Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

Accueil > Bonnes feuilles > Hep ! Lectures fraîches ! Juillet 2018

Hep ! Lectures fraîches ! Juillet 2018

mardi 10 juillet 2018, par Cécile Guivarch

Et même le versant nord, Pierre Dhainaut, Arfuyen

« Oui, la vie est un souffle, il passe / quand nous croyons qu’il meurt ». Pierre Dhainaut est à lire lentement afin d’accueillir la profondeur de chacun de ses textes. Arrivé à la fin du recueil, le relire pour continuer de laisser infuser la magie. Pierre Dhainaut touche autant l’intime que l’universel. Soulève des questions sur la place de l’homme dans le monde, le sens de la vie. Chaque mot résonne. Prendre son temps car le temps passe en laissant la mémoire. Pierre Dhainaut revient sur l’enfance, l’apprentissage de la parole. Une manière d’écrire, avec des mots simples et une poésie ancrée. Une écriture subtile et délicate. Mémoire mais surtout transmission : « nous amenons le soir, / à nos enfants le poème, le matin ». La langue à sens multiples force le lecteur à prendre la mesure de cette poésie. Le texte contient la musique des vers mais est porté par la prose, une force d’évocation. « Les poèmes non plus n’expliquent / comment aller de proche en proche, mais ils espèrent / sans défaillir, lorsque le soleil ou le vent / tardent à reparaître, ils instaurent l’espace / favorables aux arbres, à la neige ». Les arbres ont une grande importance, ils nous aident à grandir. Tout comme l’enfant et le poème : « Pas plus qu’un enfant un poème / ne t’appartient pas, il te force à grandir ». La neige a aussi une place importante, évoque l’enfance et/ou les larmes qui fondent. La trace laissée avant de s’éteindre, comme l’héritage laissé par les peintre, Géricault ou Giacometti. Comme on s’obstine à peindre jusqu’au bout, car une œuvre est à poursuivre, tout comme notre vie. « Prenons en nos bras les enfants / initions-les à l’observation des nuages ». Car « les mouettes, tout l’été, enseignent à voler à celles qui leur succéderons ».

 
 

L’enfant avait toujours un pas d’avance,
mais tu le rattrapais, d’une main ferme
tu lui montrais les arbres, les hauts arbres, tous les arbres,
tu disais « hêtre » ou « frêne » ou « tremble »,
ces noms ou plutôt ces prénoms affectueux
puisque chacun à sa façon vacille,
adhère aux vents, il répétait fièrement avec toi
« le hêtre », « le frêne », « le tremble », pour le plaisir
de savourer les sons qui nous sauvent
de l’isolement : de l’autre main ensuite
tu lui touchais la nuque, et par-dessus les murs
vous étiez dans le chœur du temple,
les vents vous saluaient.

La soldanelle et le cheval, Françoise Delorme et Mira Wladir, Aquarelles de Marianne K. Leroux, L’atelier du Grand Tétras

Les poèmes, les regards se superposent. Les voix de Françoise Delorme et de Mira Wladir sont « comme autant de mots / elles ont pu s’asseoir côte à côte ». Deux langues tellement proches que le lecteur ne sait pas les différencier. Les écritures sont belles et traduisent l’élan d’écrire « ensemble », emmènent où le lecteur ne pouvait soupçonner. On se laisse emporter par la beauté des mots, la force d’évocation de la nature. Françoise Delorme écrit : « elle désire le soleil / mais pas trop ». Ce « elle », cette soldanelle, puis le « il », le cheval, glissent sous la plume de chacune des auteures, en communion. La force du mot et de la grammaire, la langue : une poésie se déverse au creux de ces pages. Le lecteur aura envie de relire le livre pour s’imprégner de sa lumière, de la nature dans toute sa splendeur. La vie et l’immobilité, la neige et les couleurs, l’espace des champs, des prairies, des forêts et du ciel. Du silence, de la solitude (mais pas tant), de la mort, mais surtout de la multitude, du soleil et du cœur. Deux soldanelles unies ici par le pouvoir de la langue, leur approche poétique de ce qui unit le ciel et la terre.

 
 

elle ne parvient pas à se défaire des champs
non parce qu’ils sont restés dans l’enfance

l’odeur de la terre remonte
d’avant la poussière
lui colle aux pattes
plus crue plus fiancée

il sera question
de la forêt

*

Elle
est

immobile est ce qu’elle
est d’abord

du vivant immobile
soleil et terre

on se couche
dans l’humidité qui monte
sous nous

du mauve
dans l’œil

Ils dorment, Christiane Veschambre, L’Antichambre du Préau

En ouvrant ce livre, je ne savais pas que j’allais y trouver un formidable texte sur Paterson de Jim Jarmusch. Pourtant, dès les premières lignes, celui qui a vu le film comprend. Ils dorment, cela renvoie à l’affiche de cinéma et aussi à sa première séquence. C’est ainsi, par ce titre, cette séquence que Christiane Veschambre débute son texte et retranscrit à l’identique ce que les cinéphiles ont vu. Christiane Veschambre rend l’atmosphère et la sensibilité du film qui est de bout en bout un poème. Paterson… Ou la semaine d’un chauffeur de bus, Paterson vit dans la ville de Paterson. Il consigne chaque jour dans un carnet un poème écrit durant la pause déjeuner, assis sur le même banc. Poème pensé dès le réveil, poème répété et peaufiné en conduisant. « Écrire le poème est concret et invisible ». Une poésie du quotidien. Ils dorment et se réveillent chaque jour l’un contre l’autre, Paterson et sa compagne, la tendresse des corps, le monde autour du poète, le stylo, le carnet, la petite boîte d’allumettes qui fait l’objet d’un poème, la peinture des rideaux, la cuisine, l’admiration pour l’être aimé. Ce que souligne Christiane Veschambre et sûrement l’a émue, c’est « ce travail intime que toute parole publique ignore ». C’est l’ordinaire des petites émotions quotidiennes, la perception de celles-ci lorsqu’elles se composent en poèmes. L’écriture de Christiane Veschambre est sobre, lente, comme le film. Le ton de ce livre rend bien compte de ce quelque chose à peine visible : la poésie. A lire Ils dorment, on a envie de revoir le film et même d’ « ouvrir des poèmes à suivre » comme les jours de la semaine.
(pour se procurer le livre, 8€ : 145 bis avenue. de Choisy 75013 Paris)

 
 

Cela sera le mardi.
Le mercredi, le jeudi, le vendredi, la journée s’ouvrira sur leurs corps reposant l’un dans la présence de l’autre. Nous ne verrons pas leurs nuits, nous ne verrons pas le secret de leurs corps émus, mouvants, nous ne l’imaginons pas non plus, nous le savons dans notre propre corps amoureux, nous le reconnaissons, leur secret, dans la présence de l’un à l’autre de leurs corps endormis.

Le mercredi, le jeudi, le vendredi, il accomplira les mêmes … choses ? Sont-ce des choses le vivant de nos jours ? Dans le carnet chaque jour un poème se déposera.

Ajours, Hélène Lanscotte, éditions isabelle sauvage

Ou comme l’indique le sous-titre : 43 ouvertures pour commencer le jour. Une écriture fine qui nous emmène ici et là, tourne et revient, ouvre des fenêtres ou bien les referme. « Pas seulement », comme amorce à chaque poème, pas seulement et une écriture toute en paradoxe comme celui contenu dans les jours et ce qu’ils ont d’ « affolement », de « tremblé » et de « lumière ». Hélène Lanscotte travaille la langue, la syntaxe, et on se « laisse attraper doucement » car c’est une langue qui « extrait les choses » et « pas seulement la macération en soi » car il faudrait « encore tenter le cœur » devant « l’urgence de la vision la vérité qui guette ». Dans la succession de contradictions, Hélène Lanscotte nous entraîne vers des associations assez inattendues, par exemple : « ses pensées sur les rampes d’escalier ». Sa voix est originale et rythmée. Elle interroge sur l’écriture, le travail de la langue à inventer.

 
 

pas seulement se perdre dans le bois d’autrefois

mais se perdre sur les routes secondaires à lire branches
mortes croisées sur lignes vertes en suivre les traces de
jeunesse chez l’autre rides de naissance vieilles prises
vieux plis

encore traverser les couches d’épidermes transvaser le
moral d’un bac à l’autre pépites abruptes joies du jour
beautés très belles moins belles

encore brusquer inadvertance

L’année où ma mère est née au ciel, Christophe Jubien, Association francophone de haïku, collection Solstice

Quel titre magnifique ! Christophe Jubien, devenu orphelin, évoque sa mère, son enfance avec ces haïkus. Cette forme permet, tour à tour, d’adoucir la mort ou bien de la rendre si fulgurante que le lecteur en est ému. Évoquer le deuil de la mère, c’est revenir à l’enfance, faire resurgir les souvenirs, les évoquer par petites touches, des images prises sur l’instant mais devenues puissantes dans le cœur adulte. Évoquer le deuil de la mère, c’est également le quotidien qui continue, comme la nécessité d’acheter le pain. Dans ces haïkus, la douleur est présente, la boîte aux lettres emplie de journaux qui pourrissent. Après avoir hurlé, le temps est venu pour Christophe Jubien de s’étirer. En effet, naître au ciel, ce n’est pas mourir réellement.

 
 

Une année sans fruits
l’année où ma mère
est née au ciel

L’écorce terrestre, Jean-Pierre Chambon, Le Castor Astral

La force d’évocation de Jean-Pierre Chambon est ce qui m’a touchée à la lecture de L’écorce terrestre. Livre en plusieurs parties, plusieurs poèmes qui suivent un même fil conducteur : la lumière et son exil. Des vers courts, en forme d’interrogation souvent, et la magie de la langue qui opère. Jean-Pierre Chambon sait manier les mots, les images. Il amène, petit à petit, le lecteur sur des sentiers insoupçonnés au début du recueil. Car s’il y a du sang, des murs sans matière, une cave infestée de chaux et de souris et le « défaut de lumière », il persiste néanmoins la lueur, une ombre de joie, une fenêtre étoilée. Il faudrait commencer le livre de Jean-Pierre Chambon par la table des matières : Spéculation sur le défaut de lumière, La cendre, l’écume, Œil de méduse, Champ de tournesols, embrasements et ténèbres, L’écorce terrestre, La poussière, le silence, Le nom dans la pierre, Bonhomme de neige s’effondrant. Cette trame évoque aussi bien l’ombre que le brasier, une lumière très présente en même temps que le symbole de l’enfance s’effondre. Le lecteur accueille le pouvoir des images, la beauté de la langue. Il assiste au spectacle de cette lumière qui tend à disparaître, à se faire fantôme, alors qu’il subsistent tant d’éclats. Par petites touches, on regarde le monde, ce monde d’aujourd’hui avec ces villes tombées en poussière, les nageurs devenus naufragés. Le regard, celui du poète, rend compte du ciel devenu noir mais où « un rai de lumière fait par le chas de l’aiguille » persiste. « On croirait qu’un secret mouvement travaille à séparer des ténèbres des écailles de lumière ». Le poète et son rôle dans le monde : « j’écris dans le nuage de cette dispersion, dans le vacillement des alphabets » mais « la terre reste muette »…. Le poète est témoin, l’œil, le regard sont ses outils de travail : « Je regarde une chenille de braise devenir papillon de cendre sur la pupille des fleurs hypnotisées ». Même lorsque tout brûle, il s’agit de s’efforcer à voir ce qui « sépare de l’autre bord / celui de l’origine // ou mène vers une fin »… C’est toutefois assez tardivement dans le livre que le lecteur prend conscience de quel désastre terrestre il s’agit et de cette clarté, cet espoir, qui perdure malgré tout. Là où « la lumière tombe en poussière », il y a le silence et le poète témoin d’une « sauvagerie sans nom ». Sont évoqués la lumière, l’ombre, les ténèbres, le ciel, la mer, le vent, les fleurs, mais les mots ne sont pas directement écrit, la poésie seule est capable de cette force d’évocation. Il pose le tableau d’un champ de tournesols qui brûle pour évoquer l’indicible, l’impensable, les corps mutilés, les villes tombées en poussière. Écriture pour ne pas oublier. « Il semble qu’un corps écrit dans la pierre étouffe encore un cri ». La dernière partie est concentrée sur le « je », libère la parole, laisse la larme couler de l’œil. Livre remarquablement construit.

 
 

Ce que l’on nomme absence
ne désigne pas le rien
le vide

l’absence retient l’ombre
de la présence

de même que le silence
bruisse de voix tues
de cris éteints
de soupirs

l’absence
est encore habitée

de la présence disparue

Les travaux de la nuit , Lucien Noullez, éditions du Pairy

« Pour vivre il faut rêver » : voici ce que nous propose Lucien Noullez dans cette série de petits textes qui semblent avoir été écrits sur le fil des jours. Chacun d’eux a pour titre un verbe d’action : respirer, compter, lire, inviter, rouler, répondre, colorier, regarder, dormir, tricoter, rêver, enterrer, continuer, etc. Ces titres-verbes donnent une dynamique à l’ensemble, le font osciller entre tendresse et tristesse. Humour aussi. Lucien Noullez à travers ces poèmes offre un regard sur la vie, la mort. Un regard sur le monde. « Je ne peux pas laisser / la terre se sécher, les enfants se tarir / et la musique aux mains des professeurs d’économie ». Si colorier, rêver, compter pourraient rappeler l’enfance, il s’agit des écrits d’un homme dans la fleur de l’âge : « Je n’ai plus besoin de bonheur. / Le bonheur a eu lieu, ici et là / et j’ai parfois nagé dedans . » Beaucoup d’amour dans cette écriture. Celui aux parents : « je porte maman dans mes bras. Je porte aussi mon père », celui aux copains, aux oiseaux, à la terre, à la vie. « C’est bien, la vie, c’est même quelquefois très bien, / quand cela sonne juste / et quand c’est bien rythmé. » Lire Lucien Noullez fait du bien, cela amène à réfléchir sur le sens de notre présence sur terre.

(Ce livre n’ayant pas de distributeur, pour se le procurer : editionsdupairy@editionsdupairy.com)

 
 

PATIENTER

Je ne suis pas vraiment né pour vivre,
mais je suis né.
Les gens qui vivent, d’ordinaire
poussent des colères de feu.
Ils ont de grands poitrails remplis d’oiseaux,
mais je ne suis pas né pour ça.
Je suis né pour des matins sans remorques,
des matins où je suis tout seul.
J’observe le matin, la
lente vibration du froid.
Je cherche à accorder
mon petit monde au monde immense.
Un peu de silence parfois
tinte légèrement
au bord du bol.

Où vont les robes la nuit , Dominique Sampiero, la Boucherie littéraire

Écrit un 14 février, jour de la saint Valentin, entre 3h16 et 5h19 le matin, Où vont les robes la nuit est un livre d’amour et de deuil. Il semble avoir été écrit dans un état de grâce. Souvenirs des corps, du plaisir, d’une petite robe noire, de l’aimée qui est « si loin ». Dominique Sampiero écrit : « je m’endors souvent ta main dans la mienne », signe que l’amour peut durer longtemps, au-delà de la mort. Cette nuit du 14 février, la petite robe noire virevolte, les caresses raniment le corps inanimé. Il y a de la beauté et une infinie tendresse dans la poésie de Dominique Sampiero. Par la force de l’écriture, il fait revivre celle qui n’est plus, il ressent la chaleur de son corps. Une sorte d’alchimie opère grâce à l’écriture. Le poète est conscient pourtant que l’aimée demeure éloignée et il ne peut la rejoindre, encore. « Maintenant il fait nuit. Il fait vraiment nuit. Je vais apprivoiser le corps froid de ma solitude dans le lit // Tu ne viendras pas me rejoindre, tu as besoin de dormir. // Je ne te réveillerai plus. » Il reste alors le souvenir : « enlacée pour toujours / à la mémoire sur ma peau »… Cette nuit du 14 février, provoque une question : « où va l’âme des femmes / endormie dans le cri de l’herbe » ?

 
 

J’ai serré ta petite robe noire contre moi. J’ai senti la nuit s’emboîter au mouvement de mes jambes. Nous sommes restés en chien de fusil comme deux orphelins dans la neige, réchauffés par le désir de ne faire qu’un.

Le Préloin (Meules et foin) , Dominique Cagnard, Editions Corps Puce

Dominique Cagnard évoque les champs et les grands espaces. Il partage avec ses lecteurs les meules de foin, les bœufs et tout un paysage de campagne. De petits textes, de quelques vers. Une poésie visuelle et emplie de sensations aux allures de haïkus. Les meules sont des moulins, les yeux des bœufs s’envolent, les meules ont des yeux. Elles sont éphémères. On se demande à quoi elles servent ces meules. Elles ne vieillissent pas. Elles sont meules de saison en saison. Certaines sont disparues, transformées en pierre par l’homme. Elles sont dans le paysage, en harmonie avec le ciel et l’horizon. Ces poèmes de Dominique Cagnard sont à lire avec ce petit plaisir aux airs de campagne. Il écrit l’intemporalité qui se dégage de ces meules de foin. Elles évoquent quelque chose qui pourrait disparaître si on n’y prend garde.

 
 

Dans le préloin de la prairie,
les bœufs blancs
tachetés de vert,
dorment à l’envers
et leurs yeux
reposent longtemps
avant de s’envoler.

*

Les meules,
ces moulins éphémères,
qui marchent en rond
quand l’été roule ses flammes.

Ce que tu nommes ta maison , Sylvie Fabre G. pré # carré

Dans ces poèmes, la maison est ce qui permet de dire la disparition, l’attente de ce qui ne revient pas. Maison dit le deuil, la vie arrachée « dans la brutalité originelle de la mort ». Elle est prétexte pour s’adresser à celui ou ceux qui sont partis. Sylvie Fabre G. leur redonne vitalité grâce au poème. En évoquant les morts, mais aussi les « absents présents / que l’on perd de vue mais pas d’âme », elle écrit le sang qui bat « dans les veines du monde » et s’interroge sur le sens de la mort. Nous naissons, nous vivons et à la fin « tu t’inclines » et cela « dans sa vérité » à « la vie même ». Ce petit livre prend tout son sens avec ces vers : « La force de continuer avec le pas de / quelqu’un qui s’en va et la voix de / quelqu’un qui l’écrit ».

 
 

Tu persistes à guetter les vagues
du souffle, la coulée des sonorités
légères sur la gravité de la pierre.
En son cœur se fend le tien, est-ce
sa façon de battre un peu plus fort
sur la terre quand tu ne sais pas
ce que veut dire mourir au ciel ?

Ecrire pour t’aimer ; à S.B . - suivi de S.B. hors du temps, James Sacré, Faï fioc

La grammaire et la langue réinventées, les « mots arrangés » pour écrire l’amour. Celui qui avance en même temps que la vie et qui laisse les souvenirs. James Sacré écrit « ce que veut dire le verbe aimer ». Difficile sujet l’amour, trouver les mots qui ne tomberont pas dans la banalité ou la mièvrerie. Difficultés de les agencer pour dire le poème, pour dire que le « bonheur a un corps ». Ecrire en « quelques gestes simples », « toute cette histoire tellement banale ». Il s’agit alors pour l’auteur de dire « ce qui (me) semble toucher mieux la vérité ». Il est évident que si on y regarde de plus près, « beaucoup de geste pour aimer sont, tout compte fait, presque rien. » Non seulement l’amour est évoqué dans ce livre, mais aussi le souvenir, avec ces photos que l’on regarde, les sensations dont on se rappelle et la question de l’intime en poésie avec « la grammaire qu’un cœur emploie ». « Je me demande / si vraiment je voudrais toucher à des endroits de ton corps, / ou si je préfère penser longtemps à toi ? Savoir que ton cœur m’entend / fait que le mien bat plus fort mais qu’est-ce que c’est le cœur ? »
Ecrire pour t’aimer ayant été édité une première fois en 1984, cette réédition par Fai fioc a donné lieu à une deuxième partie : S.B. hors du temps, car « écrire a continué ». Les poèmes y sont plus brefs et contiennent du silence. James Sacré revient sur le premier texte qui ne parlait pas de l’absence mais plutôt du désarroi de celui qui reste. Il s’agit aussi de réfléchir au sens pour l’auteur de publier de nouveau un texte déjà ancien. Pour le lecteur, c’est en tous les cas un plaisir de (re)lire ce livre qui était épuisé.

 
 

Ce que veut dire le verbe aimer j’ai pour en mesurer l’impact,
Les gestes d’aujourd’hui ou bien l’insensée rêverie
Qui me revient souvent, l’espèce de bonheur qui bat,
Pas plus dans mon cœur, en fait, qu’il n’est installé
A ces endroits plus intimes de mon corps ; je garde
Auprès des miennes tes lèvres qui dorment.

La vie dans les mailles , Véronique Gentil, Pierre Mainard

« Il arrive que la vie devienne une cire au fond de l’œil. Il durcit, il ne se lève plus sur ce qu’on lui tend ». Véronique Gentil évoque la vie qui passe « à saluer les morts », alors que « l’enfance (la neige) s’est emparée d’une partie de la vie ». Emplie de cette nuit qui fait peur aux enfants, mais qui les fait aussi grandir lorsqu’elle nous prend des êtres chers. On s’attarde sur la disposition des poèmes : des poèmes à lire lentement et dans lesquels les silences poursuivent leur chemin en nous. Il s’agit d’une marche vers la mémoire, d’une poésie telle « ces iris / aux formes difficiles ». Le lecteur doit se laisser infuser, cette poésie ne se livre pas dès le premier abord, elle est toute en suggestions et ellipses : « les pensées couraient dans l’air ». Elle ne se raconte pas, elle prend son sens : « la lumière est un cri / qui entre de partout ». La nuit n’est pas la seule présente, mais le soleil est imparfait. « Les poèmes sont la mémoire du chaos, ils se chargent de résidus, de tremblements, de retournements, de désordres qui s’étendent extrêmement ». Dans le fond, beaucoup de douleurs : « dans le soleil la nuit descend ». Un enterrement vient en bribes, avec le corps, l’absence et les souvenirs. « l’amour que j’ai vécu n’est pas séparé de la nuit / comme il n’est pas séparé de la neige ». La douleur va croissante pour trouver une forme d’apaisement à la fin du livre : « maintenant / la maison est en ordre / les fleurs portent leur nom »

 
 

Ce sont des fruits, du noir, l’automne

semblables à une vie d’homme
à une matière perdue

la chair est déposée
l’eau rare

ce qui a été creusé
n’a pas été remplacé

comme rien n’a été remplacé
de ce qui nous fut cher

nos os le savent
mieux que nous

ils ont accumulé
la nuit qui n’a pas de sol
pas souvent nous fait voir
la lassitude
et la poussée qu’on y oppose

un monde solide
et un monde d’eau
(le même) 

Pressée de vivre , Anise Koltz, Arfuyen

« Derrière le ciel / il y a un autre ciel », on pourrait écrire de même des poèmes d’Anise Koltz. Un mot découvre un autre mot. Elle cultive le poème à la manière d’un secret, le travaille en « souterrain ». L’écriture avance dans le poème et puis se fige. « Je marche à travers les siècles sans avancer ». Ainsi prendre le temps de la lenteur quand tout va si vite, quand ceux qui nous ont précédé nous « entraînent à mourir ». Cette sensation d’éternité que chacun peut éprouver, notamment lorsque parvenu dans l’hiver de l’existence. Une réflexion sur le temps, la vie, la mort, la destinée de chacun. « Nous mourrons / à force de vivre ». « Le temps répète ses jours / l’homme répète ses questions ». Nous sommes répétitions et nous posons toujours les mêmes questions, celles auxquelles personne n’a encore su répondre, auxquelles personne n’a jamais su aller contre. « Je ne questionne pas / l’écriture / elle me questionne ». Ainsi, écrire est ce qui permet de tourner autour de ce mystère de notre passage sur terre. Ecrire ce qui reste inconnu comme « l’intérieur de ton corps ».
« A l’intérieur de moi / je marche // Je marche / sans marcher ». Anise Koltz amène le lecteur à réfléchir sur le sens de l’existence : « J’ignore pourquoi j’existe » et à se préparer à mourir : « je me prépare à ma vie / souterraine qui approche ». Le poids de la mémoire, de l’histoire est présent : « Tant de morts à enterrer / qui ne s’enterrent pas // Je garde leurs secrets ».
Elle évoque aussi le deuil, lorsque dans le couple l’un part avant l’autre : « Tu es parti / sans partir / comment te rejoindre ? » Le mystère de soi, le mystère de l’autre : « Personne ne connaît / ma géométrie intérieure ». L’idée de naître et renaître chaque jour, ce temps qui « se répète / comme une rengaine / sans fin ». Anise Koltz enroule puis déroule le visible et l’invisible. Ecrit et souvent créé la contradiction : « Le monde tourne / et change / pour rester le même ». Si bien que « Nous perdons les questions / à travers les réponses ».

 
 

Je vis
je meurs
je ressuscite

Mes empreintes digitales
changent à chaque vie

Souvent je rêve
de vivre dans la mémoire
d’un autre

Prendre et perdre , Jean-François Mathé, Rougerie

L’expérience de vivre. Voici ce dont Jean-François Mathé rend compte à travers ce recueil. Le chemin déjà parcouru et celui à venir, que l’on ne connaît pas. Prendre : « habiter le monde / en le débordant », saisir chaque bonheur. Car « le jour ne s’ouvre / qu’à la respiration / que nous glissons en lui ». Perdre : « quand le souffle nous manque ». Après le jour, la vie passe, effleure « le ciel resté dans la nuit ». Paradoxalement, l’Homme est éternel : « nous-mêmes venons / de plus loin que notre naissance ». La jeunesse immortalisée et comment « continuer d’être fragile et vivant ». Chacun trace son sillage, laisse une empreinte ou l’emporte avec lui. Ce qui demeure, car il demeure quelque chose : « il y a dans toute absence / quelque chose qui nie le vide / qu’auraient laissé les départs, les morts ». Et « disparaître même blessé / n’est pas mourir ». Le poète est de passage. Se souvient de ceux qui sont disparus, l’ont accompagné, de sa jeunesse, du simple bonheur du jour. La poésie permet d’appréhender ce qu’il y aura « au-delà d’un mur invisible » et cela Jean-François Mathé en rend compte avec une certaine douceur. « Je garde du ciel pour plus tard / et j’éteins celui-ci ». Une tendresse qui me touche à chacun de ses recueils et la fraternité avec des poème adressés à d’autres poètes, les amis, la famille.

 
 

J’ai regardé le ciel
soulever des oiseaux blancs
et les détacher de toutes
les autres couleurs du monde.

Où qu’ils aillent ils sont
des ciseaux tendres qui
ne se ferment que pour s’ouvrir
sans avoir laissé de coupure de rien.

Et qu’ils volent ou se posent,
le monde reste
un arbre multicolore
aux fruits ronds et pleins.

Haïkus de campagne , Maria Quintreau, Editions Alcyone

Maria Quintreau a choisi la forme brève du haïku pour évoquer l’endroit où elle vit. Ainsi, le jardin, les saisons, l’été mais aussi l’automne qui couvrent le jardin de fleurs et de fruits. Dans ces lieux, les oiseaux, insectes et autres animaux, sont à l’honneur. Ce qui touche, ce sont ces bonheurs, ces joies simples. La maison fait partie du lieu, à travers la vitre, le parquet, l’escalier, le tapis du bureau. Chaque petite chose appelle le haïku : le jardin, la maison, et n’oublions pas le village dans lequel vit Maria Quintreau. Ce village qui a changé au fil du temps, comme par exemple la cabine téléphonique qui a disparu, les commerces qui se sont installés ailleurs. Petite cité de caractère, Celles-sur-Belle, avec son chemin des poètes, petite cité pour laquelle Maria Quintreau œuvre afin que la poésie l’habite. Non seulement pour le Printemps des Poètes, mais ici pour l’habiter pleinement dans le poème.

 
 

Merveilleux grenier
à ta haute fenêtre
défile le ciel

*

Ciel plombé d’octobre
se poussent les nuages
juste un trait bleu

*

Octobre au jardin
tous ces roux et ces jaunes
dans nos yeux d’automne

Combe , Sophie Brassart, Tarmac Editions

Le lecteur est invité pour voyager au centre de la terre et pour creuser en soi. Comment à partir des éléments premiers, Sophie Brassart parvient à aller vers l’intime tout comme vers l’universel, l’humanité car « il y a un nous ». Ainsi, la terre, le vent, le ciel la lune et l’homme, dans cette immensité, qu’en faire ? « Ce silence qui bat dans l’homme / comme un être / plus grand que lui ». L’homme, un élément premier parmi les autres, mais un qui éprouve, a des peurs qui le poursuivent depuis l’enfance : « un nid grevé de couleuvres / qu’aucun rêve ne libère ».
Quand Sophie Brassart écrit : « quelque part où tu pleures / il y a un bruit de rose », ou « la trace invisible de ma solitude », cela rend au recueil sa force de l’intime, tout en subtilité. Le corps meurtri, « les veines épaisses & coupées / du cerisier », la solitude, le monde qui crée des convulsions. Un recueil en réaction au monde : soi dans l’immensité.

 
 

Je n’attends pas de nouveau pays

Devant moi se dresse
une montagne de feuilles sèches

Elles s’enchevêtrent autour de mes veines
Je ressemble à l’exil

Au milieu du silence

Je ressemble au bois qui ruisselle
Il contient
la route vide

Est-ce au dessus du vide

J’attends ce qui jaillit

Ce long sillage du cœur , Philippe Leuckx, la tête à l’envers

Un ensemble de petits textes en six parties. Commençons par la table des matières, elle donne une première lecture du texte : I. Pèlerin de soi, II. Langue douce de l’errance, III. Quelque chose de compté dans l’air, IV. Ce petit cœur d’œillet, V. Au plus juste, VI. L’enfant blessé d’ombre se recoud au soleil. Il y a du cœur, de l’enfance, le soi et un peu de peur. Le tout nuancé par de la douceur, quelque chose de compté, à peine perceptible et du soleil. « Chaque poème rend pèlerin de soi », ainsi, cheminer de poème en poème, tracer une route, une démarche personnelle, longue mais spirituelle. Sur ce chemin, le « dépôt de souvenirs » cette errance nécessaire pour « équilibrer la mémoire du cœur » et garder en soi la voix des disparus, ce soupçon de quelque chose et souvent la souffrance. Ce retour à l’enfance, petit cœur d’insouciance et « toute la poussière autour », la « leçon du peu qui nous redresse »… « Plus loin, les souvenirs montent la garde et je ne sais rien de plus pur que le linge qui balance son ombre et sa solitude ». Rien n’est vraiment dit, mais il s’agit de se recoudre au soleil.

 
 

Le printemps ose une fine bruine sur le murmure des mondes
A peine
Un troglodyte bruisse sur l’arbre à découvert
Je bêche quelques mots - il y a au jardin une pensée profonde
Creuse
Creuse
Les murs ont la paresse de n’être que debout
Le ciel fait ce qu’il peut s’il est gris
Je range la bêche à l’étroit
Dans la langue du sol

Duos, 118 jeunes poètes de langue française né(e)s à partir de 1970 , Anthologie dirigée par Lydia Padellec, Bacchanales n°59, Revue de la Maison de la poésie Rhône-Alpes.

118 jeunes poètes de langue française, donner ainsi la place aux voix émergeant - ou déjà émergées mais trop peu citées dans les anthologies de poésie. Celle-ci a été préparée avec soin par Lydia Padellec qui a fait un formidable travail de recension. Cela permet de rendre compte du panorama de la jeune poésie d’aujourd’hui. Ces poètes qui ont lu leurs aînés et qui continuent de transformer la poésie. Courts poèmes, proses, à chacun son style, à chacun son binôme. Le souhait de Lydia Padellec pour une parfaite parité : 118 poètes = 59 femmes et 59 hommes. Duos, poèmes mis en regard. Poètes de langue française vivant aux quatre coins du monde. Nés entre 1970 à 1992. Chacun contribuant à rendre la poésie vivante et plus que jamais présente dans le paysage littéraire. Langues qui créent la langue, habitent la grammaire et le quotidien, à la fois rebelles et attentives au monde, à la nature. Un très beau travail qui a trouvé place dans un bel écrin : le n°59 des Bacchanales de la Maison de la poésie Rhone-Alpes. Quelques noms, présents ou pas encore dans Terre à ciel : Sophie Loizeau, Etienne Paulin, Marlène Tissot, Pierre Soletti, Albane Gellé, Moëz Majed, Myriam Eck, Jean-Marc Flahaut, Sabine Huynh, Sylvain Thévoz, Jasmine Viguier, Emmanuel Flory, Valérie Canat de Chizy, Simon Martin, Maïa Brami, Thomas Vinau, Amandine Marembert, Romain Fustier, Cécile Guivarch, Armand Dupuy, Lucie Taieb, Antoine Mouton, etc.

Cécile Guivarch


Bookmark and Share


Réagir | Commenter

spip 3 inside | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 Terre à ciel 2005-2013 | Textes & photos © Tous droits réservés