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Les petites notes de Clara Regy

samedi 15 juillet 2017, par Cécile Guivarch

  • Sans Abuelo Petite, Cécile Guivarch, Éditions Les Carnets du Dessert de Lune, 2017, (très belle) illustration de couverture : Sierra II de Jérôme Pergolesi

Cécile Guivarch « la petite fille aux questions » pour reprendre l’épithète homérique qui ouvre la préface de Luce Guilbaud, n’est pas femme « aux mille ruses », mais elle a tout même l’art de nous amener avec elle dans son cheminement...
Ou plutôt de nous mener par le bout des mots... Cet ouvrage est multiple, on pourrait presque dire en trois partie,s sur une trame historique presque documentaire. Cécile Guivarch donne la parole aux siens à ceux qui l’ont construite qui lui ont permis « d’être » ! Même si cette « construction » se frotte à la souffrance des autres :
« Chaque fois que ma mère parle au petit-déjeuner je suis en Espagne.
Ma mère parle toujours de là-bas. Et quand elle est là-bas elle parle d’ici en disant là-bas ».
« Ici il pleut ».
Pudeur de la mère ? Pudeur de l’enfant ? Il y a du chagrin dans cette pluie-là !

Mais aux paroles de la mère, celles de l’enfant en écho : l’Abuelo invisible entend tout cela... certainement.

Je ne connais pas ton visage
Dans mon enfance, ce n’est pas toi.
C’est un autre qui ne me prend pas la main.
Tu tends les bras ils vont se décrocher.
Jamais tu ne pourras m’embrasser.
Seulement t’asseoir face à l’océan .
Où rien ne me dessine.

Seulement les vagues.

À ces paroles multipliées s’ajoute une voix presque timide, en italique au sommet de chaque page comme un petit chapeau...
Écrire avec ce que nous sommes devenus
hier ce n’est pas vraiment hier

c’est encore aujourd’hui

Ainsi « la petite fille aux questions » est devenue femme et ce questionnement particulier sur l’origine, les déraillements du temps, les séparations et les mensonges ne peuvent que nous toucher.
Cette recherche est universelle et dans cette écriture résolument sans effet on fait aussi le tour de... notre histoire.

  • Je porte la merveille, Laurence Lépine, Editions Henry, 2016

Je suis bien sûr, particulièrement attentive au « chemin » de ce recueil puisqu’il a obtenu le Prix des Trouvères cette année...
Le titre Je porte la merveille projette un dessein audacieux certes, mais c’est un ensemble délicat et plein de retenue que je tiens entre mes mains.

Si l’on peut y découvrir, peut-être, les effluves de la myrrhe avec l’ouverture du recueil :

Marchent les hommes
à découvert
ceux dont le cœur s’alarme
parcourent dans le sang
leurs trois étoiles éteintes
.

Les dieux de l’Olympe ne se régalent-ils pas aussi de la « Mer d’ambroisie » ?

Ainsi les humains et « les dieux » avancent sur les lignes de l’ouvrage :
« des chants d’enfants /aux paroles des noyés » s’y dessinent, mais aussi « une bouche sur laquelle écrire » pour inventer, se souvenir ?

Nous avançons donc, liés par un même destin, « Tu portes en toi/les gestes de ceux qui te précédent » gorgés du passé et vibrant tout à la fois du présent « Je brûle/comme brûle le feu/m’éteins/recommence/sans cesse » ou la marque essentielle d’un « je » multiple est frappante.

Ainsi nos pas guidés par des paroles profanes ou sacrées nous mènent vers le plus grand mystère...

Cependant « une femme/ à Paris/se cache derrière un arbre »,
cette femme n’est-elle pas tout simplement à notre image, à la fois effrayée et heureuse, présente dans « l’entrelacement des jours »...

comme si le monde
n’était qu’une chose
à paraître ?

Un texte qui fouille, interroge, remue... Un très beau texte vraiment.

  • Que n’ai-je, Jean-Claude Martin, éditions Tarabuste, 2016

Un texte décliné en cinq opus dont le titre s’inspire bien sûr d’Apollinaire (repris aussi par Bashung et Keren Ann), c’est dire...
Difficile en quelques mots de présenter cet ensemble, le poète a résolument les yeux ouverts sur le monde végétal, mais c’est aussi celui des hommes puisqu’ils se ressemblent... « Il » s’avance en lumière « Le jour filtre à travers les volets », en couleurs « Un tapis de feuilles rouges », en humour aussi « Le temps se hume et se respire, mes trois oreilles voient l’odeur d’été d’un bouton d’or. »
Ici l’humour comme un petit paletot qu’on enfile quand il fait froid au dedans.
« J’ai rajouté un pull pour t’oublier ».
Peu importe la matière, drap ou laine, besoin de quelque chose sur les épaules pour regarder
« les avions » qui passent ou (pour regarder)
« s’enfuir les choses par la vitre arrière d’une automobile ».
Parfois c’est bien de ne pas savoir où tout se sauve...

Le poète est cependant toujours debout et compte ses vies et ses enfances, ses chagrins, ses flocons de neige sur « son petit chevalet à poèmes », engueule le lac « gèle donc ton claquoir », et ramène ses activités corporelles au bonheur « Agréable d’uriner où on a envie » et ce n’est pas « pisser dans un violon »... (!)

C’est toute une vie qui tient dans ce texte, c’est délicat de parler de la vie de l’autre, tout à la fois fragile et forte de l’enfance, de l’amour et du temps, cette vie qui s’attache aux regards, à l’observation du « dehors » pour dire le « dedans »...
Ce rôle endossé par les saisons, les jours et les nuits, c’est la voix du poète, celle de ses mots qui ont bien voulu jouer : il a su les convaincre et... nous aussi.

Ta vie s’arrête sur le bord d’une rivière, une belle après-midi de mai. Illusion courante : il fait beau, il fait clair : on croit que plus rien ne va bouger. L’eau n’a pas de rides, le vent n’a pas de haine : tu pourrais presque t’arrêter de respirer... Tu roulas vite ensuite pour rattraper le temps perdu.

Tout tient dans cette si belle distance...

  • Débile aux trois quarts, Patrice Maltaverne, Gros textes, 2017

Avec un titre comme celui-ci on se demande où la débilité va se nicher et surtout qui saura sauver le quart manquant : l’auteur ou le lecteur ?
Parée de cette curieuse angoisse, j’ai feuilleté l’objet et souri souvent mais pas seulement. En prenant le contre-pied du « bien dire » du « bien pensé », il en dit des choses le monsieur !
Mais avant de proposer quelques extraits, j’aimerais faire un « petit » point sur les titres, je regrette même qu’ils ne soient pas notés dans une espèce de postface organisée : un nouveau texte y serait né !
« Un p´tit jardin pour les cons », « Trop tarte », « Tant qu’il y a matière », « Ouille » « Moi aussi j’aime les sen-timents » ! Si ma démonstration ne vous convainc pas, vous pourrez essayer... vous-mêmes !

Soleil d’inertie
Une pointe de soleil
Tenue comme celle d’un bic
Hésite sur le seuil des bars
Et déjà
Sont avachis vautrés plusieurs rangs d’humains
Tous si pareils
Que le bonheur doit tenir
Dans un fessier assis ...

  • Ou l’observation-

J’ai pas le style
... Aimez-moi
Sans boucles d’oreilles
Et sans tatouages
Je me mets la pression même
Sans cuissard de cycliste
Pardonnez-moi si je n’ai pas la barbe
Du père Noël...

-Ou la provocation-

Je ne sais si ces exemples sont les plus parlants, mais il y a dans cet ouvrage bien d’autres péchés « capiteux », alors pourquoi s’en priver ?

Clara Regy


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