvestre
La forêt a les cheveux blancs,
et de longs bas noirs.
Les haïkus de Marie-Anne Bruch dépassent le principe d’impersonnalité, d’une part en personnifiant le monde extérieur, et d’autre part en mettant en avant la subjectivité de l’auteure, qui parle parfois à la première personne.
Cette jeune femme
trouve mes poèmes féminins
Envie d’éternuer.
Il est aussi question d’amour, et en cela, la poète parle de ses sentiments. Des images surgissent, inattendues.
Fête de la musique :
Sous l’assaut des décibels
il pleut dans ta bière.
Ainsi cette plaquette se caractérise-t-elle par une forme de tendresse et de spontanéité de l’auteure dans sa façon de percevoir le réel. Une tendresse teintée de fragilité et tout en légèreté.
Valérie Canat de Chizy